La cour de récréation d’un lycée ou d’un collège est le lieu des rires, des jeux d’équipes, des conversations disciplinées. Malheureusement, elle est également marquée par le harcèlement, lequel est aujourd’hui un fléau non seulement à comprendre mais également à combattre. Pour cette interview, nous nous sommes entretenus avec Lætitia Veiras, conseillère du Recteur au rectorat de Rennes sur la prévention et la lutte contre les discriminations et le harcèlement.
Qu’est-ce que le harcèlement ?
Le harcèlement à l’école est un comportement agressif et répété qui vise à intimider, blesser ou humilier une personne. Il peut se manifester par des insultes, des moqueries, des menaces ou des violences physiques de la part d’un ou plusieurs élèves. Ce comportement crée un déséquilibre de pouvoir, un rapport de force et de domination entre l’agresseur et la victime, et peut avoir de graves conséquences sur la santé mentale et le bien-être de la personne harcelée.
Le harcèlement se fonde généralement sur le rejet de la différence et sur la stigmatisation de certaines caractéristiques : différences de force physique, de popularité, de statut social, de genre, de race, de religion ou d’autres caractéristiques personnelles. La victime se retrouve isolée et dans l’incapacité de se défendre.
Il me parait opportun de rappeler l’existence de la plateforme 3018 pour tout renseignement ou signalement.
Quels sont les signes qui alertent sur un cas de harcèlement ?
Les changements soudains ou marqués dans le comportement de l’enfant, tels que l’isolement social, la réticence à participer à des activités, une baisse de la performance scolaire, des troubles du sommeil doivent alerter. Des réactions émotionnelles intenses qui peuvent parfois paraître disproportionnées par rapport à la situation mais aussi des signes physiques, le plus souvent des maux de tête ou de ventre fréquents également.
Une perte d’intérêt pour les activités qui étaient autrefois appréciées, le retrait des réseaux sociaux ou encore des difficultés à entretenir des relations interpersonnelles, des conflits récurrents avec des pairs, des problèmes dans les relations amicales ou amoureuses sont là aussi des alertes à ne pas négliger.
La présence de l’un de ces signes ne garantit pas nécessairement qu’une personne est victime de harcèlement, mais elle est sans nul doute révélatrice d’un mal-être qui nécessite une attention particulière et un accompagnement.
Les protocoles de traitement des situations de harcèlement mis à la disposition des écoles, collèges et lycées par le ministère de l’Éducation nationale proposent une liste de signaux faibles qui doivent alerter. Ces documents sont en accès libre sur le site Eduscol.
Pourquoi avoir choisi ce secteur?
J’ai choisi d’exercer dans l’Éducation nationale, service public d’éducation, porteur de valeurs auxquelles je suis attachée.
J’ai débuté il y a 25 ans en tant que surveillante d’externat (ancien statut des assistants et assistantes d’éducation), puis conseillère principale d’éducation, cheffe d’établissement et je suis maintenant conseillère du recteur chargée des politiques académiques de lutte contre les discriminations.
Je suis convaincue que l’école peut permettre à chaque enfant d’exprimer son plein potentiel, qu’elle peut donner à chaque individu les mêmes possibilités de réussite, quelles que soient ses particularités et ses origines. La mission des adultes au sein de l’institution est ainsi de se porter garant de conditions d’éducation optimales pour tous et toutes, de placer les élèves dans les meilleures conditions de vie individuelle et collective, de réussite scolaire et d’épanouissement personnel. Dès lors qu’un enfant subit des violences, qu’il exprime un mal-être à l’école, il ne sera plus en capacité d’exprimer tout son potentiel. Il revient aux adultes de l’aider à grandir sans ces entraves et c‘est ce qui guide mon action quotidienne.
Le Ministère met l’accent cette année sur une « formation systémique des professeurs stagiaires » quels sont les différents points de cette formation ?
Cette formation est dispensée au sein des instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation. Les INSPÉ sont des instituts professionnels de formation des enseignants et des personnels d’éducation.
Dans un premier temps, la formation aborde le cadre juridique et institutionnel, suivi des avancées récentes de la recherche sur le harcèlement. Par la suite, elle aborde le programme PHARE, les protocoles de gestion des situations de harcèlement et la détection des signaux faibles. Enfin, la lutte contre le harcèlement, plus largement les violences dans le cadre scolaire, est étroitement liée aux compétences psycho-sociales dans les apprentissages (en particulier les compétences relationnelles, l’empathie et la conscience de soi), c’est donc un point important de la formation.
Nous travaillons en étroite collaboration dans un souci de cohérence et de continuité entre la formation initiale dispensée dans les INSPE et la formation continue proposée par le rectorat dans le cadre du plan académique de formation. Notre objectif est commun : former tous les personnels à la lutte contre le harcèlement à l’école.
Nous ne pouvons pas ne pas parler du cyberharcèlement qui pose une difficulté supplémentaire : c’est un type de harcèlement caché, qui relève a priori du secteur privé. Comment l’école peut intervenir contre celui-ci ?
Les établissements scolaires sont confrontés au défi du cyberharcèlement, un phénomène parfois difficile à détecter, car il se produit le plus souvent en dehors des heures de classe et des murs de l’établissement. Cependant, il existe souvent un lien entre ce qui se passe à l’école et son prolongement en ligne sur les réseaux sociaux. Ce sont souvent les mêmes élèves, victimes ou auteurs, qui sont concernés. En ligne, les propos sont souvent plus violents et se répandent très rapidement. Ils poursuivent la victime dans « le monde réel » et les conséquences sont graves, elles nuisent à sa santé mentale et in fine à sa réussite scolaire. Nous comprenons alors que l’école se doit d’intervenir dans ces situations.
Par ailleurs, L’école joue un rôle essentiel dans la prévention du cyberharcèlement en outillant les élèves, les parents et les personnels, en diffusant des informations, des ressources et des stratégies pour promouvoir un comportement respectueux en ligne.
Plusieurs outils sont à la disposition des établissements scolaires : l’éducation aux médias et à l’information (EMI) a pour ambition de développer chez les élèves la capacité à penser de manière critique, de leur permettre d’agir de manière éclairée à travers des médias variés, ou encore l’attestation PIX de sensibilisation au numérique, qui offre depuis cette année aux élèves de 6e un parcours « Protection et sécurité numérique » qui contient un focus sur le cyberharcèlement et sa prévention.
La collaboration avec les parents est essentielle et incontournable. Il convient de les informer sur les risques associés à l’utilisation d’Internet, des réseaux sociaux, le rôle qu’il et elle joue pour accompagner les enfants. Les associer à des actions de prévention contribue à créer un partenariat solide entre l’école et la maison pour soutenir les élèves en ligne.
Depuis la loi du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire, ce phénomène est reconnu comme un délit. Sensibiliser les élèves au harcèlement n’est-ce pas également les sensibiliser sur les risques qu’ils encourent? Si oui, par quels moyens?
Reconnaître le harcèlement comme un délit renforce les mesures de prévention et de protection des victimes, et envoie un message clair : tolérance zéro envers ces violences.
Le rappel de la loi revêt une grande importance dans la prévention du harcèlement et du cyberharcèlement à l’école, car il offre aux élèves les connaissances et les compétences requises pour exercer leurs droits de manière responsable et respectueuse, tout en assumant leurs responsabilités envers eux-mêmes et envers la société.
Cette loi s’inscrit en complémentarité de la mise en œuvre de la méthode de la préoccupation partagée (MPP) qui se révèle efficace dans le traitement de la très grande majorité des situations rencontrées. Cette méthode non blâmable, se caractérise par une grande préoccupation à l’égard de l’élève cible que l’on veut partager avec les élèves intimidateurs. Ceux-ci deviennent acteurs de la résolution de la situation.
La question des droits et des devoirs des élèves trouve sa place dans les enseignements et les programmes scolaires, mais aussi dans des actions spécifiques. Les débats en classe sur des sujets liés aux droits humains et à la citoyenneté, des projets interdisciplinaires permettent aux élèves d’explorer ces concepts de manière concrète. Il convient aussi d’encourager les élèves à s’impliquer dans des projets ou des actions qui promeuvent la justice sociale ou le respect des autres, que ce soit à l’échelle de l’école et au-delà.
© BASTIEN FAUVEL