Claire Garand est autrice de nouvelles et de romans réalistes ou de genres, qui explore les tréfonds du vivant en situation de crise.
Après des études de littérature et d’humanités classiques, elle est devenue professeur de lettres en lycée français à l’étranger, puis conservatrice des bibliothèques, attachée culturelle et organisatrice d’événements littéraires. Elle a notamment créé le festival littéraire Tandem à Nevers, avec l’écrivain Arnaud Cathrine. Elle se consacre aujourd’hui à l’écriture sous son propre nom ou sous d’autres car elle exerce la profession de prête-plume.
Ses romans ont reçu plusieurs prix : Les maîtres de la lumière, prix la cour de l’imaginaire ; Paideia, prix Julia Verlanger. Ses nouvelles ont été publiées dans les revues Oxymore, Arkuiris, Brèves ou Phusis et certaines ont été adaptées pour la radio.
Après avoir animé les émissions de radio « Les voix du livre » et le podcast « Pile à lire » pour le réseau de librairies indépendantes Initiales, elle anime aujourd’hui l’émission de radio « Comment j’ai écrit certains de mes livres » qui interroge les auteurs sur leurs techniques d’écriture.
Mon corps, mon choix.
Avec Paideia, Claire Garand nous offre un roman de Science-fiction à rebours des codes du genre.
Paideia du grec ancien signifie éducation et instruction de la perfection et de l’excellence visant à former les meilleurs citoyens, à même de créer la cité idéale.
Dix petites filles dans dix stations en orbite autour de la Lune, derniers espoirs de l’humanité morte sur une Terre empoisonnée.
À l’instar d’un classique de la SF spatiale, tout commence comme une renaissance triomphante du projet humain mais au final, rien ne se passe comme prévu.
Parce que l’une d’elles rêve d’arpenter les planètes, qu’elle est le souffre-douleur des autres, et surtout parce qu’elle est moins intelligente (4,2 seulement sur l’échelle de Breuil-Rostocka alors que les autres sont 4,5 ou 4,6). Ainsi, pour se faire accepter de ses condisciples, elle relève un défi stupide et découvre ce qu’on leur cache : leur destin de futures mères de l’humanité, sur la Lune terraformée, où elles passeront toute leur existence.
Claire, est-ce qu’écrire de la Science-fiction est une évidence pour vous ?
Le thème, la forme et les personnages font émerger le genre sans qu’il soit réellement choisi au départ. Il s’impose. La science-fiction est considérée comme un des genres de l’imaginaire alors que pour moi elle relève plutôt de l’hyperréalisme : elle pousse les curseurs du réel au maximum même s’il s’agit d’hypothèses. Ces spéculations restent cohérentes et crédibles.
Quand je veux placer mes personnages dans des situations critiques relevant au moins en partie de l’expérience de pensée, la science-fiction fournit tous les outils nécessaires.
Autour de l’écriture, vous proposez des activités très variées. De quelle manière vous inspirent-elles ?
L’écriture et la création ont toujours motivé mes activités et mon goût pour la vie. L’émission que j’anime concerne l’écriture, les podcasts que j’ai réalisés, les interviews, les festivals que j’ai montés concernent toujours ce sujet. Tout se complète. Ce que me répond un auteur en interview me renvoie à un passage entendu dans une lecture musicale, qui fait lui-même écho à une technique d’écriture lue dans texte précédemment (car la lecture occupe une grande partie de mon temps, à égalité avec l’écriture).
Quand je travaille un texte, et j’en écris toujours plusieurs en même temps, mon cerveau, comme celui de toutes les personnes qui créent, se transforme en Argos aux cent yeux, ouverts sur tout ce qui peut nourrir le projet en cours. C’est épuisant mais passionnant. Les liens se tissent d’eux-mêmes entre le monde dans lequel je vis et le monde que je crée. C’est un cerveau mutant car il a aussi cent bouches pour tout digérer !
Les nouvelles que j’ai eues l’occasion et le plaisir de lire ne sont pas de la Science-fiction. Souhaitez-vous vous orientez vers une littérature plus classique ? Quel genre vous attire le plus ?
La littérature classique au sens premier du terme (qu’on étudie en classe) rencontre toujours ma préférence. Mes références sont anciennes, voire antiques. J’ai lu plus d’une quinzaine de fois La princesse de Clèves (qui n’a rien de SF !) et l’un de mes textes préférés tous genres confondus est Oedipe-roi dont j’ai lu l’original (j’ai été professeur de grec ancien), et plusieurs traductions sans épuiser encore cette pièce magistrale. La poésie contemporaine, comme celle d’Édith Azam, d’Eugène Guillevic ou de Sarah Laulan m’inspire aussi beaucoup.
J’ai écrit de nombreux romans réalistes, mais les ai jugés trop mauvais, même si j’en ai pesé chaque virgule, pour être proposés à un éditeur. Ils dorment aujourd’hui dans mon ordinateur et c’est très bien ainsi. Celui que j’écris en ce moment depuis déjà deux ans ne sera peut-être jamais publié. Peu importe. Je les écris parce que je ne peux pas ne pas les écrire même si à la fin, c’est impubliable. J’ai fini par comprendre que je n’écrivais pas forcément pour publier, c’est-à-dire pour rendre public, mais parce que j’avais envie de raconter certaines histoires et de les rendre compréhensibles. Si je considère que je n’ai pas réussi à les rendre intelligibles pour une autre personne que moi, je les garde.
Pour en revenir aux nouvelles, j’apprécie ce genre car il permet l’expérimentation et le peaufinage d’un objet maniable. Parce qu’on peut emporter le lecteur très loin d’un claquement de doigts.
Je n’ai pas de préférence de genre au sens classique (théâtre, poésie, roman…) ni au sens contemporain (imaginaire, romance, historique…). Le propos détermine le genre, la forme et les personnages, pas l’inverse, chez moi.
Donc aucun genre ne m’attire ni ne me rebute, tous sont des couleurs utilisables un jour.
Il y a de la sensibilité dans vos écrits ainsi qu’une volonté du mot juste, quels sujets aimeriez-vous aborder dans vos prochains écrits ?
Le mot juste, l’ordre juste (celui des mots dans la phrase, évidemment), la ponctuation juste, voilà le Graal ! Et ça n’existe pas, mais c’est une fonction asymptotique donc dynamique qui me motive.
Les thèmes dont j’ai envie de parler ne sont pas forcément ceux dont je parle car je ne me sens pas toujours à la hauteur de mes envies. Alors je travaille et je me forme sans cesse en lisant, en suivant des cours de creative writing, en testant des idées, des formes et des styles, en écrivant pour les autres (c’est très formateur et passionnant) pour parvenir un jour peut-être à maîtriser suffisamment le matériau verbal et rédiger un roman satisfaisant.
Je réécris énormément.
Flaubert voulait écrire un livre sur rien. Si j’en avais la capacité, j’écrirais sur le néant et le vivant. Mais je doute de parvenir à ce degré de maîtrise ! À défaut, j’écris sur les êtres en crise, quelle qu’en soit la cause, car c’est au bord du néant que s’éprouve la vie. Je travaille sur des textes courts ou je me lance dans des projets trop grands pour moi, mais peu importe, je réécris, je peaufine, je déchire tout et je recommence. J’écris et c’est tout ce qui compte.
Quelle est votre actualité pour les prochains mois ?
J’ai trois projets d’écriture importants et plusieurs petits ainsi que des rencontres et ateliers d’écriture à venir.
En 2016, j’ai écrit un scénario de court-métrage sur un sujet qui me tournait dans la tête depuis plusieurs années. Peu à peu, j’ai décidé d’en faire un roman. Il y avait comme une urgence à plonger les mains dans la mélasse. Son écriture proprement dite a commencé en 2020. Je ne compte plus les versions. Ce sera un roman réaliste qui se déroulera dans la Grèce des années 70 à 2000, s’y j’arrive au bout. C’est mon gros projet tentaculaire en cours.
Cette écriture m’a tellement écrasée que j’ai voulu écrire un petit texte tranquille à côté pour me détendre. Ça tombait bien : début 2023, une éditrice m’a demandé si je n’avais pas de nouvelle de SF à lui envoyer. N’ayant rien à lui proposer, j’ai décidé de commencer un nouveau texte à partir d’un traité médiéval (oui, ce sera de la SF médiévale !) autour duquel j’avais depuis longtemps voulu tisser une histoire. Malheureusement, comme souvent, chez moi, la petite nouvelle est devenue une novella, puis un court roman avec des enjeux importants. Je viens d’en terminer le premier jet et comme toujours, il est très mauvais et me promet des mois de réécriture car je n’ai pas encore clarifié certains aspects fondamentaux. Du travail en perspective.
Donc encore une fois, je me suis dit que j’allais écrire autre chose pour me détendre. Quand une amie autrice de romans young adult m’a proposé lors d’une discussion informelle d’écrire un texte à quatre mains dans un genre très codifié, donc sans enjeu profond a priori, j’ai dit oui ! Cette expérience me tente depuis longtemps. Nous venons juste de commencer, peut-être n’aboutirons-nous pas mais j’y crois.
Enfin, je poursuis différents projets plus restreints. Mon agente a envoyé mon roman jeunesse à des éditeurs et nous attendons leurs réponses. Un recueil de poésies sur la joie a aussi été envoyé et une pièce de théâtre : une comédie aigre-douce sur le droit à mourir dans la dignité. Je prépare avec mon agente l’adaptation de mon roman Les maîtres de la lumière en bande dessinée, et un recueil de nouvelles réalistes animalières que je dois encore finaliser.
Car la rédaction de nouvelles occupe une grande part de mon temps d’écriture et de réflexion. Je prends un grand plaisir à en rédiger pour différents supports et notamment pour Phusis. Elles m’offrent des échappées quand ma cocotte-minute créative siffle trop fort.
Dans un autre domaine, je poursuis bien sûr les interviews pour l’émission « Comment j’ai écrit certains de mes livres », je participerai au festival Sirennes à Rennes du 10 au 13 avril (j’y serai le 12 pour une table ronde et des dédicaces), je proposerai aussi des ateliers d’écriture sur le patrimoine bâti le 9 mars au château des bordes d’Urzy, et sur le patrimoine ligérien les 22 et 24 mars avec le musée de la faïence de Nevers.
L’écriture, c’est la vie !
Claire Garand, Paideia, La Volte, 320 pages, 19 euros. Parution le 2 février 2023
Voir l’émission « Comment j’ai écrit certains de mes livres » de Claire Garand
© SOPHIE CARMONA