Parce que l’inclusion de tous les élèves, y compris ceux en situation de handicap est un enjeu crucial aujourd’hui, s’engager est primordial. Solange d’Alançon, coordinatrice de projet chez Culturepourenfance répond à nos questions à ce sujet.
Pourquoi avoir créé cette organisation ?
Le Fonds de dotation Culture pour l’Enfance (ex-Fondation Culturespaces) a été fondé en 2009 par Bruno Monnier, Directeur Générale de Culturespaces, entreprise spécialisée dans la gestion de sites patrimoniaux et des centres d’arts numériques immersifs en France et à l’étranger. Avec Culture pour l’Enfance, Bruno Monnier cherche à œuvrer pour l’inclusion sociale en ouvrant les sites culturels de Culturespaces aux enfants en situation de précarité sociale, en situation de handicap ainsi qu’aux enfants malades.
Outre l’accès aux musées et aux expositions numériques immersives, Culture pour l’Enfance vise à sensibiliser les enfants à l’art et à la culture grâce à des programmes d’éducation artistique et culturelle (EAC) adaptés, ponctués d’ateliers pédagogique et créatif en amont et en aval de la visite. Pour que chaque structure puisse participer, le kit pédagogique et créatif et les médiations sont entièrement gratuits.
C’est parce que nous croyons que la culture est un bien commun, accessible à tous sans discrimination sociale, que Culture pour l’Enfance continue de se déployer d’année en année. Depuis sa création, plus de 70 000 enfants ont participé à nos programmes d’EAC.
Quels ont été vos moyens pour sensibiliser les enfants à l’art numérique lors de votre programme « Art en immersion » ?
Pour sensibiliser les enfants à l’art numérique dans le cadre de notre programme « Art en immersion », nous avons mis en place un processus complet qui les accompagne avant, pendant et après leur visite immersive. Ce programme, qui touche plus de 8000 enfants chaque année à travers quatre régions françaises, vise à éveiller la curiosité des jeunes pour les arts et le patrimoine, tout en favorisant leur insertion sociale via la culture.
Avant la visite, nous organisons des ateliers pédagogiques dans les structures où se trouvent les enfants, qu’il s’agisse d’écoles REP/REP+, de dispositifs ULIS, de structures sociales, médico-éducatives ou même d’hôpitaux. Ces ateliers permettent de les familiariser avec l’univers des artistes et les œuvres qu’ils vont découvrir dans les expositions numériques immersives. Les enfants vont ainsi découvrir la musique de l’exposition, les œuvres présentées mais aussi comprendre, par des jeux, la différence entre un musée et centre d’art immersif, entre un tableau et œuvre numérique. Le but est de leur donner les clés de compréhension nécessaires pour qu’ils puissent pleinement apprécier et s’approprier le contenu de l’exposition.
La visite, que nous organisons dans des lieux culturels exceptionnels tels que l’Atelier des Lumières à Paris, les Carrières des Lumières aux Baux-de-Provence, et les Bassins des Lumières à Bordeaux, est une étape centrale. Ces centres d’art immersifs présentent chaque année un artiste ou un courant artistique différent, permettant aux enfants de découvrir des œuvres d’art adaptées et transformées en installations numériques. Pendant cette visite, les enfants peuvent réellement comprendre comment la technologie peut être utilisée pour créer une nouvelle forme d’art.
Après la visite, nous encourageons la créativité des enfants à travers des ateliers artistiques où ils peuvent réaliser leurs propres œuvres, en exprimant leur sensibilité et leur créativité et en s’inspirant de ce qu’ils ont vu. Dans le parcours dansé, les enfants ont un atelier de danse animé par un danseur professionnel et adapté. Après cet atelier dansé, les enfants reviennent dans le centre d’art immersif pour danser en immersion. Ça permet de donner vie à l’œuvre, de profiter pleinement de son aspect immersif et qui stimulent les sens pour se laisser aller, au grés des images et des musiques.
Pour mieux expliquer et incarner le fonctionnement d’un centre d’art numérique, nous avons notamment réalisé également des vidéos à partir des questions des enfants. Cette vidéo « Plongée dans les secrets d’une expositions immersives » donne la parole à tous les métiers qui participent à l’élaboration de cette œuvre d’art digitale. L’idée est de le permettre de ne pas juste se rendre dans un centre d’art immersif mais d’en comprendre les rouages et les spécificités.
Néanmoins, nous voulions aller plus loin dans la découverte et l’approfondissement de l’art numérique. C’est ainsi qu’est né le projet « Art en immersion : Numérique et création(s) », co-fondé par l’académie de Versailles, qui creuse la question des arts numériques avec des élèves de primaire. Au cours de ce parcours de 30 heures, ils découvrent l’art immersif et digital avant de travailler avec un artiste sur une œuvre collective numérique. Par ce projet, ils découvrent l’art numérique puis le pratique : cette année, en Île-de-France, ils ont réalisé une création visuelle et sonore, en travaillant autour du stop motion et de la musique assistée par ordinateur (MAO). Lors de la restitution à l’Atelier des Lumières leur œuvre digitale a été projeté dans la halle d’exposition. Un enfant nous confiait ce que ça représentait pour eux de pouvoir venir à l’Atelier des Lumières découvrir un artiste et puis de revenir pour voir leur œuvre : cette fois, c’est eux les artistes que le public vient rencontrer !
Le programme « entre cour et jardin » est très intéressant, selon vous qu’est-ce qui est en jeu dans celui-ci ?
Le programme « Entre cour et jardin » cherche avant tout à sensibiliser les enfants à la richesse de la biodiversité locale et à l’art des jardins à la française. En offrant une visite d’une heure et demie, interactive et sensorielle, les enfants sont amenés à découvrir la faune et la flore des jardins de l’Hôtel de Caumont, tout en étant guidés par l’histoire de Jean-Baptiste de Bruny, le propriétaire historique de l’hôtel particulier. Cette immersion dans un environnement naturel leur permet de comprendre les principes du paysagisme, tels que la planification, l’esthétique et l’entretien des végétaux, à travers leurs sens : odorat, toucher, ouïe et vue.
Cette visite peut prendre deux formes pour répondre aux différents besoins des enfants. Les enfants peuvent être accompagnés soit par une médiatrice qui les accompagne dans cette découverte du patrimoine naturel soit par un danseur, qui stimule les sens pour mieux ressentir les différents éléments des jardins. Ce dernier parcours de visite s’adresse exclusivement aux enfants en situation de handicap et malades.
Il est crucial de reconnecter les enfants à la nature, surtout à une époque où une enquête de 2016 de l’institut de veille sanitaire a montré que quatre enfants sur dix ne jouent jamais dehors pendant la semaine. Cette « extinction de l’expérience de nature » a des conséquences néfastes sur leur santé physique et psychologique, entraînant des déficiences motrices, cognitives et psychiques, ainsi qu’une augmentation de l’obésité, de l’hypertension, de la dépression et des troubles du comportement. En revanche, des études démontrent que l’exposition à des environnements naturels réduit l’anxiété et l’hyperactivité, améliore l’attention et la concentration, et a des effets bénéfiques sur la mémoire. Ces environnements permettent aux enfants de reconstruire leurs ressources cognitives et attentionnelles, favorisant ainsi un sentiment de bien-être et d’apaisement.
Le programme « Entre cour et jardin » vise également à restaurer l’estime de soi des enfants par des sensations positives vécues à travers leur corps et leurs sens. En les connectant à leurs émotions, il les aide à s’exprimer, à communiquer et à se révéler, recréant ainsi le lien entre le corps et la psyché. Profondément convaincus que la découverte du patrimoine naturel dès le plus jeune âge est fondamentale pour leur épanouissement et leur développement personnel, nous avons conçu ce parcours pour offrir aux enfants les plus fragilisés de notre région Sud une expérience unique qui les connecte à la nature et les sensibilise à la beauté et à la richesse de la biodiversité locale. En somme, ce programme n’est pas seulement une initiation au paysagisme, mais aussi une véritable opportunité pour les enfants de renouer avec la nature, de renforcer leur bien-être psychologique et physique, et de développer une appréciation durable pour le patrimoine naturel qui les entoure.
Entre autres, le projet « Le XVIIIe en scène » met l’accent sur la pratique du théâtre : qu’est-ce que cette pratique permet de développer chez les enfants ?
Le projet « Le XVIIIe en scène » met un accent particulier sur la pratique du théâtre, au fil d’un parcours de 50 heures dont 40 heures de pratique théâtrale et cela permet de développer chez les enfants une multitude de compétences précieuses ! Tout d’abord, le théâtre favorise l’expression orale et corporelle. Les enfants apprennent à articuler clairement, à projeter leur voix et à utiliser leur corps pour transmettre des émotions et des messages, ce qui améliore leur capacité à communiquer et renforce leur confiance en eux. En travaillant sur des textes, des rôles et des mises en scène, ils acquièrent des compétences en lecture et en compréhension, tout en apprenant à mémoriser et à interpréter des dialogues complexes. Même à la maison, les parents ont remarqué une évolution du comportement des élèves, ils s’expriment plus, s’imposent dans la famille, prennent confiance en eux.
En outre, le théâtre encourage la créativité et l’imagination. Les enfants sont amenés à inventer des personnages, à imaginer des situations et à trouver des solutions créatives aux problèmes de mise en scène. Cette stimulation de la pensée créative et de l’innovation est essentielle pour leur développement intellectuel. Par exemple, les élèves de CM1 de l’école La Viste Bousquet à Marseille, en répétant et en interprétant une pièce de Marivaux, ont pu explorer et exprimer leurs idées de manière ludique tout en développant leurs compétences artistiques.
Le théâtre développe également des compétences sociales et émotionnelles importantes. En collaborant sur des projets théâtraux, les enfants apprennent à travailler en équipe, à écouter les autres et à coopérer pour atteindre un objectif commun. Cela est particulièrement bénéfique pour leur développement social et leur capacité à interagir de manière constructive avec leurs pairs. L’expérience de groupe aide également à renforcer les liens entre les enfants, comme l’a observé Mathilde Humbert, enseignante de CM1, qui a noté une transformation collective et individuelle chez ses élèves, les rendant plus soudés et confiants.
Par ailleurs, nous croyons fermement que la pratique du théâtre peut lutter contre le décrochage scolaire. En rendant les textes littéraires accessibles de manière ludique, le théâtre motive les enfants à s’intéresser davantage à l’école et à leurs études. Il leur offre un moyen d’expression et un espace où ils peuvent se sentir valorisés et engagés. Cette motivation est renforcée par le sentiment de fierté et d’accomplissement qu’ils éprouvent en présentant leur travail devant un public, comme cela a été le cas pour les élèves de l’école La Viste Bousquet.
Le projet permet également aux enfants de s’approprier leur corps et de prendre conscience de leurs capacités. Apprendre à maîtriser leur expression corporelle et verbale les aide à développer une meilleure estime de soi. Les témoignages des élèves, comme celui de Lilia qui a reçu des encouragements de ses parents : « Au début je galérais et tout, je devais prendre mon texte avec moi sur scène et puis j’ai répété, répété chez moi et j’ai fini par tout apprendre par cœur », illustrent comment cette pratique peut transformer leur confiance en eux et leur perception de leurs propres capacités.
En somme, la pratique du théâtre dans le cadre du projet « Le XVIIIe en scène » permet aux enfants de développer des compétences de communication, de créativité, de collaboration et d’estime de soi. Elle leur offre une opportunité unique de découvrir et de s’approprier le patrimoine littéraire et culturel, tout en les aidant à se forger des compétences essentielles pour leur avenir. Les résultats observés montrent que cette activité a un impact profond et positif, non seulement sur le plan scolaire, mais aussi dans leur vie personnelle et sociale.
Nous parlons aujourd’hui d’école inclusive, quelles sont à ce titre, au sein de l’école les problématiques que peuvent rencontrer les élèves atteint de handicap ?
Les élèves en situation de handicap rencontrent plusieurs problématiques spécifiques au sein de l’école. Souvent en décalage avec les autres élèves, avec des besoins très spécifiques, souvent peu pris en compte dans une classe ordinaire, les élèves en situation de handicap restent sur la marge.
C’est donc en partant de ce constat que le ministère de l’Éducation Nationale et de la Jeunesse déploie l’École inclusive qui vise à assurer une scolarisation de qualité pour tous les élèves de la maternelle au lycée, en prenant en compte leurs singularités et leurs besoins éducatifs particuliers. Elle répond donc à ce besoin de s’adapter face aux difficultés rencontrées par ces enfants liées à l’adaptation des conditions de scolarisation, au suivi individualisé, à l’accueil des familles, et à l’articulation entre l’École et le secteur médico-social. De plus, la formation des professionnels reste un enjeu crucial pour répondre adéquatement aux besoins de ces élèves.
Notre action pour les enfants en situation de handicap s’inscrit vraiment au cœur de cette dynamique d’inclusion. Nous agissons notamment en dispositif ULIS (Unités Localisées pour l’Inclusion Scolaire) ainsi qu’en structures médico-éducative (IME, SESSAD, ITEP, etc). Pour que les interventions soient adéquates, adaptées et inclusives, la première étape était de former nos équipes. Nous proposons à chaque début d’année, une formation et un partage d’expérience pour ses médiatrices et équipes de coordination, afin de les préparer à répondre aux besoins spécifiques des enfants, selon le type de handicap et leurs réactions.
Tous nos contenus pédagogiques et créatifs sont également pensés pour que tous les enfants puissent participer aux activités et ainsi que pour que les enfants en inclusion ne ressentent aucun décalage, au contraire. Ça peut justement donner lieu à de très beaux retours. Par exemple lors d’un de nos projets (Art en immersion : Numérique et Création(s), un parcours de 30 heures qui approfondit la notion d’art numérique), deux classes participaient dont un dispositif ULIS, chaque atelier était en inclusion avec les deux classes. Asma Hadjali, coordinatrice ULIS témoigne : « Les élèves du dispositif ULIS prennent confiance : ils n’étaient plus des élèves ULIS, souvent perçus comme différents, mais juste des élèves de l’école. Le programme a gommé les différences, ils faisaient tous un travail dont ils étaient fiers. Ça a été l’occasion de créer des amitiés et d’apaiser le climat de la classe. »
Nous avons également voulu aller plus loin dans l’inclusion, en adaptant des programmes. C’est ainsi qu’est né notamment le parcours dansé. Il s’agit d’un parcours développé spécifiquement pour les enfants en situation de handicap et malades. L’objectif est de familiariser les enfants à l’art, grâce à une approche sensorielle et à l’expression corporelle, avec des enfants pour lesquels l’expression verbale n’est pas toujours évidente. Chaque atelier est animé par un danseur professionnel et spécialisé dans la danse inclusive !
Avec toutes ces dispositions, nous cherchons à favoriser l’inclusion par la culture de ces enfants en les rendant légitime, en leur donnant accès au même contenu d’éducation artistique et culturelle, en leur permettant de profiter d’un programme qui leur est adapté.
@ BASTIEN FAUVEL