RIEN DE PERSONNEL


Mahir Guven est né en 1986 à Nantes, en France, de parents turcs. Son premier roman, « Grand frère », publié en 2017 aux éditions Philippe Rey, lui a valu le prestigieux prix Goncourt du premier roman en 2018. Il évoque l’histoire d’un jeune homme issu de l’immigration turque confronté à la violence et à l’extrémisme. Son deuxième roman, « Les innocents », est paru en 2022 aux éditions Grasset, explorant des thèmes sociaux et culturels. 

Dans son récit autobiographique captivant, Rien de personnel Mahir Guven offre une plongée profonde dans les méandres de l’identité et de l’expérience migratoire. À travers une série d’épisodes intimes, il dévoile les nuances complexes de la construction de soi et de l’intégration dans une société française en constante évolution.

L’un des fils conducteurs de l’œuvre est l’exploration de l’identité familiale. L’auteur décrit de manière poignante ses parents réfugiés d’origine turque et kurde, mettant en lumière les défis auxquels ils sont confrontés en tant qu’immigrants cherchant à s’enraciner dans une nouvelle patrie. Cette narration offre un regard introspectif sur les liens familiaux et les luttes communes qui forgent leur unité.

Une thématique centrale est également celle de la construction de l’identité personnelle dans un contexte marqué par la diversité culturelle et les préjugés. Mahir Guven partage des anecdotes touchantes sur sa sœur, devant faire face à des sentiments d’inadéquation en raison de sa couleur de peau, ainsi que sur ses propres expériences d’assimilation forcée et de discrimination. Ces récits révèlent les tensions inhérentes à la quête d’appartenance et de reconnaissance dans une société souvent hostile aux différences.

L’éducation joue un rôle crucial dans le récit de Guven, illustrant à la fois les obstacles rencontrés et les opportunités offertes aux immigrants et à leurs descendants. Des rencontres inspirantes avec des figures telles qu’André, le professeur de français de sa mère, ou des enseignants motivants contrastent avec les préjugés et les conseils décourageants qui jalonnent son parcours académique. Cette exploration de l’éducation révèle les complexités de la mobilité sociale et les défis persistants auxquels sont confrontés les individus issus de milieux défavorisés ou minoritaires.

Enfin, Rien de personnel aborde la question universelle de l’aspiration individuelle face aux attentes sociales et familiales. L’auteur relate ses luttes pour suivre sa passion pour l’écriture malgré les pressions de conformité et les stéréotypes culturels. Son récit honnête et perspicace offre un puissant témoignage sur la persévérance, la résilience et la quête de soi. Une quête constante.

En somme, l’œuvre de Mahir Guven est bien plus qu’un récit autobiographique ; c’est une méditation profonde sur l’identité, l’immigration et la recherche sens dans un monde en mutation. À travers ses mots sincères et son regard empathique, il nous invite à réfléchir sur nos propres origines et aspirations, tout en célébrant la richesse de la diversité humaine.

QUE SIGNIFIE ÊTRE UN « BON FRANÇAIS » ?

Dans son récit, l’auteur transcende les simples autobiographies en soulevant des questions fondamentales sur l’identité nationale et la diversité culturelle. En interrogeant le processus complexe du « bon Français », Mahir Guven invite les lecteurs à se pencher sur les notions souvent équivoques d’appartenance et de citoyenneté. Il remet en question les stéréotypes et les normes imposées, tout en explorant la façon dont la diversité peut être intégrée de manière authentique dans le récit national. Cette approche critique, nuancée, enrichit profondément le dialogue sur la société française contemporaine et offre des perspectives précieuses sur la construction de l’identité nationale dans un monde de plus en plus globalisé.

L’INTÉGRATION À LA FRANÇAISE, ACTUELLE OU DÉPASSÉE ? 

Franc, percutant, Mahir Guven aborde avec justesse les questions cruciales sur le modèle d’intégration à la française et ses lacunes. En brisant les tabous qui entourent ce sujet, il suscite une réflexion profonde sur les défis auxquels sont confrontés les immigrants et leurs descendants dans leur quête d’acceptation et d’inclusion. De plus, il explore l’importance de la langue française, mettant en lumière non seulement sa maîtrise pratique, mais aussi les implications symboliques et sociales qui en découlent. Il montre que la compétence linguistique peut servir de passerelle vers l’intégration et la participation pleine et entière à la société française, tout en révélant les obstacles et les préjugés persistants qui peuvent entraver ce processus. Cette analyse perspicace offre un éclairage essentiel sur les dynamiques complexes de l’immigration et de l’identité dans la France contemporaine.

FRANÇAIS, PEUT-ON LE DEVENIR ?

Mahir Guven dévoile l’histoire captivante de sa famille et de leur parcours vers la citoyenneté française. À travers une narration riche en détails et émotions, il donne un aperçu authentique des défis et des triomphes rencontrés lors de leur intégration dans la société française. En retraçant les étapes de leur immigration, il révèle les multiples facettes du processus d’assimilation, allant de l’apprentissage de la langue et de la culture à l’adaptation aux normes sociales et politiques en vigueur. Cette histoire personnelle, racontée avec un humour subtil et un sens profond de l’humanité, livre un contrepoids rafraîchissant aux discours souvent polarisants et aux politiques restrictives sur l’immigration. En dépeignant la richesse et la diversité de l’expérience migratoire, Rien de personnel devient un remède aux préjugés, aux clichés et stéréotypes, donnant un vibrant témoignage de la capacité de l’individu et de la famille à s’adapter et à s’épanouir dans leur nouvelle patrie.

« On a beau imaginer l’immigré figé dans sa blédardise, il est un être en mouvement. En trente-sept ans dans ce pays, j’ai vu de vieux moustachus se métamorphoser. Dans mon enfance, ils ne regardaient que le foot à la télé turque, aujourd’hui, je les surprends avec leurs petits-enfants devant Emily in Paris, et le soir tard devant Breaking bad. »[1]

Dans ce passage marquant de son récit, Mahir Guven offre une perspective incisive sur l’évolution constante de l’immigrant dans sa nouvelle patrie. À la page 76 de Rien de personnel, l’auteur observe avec acuité le changement progressif qui s’opère chez les immigrants au fil du temps. Il souligne que malgré les perceptions figées et les stéréotypes persistants, les immigrés sont des êtres en perpétuel mouvement, en constante évolution. En témoignant de sa propre expérience et en étudiant les transformations dans la communauté immigrée turque et kurde, il illustre la manière dont les individus s’adaptent et s’approprient leur nouvel environnement culturel. L’extrait révèle ainsi la capacité des immigrants à naviguer entre leur héritage culturel et les influences de leur société d’accueil, démontrant une dynamique complexe et souvent méconnue de l’intégration.


Mahir Guven, Rien de personnel, Éditions JC Lattès, 2024, 200 pages, 20,00 €. Paru le 10 janvier 2024.


© STEVE AGANZE
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[1] Extrait Rien de personnel, Mahir Guven, page 76.

Correction : Amandine DE VANGELI (@adv_correction)


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