Que signifie être humain ? Est-ce notre capacité à communiquer ? Notre sens moral ? Ou bien notre aptitude à nous élever au-dessus de nos instincts les plus primaires ? Dans son œuvre intitulée « L’Enfant sauvage », le réalisateur français, François Truffaut, nous emmène dans un voyage émotionnel et introspectif au cœur de cette frontière ambiguë entre l’humanité et l’animalité.
Sorti en 1970, le film s’inspire d’une histoire vraie du XVIIIème siècle et explore la quête de civilisation et de compréhension de l’âme humaine. « L’Enfant sauvage » nous raconte l’histoire troublante d’un jeune garçon, Victor, découvert dans les bois, nu et vivant en harmonie avec la nature. Rejeté par la société et incapable de communiquer verbalement, il est considéré par certains comme une bête sauvage, tandis que d’autres voient en lui une opportunité de prouver que l’éducation peut civiliser même les âmes les plus farouches.
En utilisant une approche cinématographique subtile et émouvante, Truffaut nous guide habilement à travers les différentes étapes du processus d’humanisation de Victor, à mesure qu’il est pris en charge par le docteur Jean Itard, un homme déterminé à lui enseigner les codes de la société.
Entre l’instinct animal et l’apprentissage humain
> La découverte de l’enfant sauvage
« Ce n’est pas un enfant, c’est un animal ». Mais, qu’est-ce qui distingue l’homme de l’animal ? Peut-on domestiquer complètement un être sauvage et l’intégrer dans la société ? La nature humaine est-elle essentiellement façonnée par l’environnement dans lequel nous grandissons ? L’instinct animal est présent dès les premières scènes du film lorsque l’enfant sauvage est découvert dans la forêt de l’Aveyron. Il est représenté comme un être primitif, régi par ses instincts de survie, incapable de communiquer, il se comporte plus comme un animal qu’un être humain, incapable de saisir les normes sociales et les codes de comportement de la société humaine. Truffaut utilise des
plans rapprochés sur les expressions du visage de l’enfant et de ses mouvements pour souligner son caractère animal. À son arrivée à la civilisation, Victor se comporte comme un animal : il marche à quatre pattes, ne parle pas et semble totalement insensible aux normes sociales. Un exemple marquant de la part animale en nous se trouve dans la scène où Victor découvre la nourriture. Il se jette littéralement sur la nourriture, la dévorant avec ses mains et sa bouche sans utiliser d’ustensiles.
>L’intervention d’Itard
Face à cette découverte le docteur Jean Itard, interprété par François Truffaut lui-même, décide de prendre en charge l’enfant sauvage. Itard incarne la figure de l’éducateur qui tente d’enseigner à cet enfant les rudiments de la civilisation. L’apprentissage humain devient alors le thème central du film, opposé à l’instinct animal qui semble inhérent à l’enfant sauvage. Tout au long du film, on assiste aux efforts d’Itard pour enseigner le langage, la communication et les comportements sociaux à l’enfant. L’utilisation du langage, la capacité de se nourrir avec des couverts, le port de vêtements, tout cela constitue un défi pour l’enfant qui n’a jamais été confronté à ces aspects de la
vie humaine. Truffaut montre avec subtilité comment l’éducation peut éclairer la conscience d’un être, même après une longue période de privation d’apprentissage.
Le langage comme clé de voûte de l’humanité
>L’apprentissage de Victor pour s’intégrer
Dès les premières scènes du film, Truffaut souligne l’importance du langage en montrant le jeune enfant, Victor, comme un être quasi-animal, incapable de communiquer avec les autres humains. Cette absence de langage l’isole complètement de la société et fait de lui un étranger dans son propre monde. Le processus d’apprentissage du langage est long et ardu pour Victor. Itard tente différentes méthodes d’enseignement, utilisant à la fois l’observation, la répétition et l’imitation. Il considère que l’enseignement du langage est essentiel pour le développement intellectuel et émotionnel de Victor, car le langage permet non seulement de transmettre des informations, mais aussi d’exprimer des émotions et de comprendre celles des autres. Truffaut met en évidence la frustration de Victor face à son incapacité à communiquer, ainsi que son désir profond d’apprendre
et de comprendre le monde. L’un des moments les plus poignants du film est lorsque Victor parvient finalement à dire son propre nom, évoquant un premier pas vers la reconnaissance de son humanité. Alors que Victor progresse peu à peu dans l’apprentissage du langage, une scène poignante montre un moment de connexion émotionnelle entre Victor et Itard. En effet, suite à la persévérance des deux personnages, l’enfant prononce son premier mot, « lait ».
>Malgré ses efforts, Victor reste un être marginalisé
Toutefois, malgré les progrès de Victor, il reste en marge de la société. Les gens le voient toujours comme un être étrange et différent en raison de son manque d’éducation et de son passé sauvage. Itard réalise que le langage n’est pas la seule clé pour intégrer pleinement Victor dans la société, mais il reste convaincu que c’est un pas crucial vers son humanisation. Truffaut nous rappelle que le langage va bien au-delà de la simple communication verbale, qu’il est le moyen par lequel nous nous exprimons, échangeons nos idées et construisons notre identité. Le film offre une réflexion profonde sur la nature même de l’existence humaine, reliant le langage à notre capacité à nous comprendre et à trouver notre place dans le monde.
Conclusion
A travers le personnage de Victor, le réalisateur soulève des questions essentielles sur la nature humaine, la civilisation et l’interaction entre l’homme et l’animal. Cette dichotomie entre la nature et la civilisation peut être interprétée comme une réflexion sur la relation complexe entre l’homme et son environnement. À une époque où les préoccupations environnementales sont de plus en plus présentes, cette question continue d’être pertinente. Le film explore également le concept d’isolement social et de difficultés d’adaptation à la vie en société. De manière similaire, la société du XXIe siècle peut souvent marginaliser certaines personnes en raison de différences, de handicaps
ou de traumatismes, ce qui peut entraîner leur isolement. Le film souligne le rôle primordial de l’éducation et de la socialisation pour humaniser l’être humain, montrant ainsi la nécessité d’un équilibre entre notre part animale et notre part civilisée. Enfin, l’histoire de Victor résonne comme une métaphore puissante, nous rappelant que l’instinct animal est présent en chacun de nous, mais que c’est notre faculté à communiquer, apprendre et aimer qui nous définit en tant qu’êtres humains.
Thylane Cao
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