J. M. G. Le Clézio, 84 ans, a publié en janvier 2024 chez Robert Laffont un essai autobiographique. Le prix Nobel déconstruit son identité autour du triptyque relatif à l’origine de celle-ci à sa présence intrinsèque et à son orientation.
D’OÙ JE VIENS ?
Comme le dit d’emblée l’auteur, « la question de l’identité ne s’est pas vraiment posée pour moi parce que je suis né dans une situation très bizarre ». En effet, « Mes parents sont mauriciens donc africains, mais l’île Maurice est le plus petit pays de l’Union des États africains : on parle bien de la république de Maurice. À ma naissance, celle-ci n’existait pas, c’était une colonie britannique, je suis donc né britannique ». J. M. G. Le Clézio est un Franco-Mauricien avec une famille où « on est alternativement prospères puis ruinés, on vient de pays différents mais on garde quelque chose en commun… une espèce de goût pour l’aventure et une attirance pour ce qu’on peut apprendre en voyageant ». De surcroît, un destin familial qui se confond aussi avec l’histoire avec un grand H, en effet avec un ancêtre révolutionnaire comme soldat à Valmy, la famine durant son enfance à Nice pendant la deuxième guerre mondiale et les remous du colonialisme et de la décolonisation en Afrique.
QUI JE SUIS ?
Durant la famine à Nice pendant la deuxième guerre mondiale, Le Clézio quitte la France avec sa maman pour retrouver son père qui vit au Nigéria. Son enfance en Afrique, apprendre le pidgin english (langue vernaculaire nigérianne) et sa rencontre littéraire quelques années plus tard avec le roman de Ken Saro-Wiwa : Sozaboy[1] deviendra un moment marquant dans sa vie. Ce dernier fait « le lien entre l’enfance et la guerre puisque Sozaboy est un enfant soldat, et il parle de ses problèmes parmi les enfants soldats en Afrique ». Le penchant littéraire originel de l’auteur était plutôt la langue anglaise, Salinger était une obsession pour lui : « Je voulais écrire comme lui ». Son premier manuscrit sera soumis à un éditeur en France accompagné d’une petite lettre : « Faites attention, ceci n’est pas un Nouveau Roman ». Le Clézio voulait plutôt s’inscrire dans les canons du romanesque anglo-saxon du xxe siècle avec une écriture en langue française. La construction identitaire littéraire revêt la forme d’un caméléon. Le Clézio l’affirme : « Je ne sais pas qui je suis. Je n’ai pas eu à me poser la question de l’identité parce que dès le départ, j’étais double ». C’est un voyage incessant entre deux matrices linguistiques (lire, parler et écrire) et par conséquent sa construction cérébrale reste double : française et britannique.
OÙ JE VAIS ?
Oscar Wilde a écrit dans la préface de son roman autobiographique Le portrait de Dorian Gray[2] : « All art is perfect useless », tout art, dont la littérature, est donc parfaitement inutile. C’est un questionnement wildien sur la notion de sens pour un écrivain : la littérature, l’inutilité et la perfection ? La quadrature du cercle, c’est d’être la plume du témoin, celle du voyageur, du métissage, une forme de combat pour défendre ou promouvoir les personnes, les peuples (par exemple les nomades du Sahara marocain : « Les gens des nuages ») ou les causes (par exemple les destructions écologiques au Nigéria).
L’identité nomade est une méharée autobiographique où à chaque étape l’écrivain-voyageur construit son ontologie : française, bretonne, niçoise, anglaise, africaine, créole, aventurière, nomade, la littérature. Le Clézio ne cherche pas une destination finale, mais plutôt un chemin initiatique de voyages et de mots dont l’origine viendrait de deux langues : française et anglaise.
J. M. G. Le Clézio, Identité nomade, Éditions Robert Laffont, paru le 11 janvier 2024, 144 pages, 16,50 euros.
© HICHAME MAANANE (@chachachamechachame)
[1] SARO-WIWA, Ken. Sozaboy. Pétit Minitaire. Actes Sud, 1998.
[2] WILDE, Oscar. Le portrait de Dorian Gray. 1890.