Tu étais né pour l’amour, un amour subtil, ni aveugle ni captif, et tu m’as greffé sous la peau un je-ne-sais-quoi électrique qui stimule le cœur dans cet axe et le surveille. Je t’ai regardé vivre et ta perception du monde a diffusé jusqu’à moi. Tu n’as pas accompagné sa venue, c’est autre chose, tu l’as générée, tu m’as équipé de ça, sans toi je serais passé à côté. Il faut oser l’amour me montrais-tu, l’amour atmosphérique, l’amour panache, toujours, ne pas tergiverser, ne pas attendre en retour ni céder à l’idée qu’il procure moins qu’il ne coûte. Cette vérité, je l’ajuste à ma vie d’homme mais chaque jour je m’y astreins, pas dans un mimétisme idolâtre mais dans une façon d’être devenant, malgré les rechutes, de l’ordre du naturel. « Et si on enseignait l’amour ? » me dit un jour un collègue d’arts désenchanté par la froideur académique. Une autre lui répondit que ça ne s’enseignait pas ces choses-là, je pourrai lui objecter qu’au moins, cela s’apprend.[1]
Cédric Sapin-Defour, l’auteur de cet ouvrage, tombe par hasard sur l’annonce d’une portée de chiots bouviers bernois à adopter. Sans trop réfléchir, il se rend chez l’éleveuse et se retrouve, comme une évidence, sous le charme d’un jeune mâle. Il le nomme Ubac, en hommage aux reliefs qu’il aime tant et dont il partagera la passion avec ce compagnon à quatre pattes. Commence alors l’aventure de leur vie à deux, du quotidien qui les unit. Les balades, les escapades, et parfois les journées de travail partagées. Les déménagements, les rencontres et les amitiés. Puis Mathilde et la vie à trois. Ensuite à quatre et, assez vite, à cinq. Le calme des montagnes, ensemble et le plus possible loin du tumulte de la ville. C’est le récit des moments simples, des instants heureux et des instants tristes, des séparations et des retrouvailles, des saisons de joie, de bonheur, mais aussi de douleur, et enfin celui de l’absence. Il y aura d’abord le temps de l’insouciance, de la quiétude. Puis, de temps à autres, celui des contrariétés, des inquiétudes, qui, l’âge d’Ubac avançant, se feront de plus en plus fréquentes et présentes. Enfin viendra, alors qu’on espérait le repousser plus longtemps, le temps du chagrin et des regrets.
Ce livre raconte l’histoire vraie d’un homme et de son chien, de leur première rencontre à leur dernière séparation. Ce n’est pas une fiction, mais l’autobiographie de leur relation, du temps passé ensemble, de leur lien indéfectible, tout simplement de l’amour qui les rassemble. C’est un récit qui traite de l’affection, du don de soi et de la perte. Le lecteur observe Ubac et Cédric se découvrir et s’apprivoiser, puis avancer côte à côte et s’aimer, avant d’accepter mutuellement de renoncer, à la vie pour l’un, à la présence du compagnon pour l’autre, et finalement réapprendre à marcher seul pour celui qui reste, sans toutefois cesser d’aimer celui qui est parti.
Dans cet ouvrage, l’auteur interroge sa relation avec son chien, et tente modestement de l’analyser. Si la plupart des hommes pensent tout connaître des chiens et tout comprendre de leurs comportements, lui veille à éviter l’écueil qui consisterait à s’exprimer à leur place. Quand bien même nous souhaiterions attribuer telle ou telle signification à telle ou telle attitude de ces canidés, une grande part d’inconnu demeure. Et, comme l’exprime parfaitement l’auteur, c’est bien cela qui confère à chaque paire formée d’un homme et d’un chien son unicité et sa singulière magie.
Qu’est-ce que l’amour aussi si ce n’est ne plus être seul ?[2]
Qui a déjà adopté un chien, et été adopté par celui-ci, comprendra aisément la profondeur des sentiments décrits. Mais ceci ne constitue en aucun cas un prérequis pour entrer dans cette histoire, se laisser happer par la narration de ces treize années de vie commune et se plonger dans la traversée conjointe avec son compagnon de route que l’auteur en fait. Nul besoin en effet d’avoir un jour vécu avec un chien pour partager ce bout de vie personnelle dans lequel Cédric Sapin-Defour nous invite, et en apprécier le récit.
L’écriture est riche ; l’écrivain manie les mots avec soin, tendresse, humour et parfois mystère. Il manipule la langue française, sa profondeur et ses figures avec style, en mêlant délicatesse et complexité, pour décrire au plus juste ces quelques années partagées avec son chien. Au travers de son texte, Cédric Sapin-Defour réussit à ne pas tomber dans la mièvrerie, ni dans l’excès de bons sentiments, tout en parvenant à nous faire envier, voire parfois jalouser, cette relation si particulière qui s’est nouée entre son chien et lui.
Un récit à lire au calme, pour en apprécier pleinement tous les contours.
Une ode à l’amour pour nos animaux, et au surcroît de vie que cela procure.
Cédric Sapin-Defour a remporté en 2023 pour Son odeur après la pluie le prix littéraire 30 millions d’amis – également surnommé Goncourt des animaux –, le prix littéraire de la Société Centrale Canine et le prix Terre de France.
Cédric Sapin-Defour, Son odeur après la pluie, Stock, 2023, 285 pages, 20,90 €
© Julie Poirier
NOTES :
[1] Extrait de Son odeur après la pluie, pages 283-284
[2] Extrait de Son odeur après la pluie, page 137