J’ÉCRIRAI LE PRINTEMPS


Isabelle Augereau est née au Havre. Après un bac littéraire, elle poursuit des études de langues étrangères et commerce international à Paris, puis part étudier deux ans en Angleterre. Attirée par l’étranger, elle s’installe ensuite à Londres où elle travaille pendant six ans dans la production et l’édition musicale en tant que cheffe de projets internationale. Elle vit aujourd’hui à Paris et se consacre à l’écriture depuis une dizaine d’années. En 2020, elle publie son premier recueil de nouvelles @Coro.narration chez Christophe Chomant Éditeur, suivi six mois plus tard d’une traduction anglaise sous le titre @Coro.narrating (traduction par l’auteure). Son deuxième recueil de nouvelles Quelque part dans ce monde est publié en 2022 chez le même éditeur. 

J’écrirai le printemps est la déambulation d’un couple amoureux qui traverse les saisons dans un décor durassien, au bord des falaises normandes. L’intrigue minimaliste avec peu de personnages décuple le trouble passionnel et les non-dits, chargés de sens et d’émotion, invitent à une incursion mélancolique et tendre.

Isabelle Augereau chuchote plus qu’elle ne clame jusqu’à ce cri qui vient déchirer la trame, révélant sous la retenue du récit en prose poétique la douleur dans le silence. L’élégance dans l’écriture à la fois épurée et lyrique, au croisement de plusieurs formes narratives, renforce la singularité de cette histoire d’amour.

C’est un roman aux tonalités particulières, un écrin intime et littéraire.

Lorsqu’au bout d’un moment elle tourne vers lui son regard, il lui semble qu’elle l’a perdu, perdu cet homme, encore une fois.

Lui, si sobre en paroles.

Reparti dans ses pensées, totalement absorbé par la nature, à ne plus faire qu’un avec les éléments.

Tel un fossile.

Dans un état d’observation qui ne l’appelle pas, elle.

D’ailleurs, elle sent très bien qu’à cet instant il ne fait plus grand cas de sa personne, qu’il est comme seul là-haut, pareil à un phare en bordure de côte, surveillant le grand large, guidant les bateaux.

N’a plus d’attention envers elle, aucune.

Juste cette présence à ses côtés, cette présence absente, si bien…

Si bien qu’elle finit par faire comme lui.

Regarde le large.

Infiniment.

Vous affectionnez particulièrement les nouvelles, comment vous est venue l’envie d’écrire un roman ?

J’avoue que j’ai été un peu « poussée » vers le roman. C’était il y a dix ans, j’avais écrit une nouvelle d’un genre fantastique/réaliste magique d’une dizaine de pages que j’ai fait lire à un ami féru de littérature. C’est vraiment lui, par la suite, qui m’a encouragée à développer ce texte, à essayer de construire une histoire plus longue autour de mes personnages. Je m’en sentais d’abord incapable et puis, j’ai essayé… Ça m’a pris un an et j’ai fini par produire un manuscrit de 200 pages. J’étais la première étonnée. Je crois que c’est cet ami, devenu éditeur indépendant depuis, qui m’a mise sur la voie de l’écriture en venant chercher en moi quelque chose dont je n’avais pas conscience. Quelques années plus tard, j’ai écrit un deuxième manuscrit qui est resté non publié. Mais tout ça m’a permis finalement de me faire la main, d’expérimenter.

En 2020 et 2022, j’ai publié deux recueils de nouvelles chez Christophe Chomant. Après ces deux publications, j’ai eu envie de revenir au roman. C’était pour moi une étape d’évolution nécessaire dans l’écriture, devoir me confronter à un format plus long, sans aucune garantie, jamais, d’y parvenir. Je crois que j’avais besoin de me mettre en danger, de sortir de ma zone de confort, d’explorer davantage la forme, d’approfondir ma relation au texte, l’interroger, de travailler mes personnages plus en profondeur autant que la relation qu’ils ont entre eux, d’essayer de tenir ta distance, bref me confronter à toutes ces difficultés-là comme si j’allais courir un marathon. On pourrait sans doute résumer ça à un besoin d’épaississement mais aussi à une quête intérieure.

L’écriture est avant tout pour moi un outil d’expérimentation, d’exploration pour tenter d’atteindre l’autre, créer un univers et une langue dans lesquels le lecteur pourra se projeter, lui procurer une émotion.

J’écrirai le printemps est, je crois, le roman où j’ai trouvé ma voie littéraire. Il a précisément la forme que je voulais. Ça valait donc le temps d’attendre 10 ans.

L’histoire de ce couple qui traverse les saisons semble comme suspendue, le choix de la prose poétique renforce l’intimité. De quelle manière avez-vous anticipé l’écriture de ce roman ?

J’avais déjà expérimenté cette forme dans certaines de mes nouvelles. J’aime mélanger les styles, la prose, le dialogue pur, la poésie libre. C’est une forme qui me vient assez naturellement. Aragon et son « Roman inachevé » en est une belle illustration du mélange des genres.

Quand j’ai décidé d’écrire J’écrirai le printemps et l’histoire de ce couple amoureux, je savais d’emblée que ce serait un texte court. 160 pages, c’était parfait. C’est ce choix, je crois, qui m’a obligée à une extrême concentration du texte. Qui dit concentration, dit choix précis de chaque mot, de chaque phrase. Bizarrement, j’ai d’abord écrit la fin du roman. Elle m’est venue sous la forme d’un poème en prose, une sorte de chant. J’ai décidé pour la suite de rester à l’écoute de cette forme qui venait.

La prose poétique avec ses ellipses et ses métaphores me permet aussi d’introduire dans mon texte une forme de musicalité, transcrire dans un langage simple cette petite musique que j’ai toujours en tête lorsque j’écris.

La prose poétique est une contrainte stylistique d’écrivain qui laisse finalement beaucoup de place au lecteur, je trouve. Elle lui donne la possibilité de s’approprier le texte dans toute sa sensibilité, ses recoins, ses ciselures car elle suggère plutôt qu’elle n’impose. C’est une relation d’égal à égal, en ce sens où le lecteur vient au texte sans que tous les détails ne lui soient donnés. En littérature, je préfère la chose évoquée plutôt que le trop-plein de descriptions. Ça me permet de mieux travailler le rythme de ma phrase, son intériorité. Car potentiellement, chaque phrase détient son pouvoir magique pour peu que l’on y passe un peu de temps.

Je crois aussi que je voulais agencer le texte de sorte que l’on soit comme dans un huis clos avec ce couple, dans une sorte d’intimité profonde. D’où les coups de projecteur sur les dialogues, la construction très séquencée du texte.

Le travail sur les prénoms aussi était essentiel et a permis de nourrir cette prose poétique.

Racontez-nous l’histoire de ce titre ?

On me parle beaucoup de ce titre qui pourtant est tombé comme ça. Au début, le titre de travail était le nom de la deuxième partie du roman. Puis, un jour où j’écrivais la fin du roman, ce titre J’écrirai le printemps m’est apparu. Il s’est planté là au milieu de mon texte. J’ai décidé de le garder, conjugué à la première personne du singulier, avant d’en modifier la conjugaison dans la version finale du roman. Il reflète pleinement l’histoire de ce couple, je trouve, qui écrit sous nos yeux son propre printemps.

Quel est votre lien avec la poésie ?

Très organique, immédiat et assez peu cérébral. La poésie est pour moi un rapport au monde, une façon de m’imprégner de son état brut, quintessentiel. C’est un rapport au temps aussi, un temps que l’on veut ralenti. Le protagoniste du roman donne d’ailleurs une définition très personnelle de la poésie, très incarnée, que je trouve assez belle et juste.

La poésie prend racine dans mon enfance, je crois. Petite, j’ai été biberonnée aux textes de Jacques Brel, à sa poésie. Puis adulte, j’ai travaillé 10 ans dans l’industrie musicale. Peut-être que mon appétence pour la forme courte et la musicalité du texte vient de là. La musique est partout en moi lorsque j’écris. Et la poésie, par sa métrique si particulière, n’est que musique, même dans sa version non rimée.

En grandissant, on oublie que la poésie est en nous. C’est ce que j’essaie d’inculquer aux élèves pendant mes ateliers d’écriture. Baudelaire disait : « le génie n’est que l’enfance retrouvée à volonté. » C’est cet état qu’il faut aller retrouver lorsque l’on écrit, ce murmure intérieur, cette petite musique intérieure.

Qui sont vos auteurs inspirants ? À la lecture, j’ai compris que Duras était essentielle.

Duras est aussi essentielle dans ma démarche d’écriture que Bobin. Duras, dans la façon avec laquelle elle interroge le texte, elle brouille les pistes, elle déboussole, elle fait claquer la phrase. Bobin dans ce regard à la fois poétique et cru qu’il a sur le monde, le frémissement de ses phrases, le texte très épuré. Il est pour moi une grande force de vie aussi. Julien Gracq évidemment pour ses déambulations, un rapport au texte extrêmement construit tout en gardant une forme d’évanescence. L’équilibre parfait entre la construction et le flou, dans une langue qui se veut toujours très exigeante. Pierre Michon m’intimide encore. Il est à lui seul une grande leçon d’écriture. Il y a des auteurs comme ça qui, lorsque vous commencez à écrire, pourraient vous faire poser votre stylo. Virginia Woolf, surtout dans « Les vagues » pour sa démarche expérimentale et son audace, Oscar Wilde pour son irrévérence. J’aime la densité littéraire de Jean Echenoz, la délicatesse de Jeanne Benameur, la forme que propose Maylis de Keyrangal. Khalil Gibran est l’un des poètes que je relis régulièrement. Flaubert bien sûr pour cette normande que je suis. Arthur Teboul, grand poète contemporain. Hugo, Sarraute… Il y en a tellement.

Votre actualité :

Prochaines rencontres

Samedi 4 mai : La Petite Librairie au Havre (17h30)

Jeudi 30 mai : Librairie L’allée des feuilles à St Germain en Laye (19h30)

Samedi 8 juin : l’Abbaye de Grestain (18h00)

Samedi 15 juin : Librairie La Tonne à Rouen (15h00-19h00)

Dimanche 30 juin : Salon du Livre de Honfleur

Samedi 13 juillet : La Librairie du Marché à Deauville (11h00)

Dimanche 14 juillet Petit Musée Alphonse Allais à Honfleur

D’autres dates fleuriront au fil du printemps et de l’été…

Actualité

J’ai commencé l’écriture d’un nouveau roman. Et j’envisage, si je trouve le temps, de faire une traduction en anglais de J’écrirai le printemps.

Isabelle Augereau, J’écrirai le printemps, Christophe Chomant Éditeur,168 pages. 23.50 euros. Parution le 25 avril 2024

© SOPHIE CARMONA   
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Contact d’Isabelle Augereau : Instagram (@isabelle_augereau_writings) ou Facebook (Isabelle Augereau Writing)

Contact de l’éditeur : chr.chomant.editeur-atelier@orange.fr

La maison d’édition Christophe Chomant Éditeur est une maison d’édition indépendante, basée à Rouen, qui défend ardemment depuis trente ans le fait-main et l’objet-livre. Fabrication artisanale en flux tendu et vente uniquement sur commande. Ni surproduction ni perte pour le respect des ressources de la planète et une frugalité durable.


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