Les voyez-vous ces deux amants qui s’embrassent sur les bancs publics ? Et ces deux autres réunis par le hasard bienheureux des lumières tamisées et d’une musique qui rapproche les corps, comme si les amants étaient deux aimants ? Tout ce qui fait l’éveil des sens amoureux et la friction des corps ne peut trouver sa naissance que dans des lieux qui ont été approuvés par la collectivité comme étant des lieux d’amour.
FICTIONS ET TABOUS DE L’AMOUR
Jusqu’à la moitié du siècle dernier, il était de coutume que la séduction ait lieu dans des bals musettes, des fêtes de village ou dans tous les lieux possibles. Nos moyens de communication modernes n’existaient pas encore et il n’y avait pas de limite aux lieux de rencontre dominés en priorité par l’homme dans une situation d’affirmation de la virilité par une forme de « chasse », dans la rue ou au travail[1].
Depuis l’apparition des smartphones, des applications et des questionnements sur les rapports de domination entre hommes et femmes, l’amour, qui est de l’ordre du domaine de l’intime, est à présent séparé du reste des activités humaines. La loi du 3 août 2018[2] fonctionne en ce sens en limitant les intrusions extérieures dans la sphère de l’intime. La déconstruction du patriarcat passe nécessairement par la réinvention des interactions amoureuses dans un climat où la fluidité et la volatilité des relations sociales, économiques et culturelles priment sur des valeurs de stabilité, pour reprendre le concept majeur de « société liquide[3] » du sociologue polonais Zygmunt Bauman.
Cette société liquide se caractérise par le changement constant, l’incertitude et la déconstruction des structures traditionnelles dans le prolongement du poststructuralisme[4]. Dans le cadre de l’amour, on peut présupposer la fabrication de plusieurs non-lieux[5] de l’amour. Cinq caractéristiques définissent la société liquide et se retrouvent dans chaque aspect de la vie amoureuse moderne :
- Flexibilité des identités : Les individus dans une société liquide sont amenés à réinventer leur identité en réponse aux changements rapides de leur environnement. Dans l’amour, cela passe par l’expérimentation de nouvelles formes de sexualité et de l’exploration de ses orientations.
- Précarité : Les relations sociales, y compris l’emploi, deviennent plus précaires et instables. Les engagements à long terme sont remplacés par des relations plus éphémères. L’idée de swiper un profil sur le non-lieu que constituent les applications permet d’isoler davantage les relations dans le non-lieu de la séduction.
- Individualisme : La société liquide favorise l’individualisme, où les individus sont incités à se concentrer sur leurs propres intérêts plutôt que sur des liens sociaux durables. L’explosion des différentes formes d’amour[6]pratiquées est liée à cette augmentation du sentiment de primauté de l’individu sur le collectif dans un mouvement qui prend ses origines au xviiie siècle comme l’a démontré Norbert Elias dans son ouvrage La Civilisation des mœurs[7]. L’épanouissement personnel prime sur le reste.
- Globalisation : Les frontières traditionnelles deviennent de plus en plus poreuses, avec des influences et des échanges culturels se produisant à l’échelle mondiale. Chacun construit son propre bagage culturel, sa propre vérité, ce qui provoque des difficultés de compatibilité tenaces où les informations se contredisent, s’entrechoquent et ne sont jamais stables.
- Consommation rapide : La société liquide est souvent caractérisée par une culture de la consommation rapide, où les biens et les relations sont consommés et jetés rapidement.
Ces caractéristiques mentionnées par Bauman révèlent les changements profonds dans la nature de la société contemporaine inscrite dans de nouveaux défis et opportunités qui découlent de cette fluidité. La législation empêche la séduction sauvage, la chasse virile toxique d’une part. Cependant, les applications de rencontre permettent de créer un non-lieu, virtuel, qui aseptise la relation, qui la rend neutre. Un acte qui se veut éminemment intime nie le comportement de deux parties derrière une première fiction : « faisons comme si nous apprenions à nous connaître ».
Le deuxième paradoxe de l’amour dans cette société liquide est sa séparation du reste des activités tant qu’il n’est pas partagé. Au contraire, quand cet amour est partagé, il est exhibé comme un nouveau marqueur social. La recherche discrète a porté ses fruits au prix des tarifs exorbitants des applications, des boîtes de nuit et autres bars qui contribuent à créer une véritable « économie amoureuse ». Avec ironie, on pourrait presque dire que le célibat rapporte bien plus que la vie de couple.
Le dernier paradoxe transparaît dans un autre non-lieu, l’espace social, qui favorise l’extériorisation de nouvelles formes amoureuses fluides et de marqueurs au travers d’événements tels que le couple day[8] ou la Saint-Valentin. L’amour devient instagrammable et exhibe une nouvelle conception de l’amour.
LES LIEUX SYMBOLIQUES DE L’AMOUR
Des premiers papillons dans le ventre à la première fois, un nouveau non-lieu se crée : le couple. Dès que l’expression « Je t’aime » est prononcée, elle est performative et appelle, dans une conception judéo-chrétienne, l’autre expression performative du mariage « Oui, je le veux »[9].
Le non-lieu du couple fait dès lors partie intégrante de la loi du « comme si » propre à la fiction. Le Nous ne pourra jamais effectivement exister à tout prix[10], mais on présuppose son existence, on l’accepte comme une vérité palpable, alors qu’il n’en est concrètement rien.
La deuxième étape consistera à accepter l’intrusion de l’autre dans le lieu de l’intimité, ce que la linguiste Julie Neveux appelle le passage des espaces croisés aux espaces partagés. Le couple, lieu imaginaire, s’incarne au sens étymologique, il « prend corps » dans la maison, dans l’appartement, et ne fait que réactualiser les pratiques traditionnelles. Malgré la déconstruction du processus de séduction, la finalité reste la même : un jeu d’allers et retours entre deux lieux. Le mariage lui-même n’est qu’une atténuation de l’enlèvement nuptial originel dont nous avions parlé dans un précédent article de la revue[11].
Dans l’échelle de l’intime, il est un dernier lieu qui appartient plus que tout à Nous : « faire l’amour ». Peu importe qu’il s’agisse de le faire dans un lit ou tout autre lieu insolite, faire l’amour renvoie à l’activité de fabrication. Il s’agit là encore d’une fiction. L’expression atténue la réalité taboue de la sexualité derrière ce non-lieu de la « fabrication » de l’amour, qui, dans le cadre d’une relation durable, est déjà présent avant l’acte sexuel[12].
UN SEUL ÊTRE VOUS MANQUE ET TOUT EST DÉPEUPLÉ
Comme le laisse entendre Roland Barthes dans les Fragments d’un discours amoureux[13], « le sujet amoureux perçoit l’autre comme un Tout » et le perçoit comme un être parfait. Sous une forme de radiance amoureuse, tout ce que fait l’être aimé devient amour. C’est là le vrai sens de « faire l’amour ». Tout ce qui était vide et terne devient adorable, puisque l’autre y est présent. Ce sentiment est même si puissant pour le sujet amoureux qu’il cherchera par tous les moyens à renforcer cette présence de l’être aimé dans la constitution du Nous par la fabrication d’expressions propres au couple, qui n’appartiennent qu’à eux. La création d’un langage est concomitante à la création du lieu du couple afin de subvenir au besoin crucial du couple de réussir à s’élever au-delà du degré zéro de l’expression amoureuse : j’aime cette personne, pas une autre, et nous devons, à ce titre, affirmer que nous sommes uniques ensemble.
Dans le cas contraire de la rupture, le sujet amoureux regrette l’absent. Le choc le plus puissant pour le sujet est de réaliser au travers d’un deuil douloureux que la vie de l’être aimé continue comme si de rien n’était. Seul le sujet amoureux a pleinement conscience de cette radiance de l’être aimé. Les lieux ne sont plus les mêmes et c’est véritablement comme un fantôme que le Regretté y vit. Finalement, c’est une catastrophe bien pire qui éclate au visage du sujet amoureux. Si la vie suit encore son cours, si les lieux sont pleins de l’autre, c’est que le sujet n’est peut-être plus lui-même à sa place et plus personne n’a besoin de lui pour exister. Les lieux d’amour se retrouvent désespérément vides.
REPRÉSENTATION DES SPATIALITÉS DE L’AMOUR ENTRE LES LIEUX ET LES NON-LIEUX : L’AMOUR DE L’AUTRE OU L’AMOUR DES LIEUX ?
S’il est vrai que les amants s’aiment, c’est sans doute car leur relation s’inscrit dans une temporalité particulière : les souvenirs – du lieu de leur rencontre, de leur premier baiser, etc. – sont des marqueurs de la mémoire de leur histoire. Des points de repère dans des relations qui s’éternisent, plus ou moins. L’on estime souvent la naissance de la mémoire à l’âge des premiers mots de l’enfant : il faut un support pour pouvoir poser les souvenirs – le langage en est un. Cependant, parler ne suffit pas (toujours) à créer un souvenir, le contexte est tout aussi important : les odeurs, les lieux, les personnes présentes… L’aménagement du territoire tient de cela : améliorer le cadre de vie des populations en leur permettant d’y créer des souvenirs afin de se l’approprier. La nature même de l’espace découle des usages : le passant au travers de son activité (usage) s’approprie l’espace – il lui donne un caractère, une utilité… –, et ce faisant, il le conditionne. Ainsi, les représentations d’un même espace sont indénombrables et riches des perceptions de chacun : pour certains, le Pont-Neuf de Paris, est la quintessence du chic parisien et de l’amour à la française, pour d’autres, il ne représente qu’un espace de plus à traverser.
Là où les non-lieux de l’amour suggèrent une immatérialité de la chose, leur longévité suggère un certain attachement à ces lieux : l’individualisme ambiant permet de ne plus s’investir autant qu’avant dans les relations, l’exemple des applications de rencontre est éminent. Il fait de l’amour un bien marchandable, que l’on peut chercher pour le loisir et le plaisir du divertissement, ou à l’inverse, pour tenter de trouver la mystique « âme sœur ». Quoi qu’il en soit, la libération des mœurs et la primauté misent sur l’individu, laissent sous-entendre une permanence de ces lieux d’amour.
ALORS, AIMER LE LIEU PLUS QUE L’INDIVIDU MÊME ?
En mettant de côté les non-lieux évoqués précédemment, les lieux physiques – autrement dit, concrets – permettent d’ancrer les souvenirs et de contextualiser le vécu des sujets. Pour autant, il n’est plus à prouver l’existence d’un certain désamour des villes – surtout des grandes villes – évoqué dans un article antérieur de la revue[14]. Sans pour autant quitter les grandes villes au profit des campagnes, les citadins aux revenus aisés font parfois le choix d’aller vivre dans des espaces qui se trouvent à proximité de leur lieu de travail. Cette demi-mesure, qui leur garantit un confort de vie agréable et une accessibilité accrue du fait de la proximité des services, se retrouve dans les trajectoires de vie d’autres individus – la vaste classe moyenne – sans qu’elle soit, pour autant, vécue de la même façon. Les contraintes budgétaires liées à l’augmentation du coût de la vie et de la baisse du pouvoir d’achat des ménages altèrent l’appropriation des usagers d’un espace et par conséquent, les usages qu’ils en ont. En 2000, la vie à distance des villes – renvoyant au fameux rêve pavillonnaire – semblait viable et pérenne : le prix au litre du gazole était de 0,93 centime et celui du sans-plomb 98, de 1,1 euro[15]. Près de vingt ans plus tard, la situation économique est radicalement différente : les ménages les moins fortunés sont en proie à un goulot d’étranglement qui les contraint financièrement. Ce constat appelle sans doute à renouer les liens entre localité et individus afin de limiter les besoins excédentaires en déplacement : cela suggère évidemment une remise en cause fondamentale de notre système économique – implantation des industries, modes de déplacement, etc.
L’urbaniste Carlos Moreno, dans une publication du 21 février 2020[16], propose de questionner l’amour que l’on porte aux lieux afin d’y retrouver un intérêt et d’entrevoir un potentiel ancrage dans le temps. L’idée de « faire sa vie » quelque part – et pas ailleurs, car il n’existe nul autre lieu similaire – nous invite à questionner notre rapport au temps. Si les hommes fustigent la ville, c’est qu’elle porte en son sein son lot d’inconvénients : le fameux rythme « métro-boulot-dodo ». C’est ce qu’il appelle le temps linéaire, « l’horloge qui marque le pas de la vie urbaine, avec ses obligations entraînant des accélérations quasi permanentes ». Carlos Moreno propose de reconsidérer la conception grecque du temps, à savoir « le Kaïros, le temps de la création opportune, celui de l’instant où se cristallise l’action, celui de la profondeur de l’instant, et le Aiôn, celui de la force de la vie, de l’immanence, de l’individuation, de la durée de vie illimitée », afin de l’intégrer à nos nouveaux modes de vie. Le temps linéaire aurait quasiment perdu la totalité de son âme intérieure – celle de notre humanité qui nous régénère, l’Aiôn – et celle de la flamme créatrice lorsque l’opportunité est saisie, le Kaïros. Selon lui, cette approche se ressent dans la ville du quart d’heure comme une solution à l’entre-soi permettant de se défaire des contraintes en transformant chaque lieu en une multitude de possible : partir d’un urbanisme fonctionnel utilitaire pour arriver à un urbanisme par les usages[17] en cassant le rythme frénétique du Chronos qui quantifie et règle l’usage de notre temps de vie. Finalement, c’est prendre conscience que d’autres temps existent pour commencer à apprécier véritablement les lieux qui nous entourent. Ce qui s’apparente au chrono-urbanisme ne peut suffire à retrouver le désir de ville en luttant contre les peurs qu’elle véhicule et que l’Homme amplifie. Ainsi, la chronotopie[18] permettrait de faire converger nos espaces et nos temps de vie (règles de vie commune, apprivoisement des lieux, etc.) et la topophiliepermettrait, quant à elle, d’être le support d’une appropriation de la mémoire vivante, « d’une rencontre entre moi-même, ma sociabilité et les lieux qui m’entourent ». En effet, si les individus se sentent appartenir à un espace, ils auront tendance à l’incarner, à le défendre et à le protéger, que ce soit dans un bar avec des amis quand il faut trancher la question « les Bretons sont-ils les plus chauvins ? » ou bien dans la vie quotidienne : cela se traduit par un respect plus grand des aménagements urbains et donc, une plus grande durabilité dans le temps.
Ces trois éléments – le chrono-urbanisme, la chronotopie et la topophilie – permettent de donner vie au Kaïros. L’Aiôn renvoie, lui, à « l’amour que nous portons en nous » qui se manifeste et s’amplifie lorsque nous parcourons les lieux qui sont les nôtres.
« C’est l’amour des lieux, l’amour des possibles de chaque lieu, l’amour de la vie dans chacun de ses lieux ».
En somme, l’amour des uns n’est rien sans l’amour du reste. L’on ne peut aimer que dans un certain contexte – qui n’est pas nécessairement positif – et implique d’être ancré quelque part, au milieu de tout, et qu’un rien distingue pourtant du reste. Redonner des raisons d’aimer les lieux, qu’il soit question de la ville, du jardin public, ou d’une ancienne friche, pour permettre aux individus, de s’aimer eux et d’écrire leur histoire, avec en vue, « l’humanité au bout de la rue ».[19]
© CAMILLE GOLUNSKI & BENJAMIN DEMASSIEUX
NOTES :
[1] Clarissa Pinkola Estés, Femmes qui courent avec les loups : Histoires et mythes de l’archétype de la femme sauvage, 1989, le Livre de Poche.
[2] Il s’agit de la loi contre le harcèlement dont voici les différents titres :
Titre Ier : DISPOSITIONS RENFORÇANT LA PROTECTION DES MINEURS CONTRE LES VIOLENCES SEXUELLES (Articles 1 à 10)
Titre II : DISPOSITIONS RELATIVES AUX DÉLITS DE HARCÈLEMENT SEXUEL ET DE HARCÈLEMENT MORAL (Articles 11 à 14)
Titre III : DISPOSITIONS RÉPRIMANT L’OUTRAGE SEXISTE (Articles 15 à 18)
Titre IV : ÉVALUATION (Article 19)
Titre V : DISPOSITIONS RELATIVES À L’OUTRE-MER (Article 20)
[3] Zygmunt Bauman, La vie liquide, 2013, Pluriel, Fayard.
[4] Helen Pluckrose, James Lindsay, Le Triomphe des Impostures Intellectuelles, H&O, 2021. L’ouvrage a pour thèse de déconstruire les théories sur le genre, sur la race et les formes d’oppression pour en démontrer les biais de pensées qui nuisent à la recherche et se fondent sur une mauvaise compréhension de la pensée poststructuraliste.
[5] Il s’agit de lieux suggérés, imaginaires et qui, sans avoir de matérialité ont une existence symbolique importante pour le couple et son univers.
[6] Sapiophilie, couple libre, polyamour pour n’en citer que trois.
[7] Norbert Elias, La Civilisation des mœurs, Calmann-Lévy, éd. 1994.
[8] Journée internationale des couples.
[9] John Langshaw Austin, Quand dire c’est Faire, Essais, Points, 1991.
[10] C’est le désir de fusion pour retrouver l’androgyne originel que mentionne Platon dans le Banquet. Les êtres humains recherchent désespérément la moitié perdue.
[11] Benjamin Demassieux, « Ravissement et enlèvements : parcours d’une violence atténuée », Phusis, décembre 2023.
[12] Julie Neveu, Le langage de l’Amour, De la rencontre à la rupture, comment les mots révèlent nos sentiments, Grasset, 2022, p.106 et ss : « Ce non-lieu est le lieu de la retrouvaille. Il s’initie par l’idée de “faire l’amour”, mais occulte le plus souvent ce non-lieu qui fait tout. La plupart des langues indo-européennes renvoient à l’idée d’avoir du sexe. »
[13] Roland Barthes, Fragments d’un discours amoureux, Seuil, 1977, entrées « adorable » et « regretté ».
[14] Camille Golunski, « Est-on plus libre loin de la ville ? Urbanisme et liberté, une histoire morcelée », Phusis (décembre 2023)
[15] Statista. (2023, 20 septembre). Prix du litre du carburant en France métropolitaine 1992-2023. https://fr.statista.com/statistiques/1302725/prix-carburant-france/
[16] Brain, S. (2020, 21 février). Proximité urbaine et l’amour des lieux – Carlos Moreno. Carlos Moreno. https://www.moreno-web.net/proximite-urbaine-et-lamour-des-lieux-chrono-urbanisme-chronotopie-topophilie-par-carlos-moreno/
[17] L’urbanisme fonctionnel utilitaire renvoie à la ville moderne de Le Corbusier. Chaque espace est doté d’une fonction et d’une utilité : le logement est, par exemple, une « machine à habiter » (les couloirs sont les rues du dehors et permettent aux gens d’y circuler même si, concrètement, il n’appartient à personne).
L’urbanisme par les usages se base sur les pratiques des individus pour aménager les espaces qu’ils fréquentent. L’idée, ici, est de quitter la conception moderniste selon laquelle chaque espace a une fonction, pour entrer dans celle où chaque espace est un groupement d’usages différents qui correspondent à une diversité de pratiques. Ainsi, l’ancienne théorie du parcellaire monofonctionnel devrait laisser sa place à un parcellaire multifonctionnel : viser la densification, plutôt que l’étalement des activités.
[18] Le chrono-urbanisme est une analyse de l’urbanisme par le temps : la réflexion portée sur le temps linéaire est le résultat du rythme de la vie urbaine. La chronotopie, elle, s’inscrit dans l’idée de faire se rejoindre les espaces que nous pratiquons et les règles explicites (et implicites) qui les régissent. La chronotopie tient évidemment compte du temps, mais de façon bien différente : là où le chrono-urbanisme analyse le temps qui régit la vie urbaine pour comprendre les rythmes urbains « repoussoirs », la chronotopie tient compte du temps pour appréhender les espaces et l’évolution de leurs usages compte tenu des règles qui les régissent.
[19] En d’autres termes : nous pouvons aimer les individus qui nous entourent et si nous pouvons le faire, c’est grâce à l’ancrage, aux appréciations et/ou perceptions que les individus ont de l’environnement dans lequel ils évoluent. Cet espace se distingue des autres du fait du lien particulier qui s’est tissé avec l’individu, qui le pratique quotidiennement ou momentanément. Il faudrait redonner des raisons d’aimer les espaces – quels qu’ils soient – pour permettre aux individus de continuer à aimer ceux qui les entourent. Retrouver cet amour dans des espaces qui en semblent dépourvus permettrait de voir réapparaître l’humanité dont nous sommes faits dans des espaces qui semblent s’en être éloignés – pour des raisons économiques, idéologiques, etc.