LE PRINCE DE MACHIAVEL : L’ANIMALITÉ DANS LA VIE POLITIQUE


« Je sais, quand il le faut, quitter la peau du lion pour prendre celle du renard »[i] affirmait fièrement Napoléon 1er. La stratégie politique, il l’a bien comprise. Il s’en sert d’ailleurs lors de la bataille d’Austerlitz où il feint l’épuisement physique et numérique de ses troupes. Cette stratégie est couronnée de succès puisqu’elle signe la victoire de l’Empire. Pourtant, l’animalité dans la vie politique n’est pas nouvelle. C’est une notion déjà présente dans l’œuvre phare de Machiavel, Le Prince, œuvre considérée comme un classique de la philosophie politique.

Nous y apprenons en effet comment un prince atteint mais surtout conserve le pouvoir et ceci peu importe la méthode : la fin justifie toujours le moyen. Si nous ne pouvons affirmer que Napoléon était un féru de Machiavel, on ne peut que s’interroger sur cette ressemblance : l’utilisation de la forme du renard et du lion dans la vie politique. Mais alors, quel intérêt d’être lion ou renard pour un homme politique ?

Mais qui est Machiavel ?

Nicolas Machiavel naît en 1469 dans la République de Florence et grandit dans un contexte politique fragile. Bien que la paix entre Milan et Venise semble garantie depuis 1454 par la paix de Lodi, la mort de Laurent le Magnifique en 1492 vient précipiter la chute de cet équilibre retrouvé. Dès 1494, l’Italie est envahie par les armées françaises estimant le royaume de Naples comme un droit héréditaire.

Charles VIII s’empare de Florence. Les Médicis, alors au pouvoir, sont destitués et Savonarole, un prédicateur dominicain, prend le pouvoir. Ce nouveau gouvernement sera de courte durée puisqu’en mai 1498, Savonarole est brûlé vif sur la place publique. Le nouveau gouvernement en place élit Machiavel comme secrétaire de la seconde chancellerie et alors chargé des armées et de la diplomatie. Le retour des Médicis en 1512 signe malheureusement le point final de sa carrière politique. Suspecté d’être un comploteur, Machiavel est arrêté et torturé puis démis de ses fonctions. Il continue d’agir dans l’ombre en écrivant ses œuvres les plus connues, comme Le Prince en 1513, œuvre dédiée à Laurent II de Médicis. En réalité, il tente par cet hommage une restitution de ses fonctions politiques. Cette tentative est cependant un échec et il meurt en 1557 des suites d’une maladie. Ses œuvres quant à elles, figurent sur l’index des livres interdits par l’église dès 1559.

Une philosophie du moyen :

Selon Machiavel, il y a deux façons d’agir en politique pour le Prince[i] : par la voie juridique (celle des hommes) et par la force (celle des animaux). On pourrait donc croire que tout prince se doit d’utiliser uniquement les lois pour diriger. Or, sont-elles suffisantes à elles-mêmes pour être effectives ? En effet, la loi ne suffit pas puisqu’elle a besoin d’une force coercitive pour être appliquée. Si cette force n’existe pas, n’importe qui peut enfreindre la loi sans pour autant être poursuivi, la sanction étant elle-même inscrite dans la loi. À l’instar, une force sans lois renvoie à un Etat tyrannique. Machiavel conseille pourtant au Prince d’être bien craint et non haï[ii] : « il faut seulement que, comme je l’ai dit, il tâche avec soin de ne pas s’attirer la haine. » Pour un Etat qui souhaite faire cohabiter ses citoyens pacifiquement, il est difficile d’user seulement de force ou bien même seulement de la loi. Tout homme d’Etat qui se respect se doit donc d’user de ces deux types d’armes pour se maintenir au pouvoir.

 Machiavel distingue alors deux types de force : celle du Lion (la puissance) de celle du renard (la ruse). L’une dissuade en effrayant les détracteurs tandis que l’autre repousse et crée de nouveaux pièges. Ici, Machiavel démontre bien que la richesse d’un Prince ne se fait pas qu’à sa puissance, mais bien aussi à son intelligence pragmatique. Un Prince qui n’est que lion tombera dans tous les pièges tendus à son encontre et un prince seulement renard n’effraiera pas l’ennemi. Le lion a un effet direct tandis que le renard a un effet différé sur son action, qui perdure dans le temps et se renouvelle sans cesse.

Cependant, il ne suffit pas de connaître ses deux types de force pour gouverner, il faut aussi savoir quand les utiliser et surtout savoir les combiner. Le prince est celui qui feint toujours mieux ses capacités, sa ruse et sa force sous un masque. C’est d’ailleurs toute l’essence de l’adjectif machiavélique : celui qui maitrise l’art de simuler et de dissimuler ses actes et ses paroles dans un but calculatoire, dans un but de domination. Le Prince est donc un esprit subtil bien conscient des dangers qui l’entoure et qui sait parfaitement y réagir en conséquence. Il se situe du côté de la raison, de l’art du calcul et de la capacité à s’adapter au moment opportun, ce que Machiavel nomme la virtu. Or cette raison est justement utile pour user de la part animale en nous comme la ruse etc. Machiavel se place ici face à Rousseau où le souverain doit se détacher des instincts, et de ce qui est précisément animal.[iii]

Que faut-il retenir ?

Le Prince peut se lire de deux manières : soit comme un manuel politique conseillant Laurent II de Médicis, soit comme un guide donnant au peuple les clés contre la tyrannie et l’oppression. C’est une philosophie de l’expérience en ce sens que Machiavel a vécu au sein même du pouvoir pendant de nombreuses années. L’animalité du Prince est sa condition pour perdurer au pouvoir. C’est pour cela que ces deux types de force (celle du lion et celle du renard) sont complémentaires et essentielles entres-elles.  Là où l’homme politique devait être d’abord fort et puissant (le lion), Machiavel se rapproche de Platon et du célèbre philosophe roi par la place du renard, celle de la ruse et de l’intelligence stratégique. Il ne faut pas être lion ou renard mais bien lion et renard pour gouverner. Être Prince c’est avant tout un art : l’art de dissimuler, de calculer, un art machiavélique.

Mail : sophie.carmona@outlook.fr


[1] Mémoires du prince de Talleyrand (posthume, 1891)

[1] Chapitre XVIII Du Prince

[1] Chapitre XVII Du Prince

[1] Du contrat social


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