TENIR UN LOUP

Claire-Garand-Phusis

Encore ces empreintes dans la poussière ! Nettes, elles se suivaient le long de la clôture sous la lune décroissante. Lydia s’accroupit, une main sur le genou : des coussinets aussi larges, c’était clair. Le vent chaud du soir agita quelques pins blancs sur sa gauche et les branches craquèrent. Elle se releva d’un coup puis fit lentement le tour de la « patate », comme elle appelait la bergerie, tant les années avaient tassé et déformé les murs de pierres. Mieux valait se courber pour franchir la porte basse si l’on ne voulait pas se cogner aux bardeaux qui dépassaient. 

Les bêtes qu’elle avait toutes passées en revue trouvaient leur place, dans le piétinement des pattes et les frottements de toison. Ismène au mufle doux vint lui donner un coup amical contre le genou et leva ses yeux aux pupilles aussi longues et noires qu’un fusain brûlé. De profil, la ligne de son front descendait avec noblesse jusqu’à ses narines camuses d’un brun chaud. C’était un jeu entre elles. Les doigts de l’humaine s’enfoncèrent en retour dans la laine et lui caressèrent le dos à pleines mains. La brebis, qui puait agréablement le suint, baissa les paupières et agita ses délicates oreilles droites. Et se frotta à nouveau contre Lydia quand la main se retira.

— Une gratouille et c’est fini !

Dernier comptage. Habitude de ses années d’enfance à l’estive — quand il y avait encore de vraies estives.

Vingt-deux.

Vingt-trois la semaine précédente. De Biscotte, sa préférée, sa fifille, sa sœur qui savait rire, elle n’avait retrouvé en descendant de la pâture que la dépouille dévorée, la carotide tranchée. Un coup de la Sale Bête. L’une de celles qui revenaient en meute depuis le départ des humains, la pire, un animal rusé aperçu en contre-jour sur les crêtes pendant la montée des éboulis, noire et la gueule souriante, langue pendante comme un démon persan de théâtre d’ombres.

Chaque perte touchait Lydia plus que la précédente, gouttes d’eau creusant sa roche dure de plus en plus profond ; cette goutte-là l’avait traversée de part en part, en plein ventre, un beau trou, rond comme la section d’une artère, et quand Lydia se penchait au-dessus, elle voyait l’autre côté, derrière elle.

Partir, disaient-ils.

Sa paume s’aplatit sur la porte et elle cria d’une voix faussement enjouée.

— Bonne nuit, les copines !

Très important, le ton, les bêtes le sentaient, et son boulot à elle, c’était de les rassurer.

Les larmes enflèrent sous ses paupières. Rien ne coula. Elle avait trop pleuré. Un sanglot sec secoua ses épaules, unique et violent.

Biscotte !

La porte en chêne ferma à la perfection, Lydia s’en assura d’une frappe rapide. Pas de prise extérieure et les crochets tenaient bon. Entre les murs, ça ne piétinait déjà presque plus, le calme se déposait. Une illusion. La Sale Bête sûrement à l’affût.

Bien sûr, il y avait des pièges. Des années de prison et des milliers euros d’amende à la clef, aux dernières nouvelles, mais qui s’en souciait encore ici ? Depuis les orages et l’éclatement des roches avec le départ des glaciers, depuis les éboulis avaleurs de routes, de sources et de pâturages, depuis les coulées de boue et de chair, la justice des hommes s’était démembrée sous les pierres.

Les voisins en avaient même posé chez eux et près du puits commun avant de s’en aller, mais Arthurine s’y était pris une patte (amputer la copine, ça fait mal, elle clopinait gaîment sur trois pattes à présent, et ça faisait encore mal quand on la regardait) et Lydia avait dû tout « déminer ». Quelques oubliés se cachaient peut-être entre les pierres, elle restait prudente.

Quitter la vallée, vendre le troupeau, recommencer ailleurs, loin des orages à déraciner les rochers, dans une laiterie ou une fromagerie coopérative, pourquoi pas, elle avait toujours aimé ça.

Elle frotta ses genoux de pantalon pour enlever la poussière et s’avança, un pas après l’autre, dans ses brodequins à semelles épaisses, moulés sur ses pieds par la marche. Car elle marcherait dedans demain, comme tous les jours, rien ne changerait, avec ou sans Biscotte, pour monter aux Aiguilles, en face du pic du Loup — le bien nommé —, où poussait l’herbe grasse et parfumée. Les pâturages résistaient mieux que les humains. Elle ne partirait pas, elle l’avait dit, de cette vallée où elle avait grandi et qu’elle n’avait abandonnée que pour ses études. Sa vie s’y était organisée, entre les animaux, la vente directe de fromages secs, les chambres d’hôtes et les randonnées vers les cols. Aujourd’hui, même gueule cassée, ce long creux qui serpentait entre les pentes cariées jusqu’au cirque du Bec restait le plus bel endroit du monde, un échantillon du paradis, une partie d’elle, et elle s’y sentait bien, chez elle comme dans sa patate, vous ne pouvez pas savoir.

Biscotte, c’était juste une brebis parmi les brebis, elle en aurait d’autres.

À une centaine de mètres de la bergerie, le soleil rectangulaire de la fenêtre se détachait dans le noir, rassurant.

— Allez vous faire voir ailleurs !

Voilà ce qu’elle avait crié quand ses derniers voisins étaient venus lui dire au revoir dans leur van neuf acheté grâce à la prime gouvernementale de départ. Ils l’aimaient bien.

— Ça s’éboule de partout, encore un orage comme ça et tu sortiras les pieds devant.

Des lâches, aveugles à ce qui est beau et bon, et elle puait, leur bagnole. Ils s’en allaient à Gap ouvrir un kebab chic à la viande de mouton. Lydia leur avait fait des doigts en hurlant des insultes pour couvrir le bruit des pneus patinant sur les plaques désarticulées de ce qui restait de la route.

 

Les pieds devant… La veille, elle avait glissé dans la montée d’un pierrier tout récent, né de l’effondrement du sentier menant au pâturage. Par réflexe, elle avait planté son bâton de marche et retrouvé son équilibre au dernier moment ; un peu plus et elle dévalait la pente sur des centaines de mètres. Tomber, se casser la mauvaise vertèbre toute seule ici, aucun secours à attendre. Sa bouche s’assécha à ce souvenir.

« S’il m’emporte Ismène, je m’en vais », la phrase lui avait traversé l’esprit, en détachant bien chaque mot.

« Pars tant qu’il est temps », criait sa raison. Un cri ne brise pas une montagne.

À son retour dans la chaumière, la soif devint impérieuse. La lampe tempête pendue au plafond de la cuisine éclaira un gros bidon d’un blanc sale posé sur le plan de travail. Vide. Son petit robinet en plastique rouge couina sans lâcher une goutte. Lydia fronça les sourcils, il y avait tant à faire ici qu’elle en oubliait l’essentiel. Aller chercher de l’eau à cette heure la fatiguait d’avance.

Tout faire seule raccourcissait ses nuits.

D’une main lasse, elle attrapa deux seaux métalliques bosselés qui résonnaient comme des coups de tonnerre quand ils s’entrechoquaient — ceux en plastique s’étaient percés l’un après l’autre, on perdait autant d’eau qu’on en rapportait. Des increvables, ceux-là, qui avaient dû connaître sa grand-mère. D’une épaule, elle poussa la porte. Direction, le puits commun creusé par les voisins, en bas du terrain. On en remontait un liquide au goût ferrugineux prononcé, mais franchement, il n’y avait pas mieux aussi près.

La pompe apportant l’eau à l’abreuvoir s’était mise en route et le sol sec vibrait sous ses pas quand elle le longea. Quelle chaleur encore à cette heure ! Seuls les étoiles et un cil de lune la regardaient de leurs lumières froides.

Pas le glacier. Sa tête se tourna mécaniquement vers le point de repère de son enfance. Autrefois, en forme de X, comme la croix marquant l’emplacement d’un trésor sur une carte d’aventurier, son éclat luisait dans le noir. Un vrai phare. Il avait d’abord fondu sa jambe gauche au soleil pour devenir un Y, et très vite un V puis un simple trait tremblé, et enfin un peu de neige salie qui n’avait pas résisté aux chaleurs. De X à 0 en moins de dix ans.

Lydia ne s’y habituait pas. Ni au torrent dont il ne survivait qu’un filet plissé, mais qui avalait, déracinait, fendait tout quand il enflait sous la tempête, ni au silence des oiseaux qui préféraient voler à l’aube pour ne pas subir le feu du jour, ni au hameau désert. Ni à rien.

La vallée mutante chassait ses humains.

Quand allait-elle le comprendre ? Ici, il ne restait de l’avenir qu’un cadavre plat comme un rat sec.

La pompe qui raccordait le puits à la maison avait rendu l’âme et la nouvelle n’était pas encore arrivée. Elle devrait aller la chercher en ville.

Le premier seau racla le fond, remonta, lourd, attention à ne pas trop renverser, et tapa la margelle. Lydia essuya du poignet les gouttes sur son front en sueur, mais son bras transpirait aussi et elle rigola : ça glissait, ça en mettait partout.

C’est pourquoi elle ne vit pas tout de suite le loup éteint, allongé dans la poussière, et dont le flanc gris se soulevait à peine. Ses yeux luisaient. De surprise, elle lâcha le seau, l’eau coula. La Sale Bête lapa, étrangement couchée sur le côté.

Les doigts de Lydia serrèrent l’autre anse. Bord métallique pas très tranchant, sa seule arme. Ou le seau plein en guise de masse ? Dérisoire. Au même instant, elle réalisa son erreur : l’animal tentait de se lever et retombait aussitôt. Et surtout, il puait la carne. Ça ne trompait pas. Dans la nuit, elle distinguait à peine son corps flasque et s’avança à pas imprudents, le désir de vengeance dans les yeux.

— C’est toi qui bouffes mes copines, hein ?

Mais le prédateur faisait pitié : les voisins avaient dû poser l’un de leurs pièges tout près, derrière le terrain de Lydia, et les dents de métal arrondies avaient happé un morceau de jarret (comment le loup avait-il fait son compte ?), prélevant chair et tendons avant de le laisser s’enfuir — sûrement la veille, vu son état. Et il avait passé la journée écrasé par le soleil à ramper vers l’abreuvoir devant le puits. Du sang noir coagulé, des plaies roulées dans la poussière… Une grimace douloureuse plissa le visage de Lydia, comme si elle regardait ses propres blessures : ici, le glacier perdu, sous le genou, la crue dévastatrice du torrent, en haut de la cuisse, la montagne brisée, et là, la peau à vif sous la fourrure arrachée, Biscotte.

Les Sales Bêtes ont le cuir dur. Celle-ci avait saigné assez pour souffrir, trop peu pour en mourir.

Lydia hésita.

Quand même pas la laisser crever.

Elle a décapité Biscotte.

C’était vrai. Qu’est-ce qui lui prenait de vouloir sauver ce dévoreur ?

Pourtant.

Puis elle n’hésita plus.

Dans la chaumière, elle avait de quoi nettoyer les plaies des brebis, faire des pansements, poser des attelles, et même des cônes protecteurs pour empêcher les animaux de se gratter, mais rien pour anesthésier, rien que des sangles pour immobiliser. Ses gestes, l’urgence, comme quand elle ramenait une bête malade ou tombée, tout par cœur, sans rien se demander.

À son retour, plus de loup, seule sa puanteur persistait. Elle reprit son souffle, éclata de rire et un poids s’envola de sa poitrine. C’était mieux comme ça.

Elle aussi devrait s’en aller, franchement, tout se détraquait ici, la vallée s’ensauvageait, les animaux ne craignaient même plus les humains, ils sont chez eux, tu n’y as plus ta place, reconnais-le, ma vieille.

Alors qu’elle jetait d’un geste brusque le deuxième seau au fond du puits en se demandant à nouveau pourquoi elle avait eu l’idée stupide de le soigner, un gémissement aigu s’éleva. Sans lâcher la corde, Lydia se pencha sur le côté. L’animal s’était traîné jusqu’au pied de l’abreuvoir. Dessous, l’eau qui gouttait de la pompe avait formé une flaque et la langue grise sous la lune léchait le sol humide. Il haletait. Son poil terne se soulevait à intervalles irréguliers sur ses côtes à l’arrondi régulier.

Lydia sortit le seau sans gestes brusques, le posa et s’avança vers la bête, pour mieux voir la blessure. Un genou en terre, la paume à plat sur l’autre, elle se courba à distance prudente. La plaie avait mauvaise mine.

Dans un sursaut inattendu, le loup s’élança sur elle. La terreur glacée monta aux yeux de Lydia puis à sa gorge en un cri qui la surprit ; esquivant d’un pas de côté, elle frappa le crâne au jugé, un doigt dans l’orbite, et déjà il était retombé à ses pieds avec un bruit mat et des geignements.

L’air entrait par à-coups dans les poumons de Lydia, tandis que les battements de son cœur peinaient à se calmer. Maudite bête, répéta-t-elle en hoquetant des restes gluants d’effroi, elle ne l’aurait pas crue si lourde, puis elle examina ses mains, ses bras, son T-shirt lacérés. Même son jean pendait, pelé sur la hanche. Sous le sang, il n’y avait presque rien, en fait, de larges éraflures faciles à désinfecter. Quitte pour une grosse frayeur. L’absence de morsure montrait la faiblesse de l’animal, une pauvre bête à soigner qui avait pris peur. Comme Ismène, la dévoreuse de fleurs, qui lui avait déchiré une manche de chemise en se débattant de tous ses sabots quand la tondeuse de Lydia avait dérapé derrière ses oreilles.

Désinfecter ses propres plaies l’apaisa.

— À ton tour, maintenant.

Comme avec une brebis, mais qui aurait des crocs.

Avec des gestes lents et prudents, elle serra les sangles plates autour du museau du loup, puis des pattes avant. Son sursaut récent l’avait tellement épuisé qu’il détournait la tête sans force.

Heureusement parce qu’elle faisait ça n’importe comment, en tremblant.

Sous sa main, le cœur puissant fouettait les artères. L’animal entravé claqua des mâchoires malgré les pinces. Elle tira plus fort sur l’attache, et allez ! s’assit à califourchon, tête-bêche, sans l’écraser, comme quand elle donnait ses gouttes à Arthurine. La queue molle frappait le sol, soulevant des volutes brunes de terre sèche, les flancs battaient vite entre les cuisses de Lydia tandis qu’elle inspectait la plaie, en évitant les pattes qui lui griffaient les hanches et les bras. Concentrée, elle écarta les poils de la chair à vif. Les sanies se mêlaient aux croûtes de sang et à la poussière. Elle sortit les compresses et le désinfectant et nettoya tout ça. Le soigner lui faisait du bien, comme si elle étalait du baume sur son propre corps.

Il te croquera Ismène un jour.

Son geste se cassa net, les doigts serrés autour de la gaze. Le loup serait toujours là pour égorger les brebis, les effrayer à les dérocher et tarir leur lait.

Toi aussi, il te mangera.

Lydia se tortilla, mal à l’aise.

Ainsi vivent les animaux.

Les copines acceptaient cette menace et tout le reste, pourquoi pas elle ?

Tu es une brebis, maintenant ?

Avec soin, elle désinfecta le long de la cuisse déchiquetée, une vraie saloperie ce piège, et fixa les compresses avec deux bandes adhésives en croix comme elle le faisait depuis des années. Une patte de loup ressemblait beaucoup à une patte de brebis, finalement.

La bête ruait dans tous les sens. Lydia se félicita de peser soixante kilos, raffermit sa prise et termina les pansements. Voilà. Il ne manquait plus que l’étui de protection en néoprène autour de la jambe, bien serré par les attaches autoagrippantes pour qu’il ne puisse pas les arracher, enfin, pas tout de suite. Elle se retourna vers la tête de l’animal qui haletait dans son dos.

— Bientôt fini.

Le regard qu’il lui rendit la figea. Il n’essayait plus d’échapper à son étreinte et semblait même comprendre ses intentions. Avec les brebis aussi elle ressentait souvent ce lien, mais elles se connaissaient bien ; ce loup, elle le rencontrait pour la première fois.

Le corps velu se raidit : elle l’avait pincé. Tout en douceur, elle changea de position, fit descendre l’étui et vérifia que rien n’empêchait le pli du genou. C’était bon.

Alors il leva le museau et la scruta à l’envers, la truffe au-dessus des yeux, droit dans les pupilles. Les cheveux de Lydia se hérissèrent. La tête du loup ne ressemblait pas du tout à celle des chiens qu’elle connaissait. Un gros crâne, des crocs longs comme des doigts, un regard mi-clos à faire rapetisser jusqu’à la taille d’une proie celui qui s’y plongeait, et une gueule qui n’en finissait pas.

Une reptation étrange fureta le long du dos de Lydia. De la peur ? Non.

Les iris jaunes la nommaient, d’animal à animal.

Ce n’étaient pas un nom, à vrai dire, mais ça parlait mieux encore, ça échangeait des plissements de fourrure à peau nue, ça se déplaçait entre ses poils dressés sur les bras, ça lui traversait les oreilles puis la bouche le long de la racine de la langue, ça lui montait en haut du nez, ça lui rentrait par les pores comme des vers très fins et blanchâtres mesurant des centaines de mètres et ça devenait elle et grâce à ce nom donné par la bête, elle comprenait, désormais animal de la vallée parmi tous les autres.

Ça susurrait aussi qu’il mangerait des brebis, et qu’un jour, si Lydia glissait en grimpant un pierrier sans pouvoir se relever, alors il viendrait sur sa patte rafistolée, l’achèverait avec tout le savoir-faire des prédateurs, s’en régalerait et en laisserait pour les suivants.

La sensation fourmillante enfla, à la fois froide et sereine, dura comme un glacier qui fond puis éclata.

Deux yeux jaune d’or.

Lydia resta immobile quelques instants, tenant le loup, dans la tiédeur déployée au-dessus de la vallée.

On en est tous les deux.

Dès qu’elle le détacha, il s’enfuit en se traînant dans le noir.

— Si je te vois près de mes copines, je te fais la peau !

 

— Haï ! Haï !

Lydia trottinait avec le troupeau sur le sentier menant au col des Aiguilles, Ismène à ses côtés.

Humant les derniers effluves de la nuit, elle releva la tête vers la crête encore dans l’ombre puis sauta sur la « dalle plate », énorme roche en pente qui avait donné son nom à ce lieu-dit, et ultime étape avant les pâturages. La pierre attendait l’aube pour se dilater.

Dans la montée rude entre les arêtes tranchantes, les brebis gardaient une patte sûre et Lydia ne glissait pas. Enfin, elles foulèrent ensemble le col gris et le troupeau arracha avec bonheur les pousses vertes. L’œil aux aguets, Lydia passa entre les copines, tapotant et triturant affectueusement les toisons, jusqu’à Ismène. Elle se pencha et frotta son visage contre le mufle de la gourmande qui se pourléchait à ses côtés. Le bruit de la mastication résonna le long de sa joue.

D’ici, on ne distinguait pas sa chaumière, seulement quelques taches brunes aussi petites que des crottes de mouton, les maisons désertées, et l’adret encore sombre, là où la montagne s’était disloquée. Au loin, les sommets bleuissaient, et devant elle, à sa hauteur, se creusait la roche à l’emplacement du glacier tué.

Le soleil mordit soudain la crête aux oreilles ovales. En quelques secondes, leur gris dentelé vira au rose, fondit puis laissa couler sur les pentes effondrées deux gouttes jumelles d’un jaune d’or acide qui s’étendirent et se rejoignirent pour n’en former qu’une, prête à enfler tout le jour, à descendre avec lenteur jusqu’au fond et à lécher sa patate et son toit, son chez elle. Lydia sourit aux cimes.


© CLAIRE GARAND

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