Judith Wiart, née en 1970 au Havre, est professeure de Lettres-Histoire dans un lycée professionnel du BTP à Bron et formatrice en didactique du français à l’Inspé de Lyon (Université Claude Bernard). Elle a publié en 2020 et 2022 deux recueils de prose courte aux éditions le Clos Jouve, Le jour où la dernière Clodette est morte et Les Gens ne se rendent pas compte ainsi qu’un recueil de nouvelles écrites à quatre mains avec l’auteur Frédérick Houdaer, Dures comme le bois, aux éditions Sous le Sceau du Tabellion (avril 2022). Elle est aussi l’autrice d’un livre de photos et textes, co-écrit et édité avec l’artiste Judith Lesur : Ping-Pong (2020).
Au titre rouge brique sur une couverture gris béton, ce recueil choral de Judith Wiart enchante par son ton et sa forme.
Enseignante, Judith Wiart dénonce les défauts du lycée professionnel, oublié du système éducatif au gré des réformes. Néanmoins aucun désenchantement au fil des pages, bien au contraire, pour valoriser et orienter aux mieux ses élèves malgré un système éducatif qui n’est définitivement « pas d’équerre », elle enjolive les esprits et porte haut la transmission.
– Y a une boîte à outils pour l’écriture ?
– Oui, et vous devez découvrir ces outils dans un premier temps et apprendre à les utiliser.
– Comme un maçon ?
– Exactement, un écrivain est un maçon. Je n’aurais pas mieux dit, Driss, on le monte ce mur ?
Il ne faut cependant pas se tromper, ce n’est pas « un livre de prof », c’est un livre d’auteur au récit réaliste empreint d’humour et de poésie. Judith Wiart manie le style, se joue des différentes techniques narratives pour dénoncer les incohérences.
Plaisir de lire ce recueil de bout en bout.
Préférez-vous présenter Pas d’équerre comme une autobiographie ou un témoignage ?
Il y a une part « autobiographique », j’écris bien des fragments de vie, mais ma vie en tant que telle n’a pas plus ni moins d’intérêt qu’une autre. Il se trouve que je travaille dans un lycée professionnel depuis 20 ans, je peux donc témoigner d’une expérience dans ce domaine, mais j’espère que ce témoignage craque de l’intérieur. Ça, c’est mon travail d’autrice. Et si j’avais travaillé dans un hôpital public, on aurait retrouvé la même problématique générale : le délitement progressif et délétère des services publics. Une bombe à retardement. Dans ce système malade, des hommes et des femmes de bonne volonté.
Vous jouez avec les différentes techniques narratives, vous proposez des poèmes de vos élèves ce qui rend le récit réaliste et vivant. Comment avez-vous anticipé ce travail d’écriture ?
Le lecteur peut être décontenancé quand il entre dans le recueil. Des voix arrivent en alternance. Il y en a trois : celle du professeur, celle des élèves (par leurs écrits poétiques) et celle de l’institution (textes de réforme…). Dans mes deux précédents recueils édités aux éditions Le Clos Jouve, la structure était forte, mais l’on pouvait éventuellement piocher de ci de là des fragments sans causer trop de tort à la réception générale des textes. Pas d’équerre doit être lu dans un premier temps tel qu’il a été construit. Le dispositif choisi est porteur de sens, il crée une tonalité qui disparaît si l’on se met à le déconstruire (un terme à la mode !). Des textes extraits de ce livre commencent à paraître sur les réseaux sociaux. Ils sont choisis selon la sensibilité du lecteur mais disent, séparés du recueil, des choses très différentes. Si l’on se contente de lire ces extraits on peut tout aussi bien se dire : « Ah mais ce recueil doit être tout à fait cynique » ou « Ah quel regard poétique » ou bien encore « Ça m’a l’air très politique » « C’est rigolo », etc… Le montage d’un recueil est un travail rigoureux sur la forme, la structure, pour porter un propos (et non un message) qui arrive jusqu’au lecteur.
Comme pour la fabrication d’un film, c’est le travail de montage qui crée l’objet artistique et le sens. J’ai choisi un découpage en trois trimestres (comme à l’école) sur lequel vient se greffer un temps plus long qui donne à voir le travail de sape engendré par les réformes successives auxquelles a été confronté le lycée professionnel ces dernières années. La lame de fond dévastatrice est forte mais elle ne saurait détruire complètement les poches de résistance encore actives grâce à la poésie et l’humour. Le recueil dit cela.
On vous sent très attachée à votre métier, qu’en est-il ? Avez-vous encore confiance au système éducatif français ?
Je ne me vois pas du tout en missionnaire de l’EN. Je me vois comme une passeuse en littérature, poésie. Quelques autres savoirs… Et j’aide des élèves à obtenir leur examen. Ça s’arrête là et c’est beaucoup. J’ai de l’ambition pour mes élèves, de l’exigence, mais je ne suis pas une idéaliste. Je les aide à s’approprier leurs deux ou trois années au lycée. S’ils sortent de là avec un examen en poche et quelques textes littéraires en tête auxquels se référer quand la vie bastonne un peu, c’est bien. Peu importe la matière que l’on enseigne, les élèves ont besoin d’adultes ancrés en face d’eux, qui leur donnent un peu envie de grandir. De combien de professeurs se souvient-on de nos années collège ou lycée ? Deux ? Trois ? Ceux qui nous ont fait détester leur matière et ceux qui nous l’ont faite aimer. De mes trois professeurs préférés (un de mathématiques et deux de français), je ne me souviens que de leur puissante
présence rassurante et vivifiante. Très peu du contenu de leur cours. Des personnes habitées, qui m’ont donné confiance en certains adultes. Ce n’est pas tant la matière qui compte pour l’enfant que la façon dont elle est transmise.
De nombreux adolescents sont extrêmement défiants envers le monde « adulte ». Ce qu’ils voient autour d’eux n’est franchement pas folichon. Les blablas institutionnels, les éléments de langage qui aggravent la servitude intellectuelle, la duperie, ils la sentent. Bien sûr, je n’abonde pas dans leur sens quand ils expriment leur méfiance ; j’écoute, j’essaie de les rassurer et de leur montrer que l’on peut s’approprier sa vie, trouver du sens au fait de se lever le matin même quand on n’a pas choisi la section professionnelle dans laquelle on est, par exemple. Comme je le dis dans Pas d’équerre : je fais le job. Je n’ajoute pas du mal au mal en tenant un discours inquiétant. Est-ce que j’ai confiance dans le système éducatif français ? Je ne me pose pas la question en ces termes. Je me lève le matin avec une intention claire, celle de faire ce que j’ai à faire avec les moyens qu’on me donne, pour des élèves qui eux aussi se lèvent encore le matin, quelque compliquée soit leur vie. Tant que j’accepte de rester dans « le système », je leur dois cela.
Quels auteurs vous inspirent ?
Montaigne, La Fontaine, Henri Michaux, Brautigan, Carver, Dorothy Parker, N. Kazantsakis, Cendrars, Eugène Savitzkaya, Frédérick Houdaer, Gilles Farcet, Maupassant, Du Bellay, Annie Lebrun, Pessoa, Buzzati, Herman Melville, Benoit Jeantet, Mme du Deffand, J.P. Don Leavy, C. Bukowski…
Terrible les listes, on ne sait pas où s’arrêter !
Votre actualité ?
La sortie de Pas d’équerre (éditions Louise Bottu) le 4 décembre prochain (merci au passage à mon éditeur pour son écoute, sa disponibilité et son travail remarquable).
Des rencontres autour de Pas d’équerre (dont la rentrée littéraire d’hiver de l’ARALL).
J’écris tous les jours des textes que j’archive sur des fichiers en vrac dans mon ordinateur ou sur mon blog La Mare Rouge. Ils donneront peut-être naissance à un recueil dans les prochains mois, années.
En cours d’écriture : un roman à quatre mains avec Frédérick Houdaer. Nous avons déjà publié ensemble un recueil de nouvelles, Dures comme le bois, en 2022 aux éditions Sous le Sceau du Tabellion et nous avons écrit, la même année, un roman actuellement en recherche d’éditeur.
Blog littéraire de Judith Wiart
Judith Wiart, Pas d’équerre, Louise Bottu, 132 pages, 14 euros
Maintenant je sais que le livre est sorti.
Je vais m’empresser d’aller le chercher en librairie.Merci.
Merci à vous!
Merci à vous !
J.W.
Merci (très en retard!) cher Gabriel.
J.W.
Merci à vous !
J.W.