L’illusion de la tyrannie
Pris en étau et pressé par l’instant, le peuple de Syracuse laissa Denys Ier s’emparer du pouvoir sans savoir qu’ils donnèrent naissance à leur propre tyran. Cet exemple tiré de l’œuvre principale de la Boétie, De la Servitude volontaire nous illustre un tyran qui ne s’est pas fait tyran lui-même : il s’est fait tyran par la soumission de son peuple et non par son propre pouvoir. Malgré la brièveté apparente de cette œuvre, elle fait preuve d’une grande richesse ainsi que d’une réflexion sans précèdent. Elle nous amène surtout à nous poser la question suivante : D’où provient la force tyrannique et comment s’en échapper ?
Qui est Etienne de la Boétie ?
Etienne de la Boétie nait le 1 er novembre 1530 à Sarlat, une ville du Périgord. Agée d’à peine 18 ans, Il écrit dès 1549 son œuvre principale : De la servitude volontaire, paru à titre posthume en 1576. Il obtint sa licence de droit à l’université d’Orléans et est nommé conseiller du parlement de bordeaux peu de temps après. C’est à cette même époque qu’il se lie d’amitié avec Montaigne, amitié qui durera jusqu’en 1563 à la mort de Boétie. Malade probablement de la dysenterie (ou de la tuberculose), il meurt des suites de maladie à Taillan-Médoc, près de bordeaux. Sa philosophie a eu un impact rayonnant. En premier lieu sur son grand ami qui lui consacre le chapitre 1 de ses essais, traitant de l’amitié.
Une tyrannie originaire du peuple
Pour Boétie, nous faisons le nombre. En effet, comment un seul homme pourrait-il gouverner 50 000 personnes seul ? C’est pour cela que Boétie affirme ceci : c’est le peuple lui-même qui se fait prisonnier de la violence tyrannique et non le tyran. Nous avons ici une définition originale de la violence précisément parce qu’elle est volontaire. Là où on pense souvent la violence comme une oppression, une force extérieure que nous subissons sans l’accord de nos volontés. La violence se situe du côté d’une obéissance voulue et choisie. Pour retrouver la liberté, il n’est pas nécessaire de se révolter, de frapper en retour, mais tout simplement de cesser de servir le tyran. Le peuple donne le pouvoir au tyran. Sans gouvernés, le tyran n’a aucune puissance politique. De plus, soumis volontairement à la tyrannie, le peuple subit un grand nombre de violence et de brutalité :
« Souffrir les pilleries, les paillardises, les cruautés, non pas d’une armée, non pas d’un camp barbare contre lequel il faudrait défendre son sang et sa vie devant, mais d’un seul. »
En se soumettant volontairement au tyran, le peuple ne se rend même plus compte qu’il est en réalité victime de lui-même, de sa propre oppression. Mais se pose aussi le problème de l’accoutumance : qui voudrait fuir un régime où il se sent confortablement installé ? qui voudrait quitter le terrain de l’habitude d’obéir pour n’être servi qu’à lui-même ?
Se faire violence
En ce sens, si le peuple cesse de se soumettre au tyran, il n’aura plus aucune légitimité devant un nombre bien supérieur de personnes. Comme une étincelle qui se fortifie au contact du bois et se consume en son absence, le tyran se trouvera bien embêté s’il ne trouve plus rien à piller. S’échapper de la violence politique n’est qu’une question de volonté, la volonté de désobéir.
La violence est tout autant une affaire de soumission que de liberté : prendre conscience de son caractère servile, de sa condition de soumission face à sa propre tyrannie, c’est se faire violence, rompre avec les habitudes. Il faut en réalité renverser les semblants de rapports de domination encrés pour ne plus avoir à les subir. Si le peuple fait le nombre, il est le rapport de domination.
« Soyez résolus de ne servir plus, et vous voilà libres. »
Il est important de rappeler que pour Boétie, le peuple n’est pas esclave du tyran mais bien opprimé par une servitude volontaire. En cas d’esclavage, la liberté serait alors supprimée et non seulement opprimée. Ici le peuple peut se libérer de cet état tyrannique en faisant preuve de courage et de volonté. Ils donnent à l’oppresseur toutes les cartouches pour nous rendre opprimés. C’est ce rapport qui doit changer. Être courageux, c’est prendre une résolution qui bouleverse totalement notre état de dépendance et qui nous conduit vers la liberté. C’est pourquoi une domination ne peut tenir que si l’on y consent, que si autrement dit nous nous y plaisons. Or, ce n’est qu’un semblant de bonheur puisque le peuple est habitué. Qui ne voudrait retrouver sa liberté s’il le pouvait, et une fois qu’il le peut, s’il avait seulement besoin de le vouloir ? Le peuple doit se faire violence pour accepter sa condition et la surpasser. Se faire violence afin de retrouver sa liberté écartée.
Que peut-on retenir ?
La violence en politique se déploie seulement si on lui donne l’accès. S’il elle s’installe, c’est par le peuple qui accepte cet asservissement. La solution n’est pas alors la rébellion ou encore la révolution mais bien l’arrêt total de tout service rendu au détenteur du pouvoir. La liberté des individus est leur propre responsabilité, tout comme leur servitude. Mais la liberté n’est pas seulement une affaire de volonté, mais aussi une affaire de désir : être libre c’est être désireux de s’assumer comme tel.
Royannais Mélissa
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