Guillaume Dreidemie est né à Lyon en 1993. Professeur de philosophie, Adjoint de l’établissement ICOF – Campus Saint Irénée, à Lyon 5e. Conférencier à l’Université Pour Tous, au Collège International de Philosophie et au Musée des Beaux-Arts de Lyon. Organisation de séminaires et publications d’articles universitaires. Collaboration régulière avec la revue Matières à penser. Membre fondateur de la revue de poésie L’Echarde. Ouvrages : Le Matin des pierres (éd. La Rumeur libre, 2023), Ardeurs de l’idéalisme (co-dirigé avec François Danzé, éditions du Cosmogone, 2023), Penser le monde, de Kant à aujourd’hui (co-dirigé avec Pamela Krause, éditions Kimé, 2023).
C’est pour un nouveau volet philosophique que nous retrouvons Guillaume Dreidemie avec Palingenesia, une poétique de l’éternel retour aux Éditons Kimé.
Cet essai développe la notion de palingénésie un concept qui tire son origine des mots grecs palin (de nouveau) et genesis (naissance ou création), incarnant l’idée de renouveau et de cycles dans l’existence.
Guillaume Dreidemie propose une réflexion héroïque à travers un parcours didactique en littérature et philosophie, débutant avec La peau de chagrin de Balzac pour se prolonger jusqu’à la thématique nietzschéenne de l’éternel retour. L’essai interroge les bases présocratiques et stoïciennes de ce concept, tout en établissant un lien profond avec la poésie.
L’auteur choisit de se pencher en dernière partie sur l’œuvre de la poétesse Anna de Noailles. Chez cette dernière, la palingénésie est un thème central qui traduit son désir incessant de renouvellement, tant spirituel qu’émotionnel et sensoriel. À travers ses vers, la nature devient une métaphore puissante de la régénération qui offre à l’âme humaine une source inépuisable de consolation et de renouveau.
Un cheminement riche et intense pour nous définir l’éternel retour comme une philosophie de vie, voilà ce que Guillaume Dreidemie a envisagé dans Palingenesia.
Pour quelles raisons avoir choisi La Peau de chagrin de Balzac comme point de départ analytique pour écrire votre essai sur l’éternel retour ?
Profondément dionysiaque, La Peau de chagrin fait partie de mes livres fétiches, adorés, que je relis très souvent. J’ai choisi Balzac et La Peau de chagrin comme prologue à Palingenesia car j’ai été particulièrement marqué par la scène du Banquet qui se trouve à la fin de la première partie de l’ouvrage. On y voit Emile célébrant le jeune Raphaël Valentin qui débarque de sa Province. Face aux convives du Banquet baignant dans le jus de leur scepticisme, cyniques et désabusés, Emile va faire de Raphaël le Prince de la soirée, en créant de toutes pièces une origine à son ami, ce « jeune inconnu » perdu dans un « tourbillon de plaisirs », qu’il va « couronner » en décrivant un simple cercle dans l’air : « « Raphaël DE Valentin !… S’il vous plaît. Nous ne sommes pas un enfant trouvé ; mais le descendant de l’empereur Valens, souche des Valentinois, fondateur des villes de Valence en Espagne et en France, héritier légitime de l’empire d’Orient »… Et il décrivit en l’air, avec sa fourchette, une couronne au-dessus de la tête de Raphaël. » J’ai souhaité mettre cette scène du « sacre » de Raphaël en ouverture de mon livre, afin de le placer sous le signe d’un réenchantement possible, d’un retour à une origine mythique capable de vivifier l’avenir !
La poésie est toujours présente dans vos écrits. Vous mettez en dialogue le Romantisme avec les Présocratiques. Quelles ont été les influences de ce mouvement dans la poétique du romantisme ?
Les Présocratiques ont été lus d’une manière assidue et profonde par les Romantiques. Nous pouvons prendre pour exemple Hölderlin, qui a consacré quelques-unes de ses plus belles pages au philosophe présocratique Empédocle. Le poème d’Empédocle Sur la nature décrivait l’histoire cyclique de l’univers, qu’il considérait comme une divinité, constituée par la totalité des quatre éléments. L’Amitié (Philia) est le nom qu’Empédocle donne à la force cosmique qui unit ces éléments en un seul corps, avant que celui-ci ne se désagrège sous l’effet de la Discorde (Echtra) ; cette désagrégation précédant un retour progressif à l’unité, sous l’égide de l’Amitié. Une telle unité demeure cependant précaire et provisoire, l’univers empédocléen s’inscrivant dans le cadre d’une pensée de l’éternel retour de la Discorde, puis de l’Amitié, chacune de ces deux forces cosmiques l’emportant tour à tour au cours du temps. Du point de vue d’Hölderlin, le destin d’Empédocle est une préfiguration de la destinée de l’homme moderne, dans la mesure où le philosophe présocratique chante la séparation entre les Hommes et la Nature, le déchirement entre l’Homme et le Ciel, sous l’effet de la Discorde.
Vous faites longuement référence à Khalil Gibran et à Hermann Hesse. Les qualifieriez-vous de philosophes ?
Khalil Gibran et Hermann Hesse n’ont jamais prétendu au titre de philosophes, cependant leurs livres contiennent de nombreux enseignements philosophiques. Leurs œuvres déploient une « poétique de l’allégresse », profondément dionysiaque, au sens nietzschéen du terme, dans la mesure où leurs romans et poésies mettent en scène des personnages qui tentent de préserver une joie au cœur du désastre, s’acharnant à ne pas succomber à la consternation, tâchant de rompre avec les conventions et les valeurs mortifères. Ils partagent tous deux avec Nietzsche la conviction d’après laquelle le culte de la raison doit céder la place à celui de l’imagination créatrice, puisant ses sources dans une mythologie susceptible de ressourcer l’imaginaire contemporain. Hesse et Gibran envisagent leur œuvre comme une redécouverte de sagesses archaïques, dont ils proposent les intuitions fondamentales aux Hommes de leur temps, avec l’espoir de parvenir à vivifier l’esprit de leurs contemporains, grâce à la force vitale et à l’énergie de ces antiques sagesses, que l’on retrouve notamment à travers la poésie perse et le Zoroastrisme.
Quel est le sens de l’éternel retour, selon vous ?
J’envisage l’éternel retour comme une sagesse pratique, une philosophie de vie, qui porte une conviction essentielle : ce que l’on croyait perdu va revenir, ce que l’on croyait mort est seulement endormi et reviendra au temps propice…
Bien évidemment, cela peut apparaître naïf, mais cela peut aussi témoigner d’une force d’âme, d’une ferveur, ou encore d’une piété, qui porte à affirmer comme Nietzsche que « tout n’est pas perdu », en déployant un rapport cyclique au temps, au lieu de s’abandonner à une vision du monde décliniste. Le poète Gérard de Nerval écrivait : « Ils reviendront ces dieux que tu pleures toujours ! » Différentes lectures de ce vers sont possibles, mais l’une d’elles consiste à traduire « dieux » par « réenchantement » : si nous vivons actuellement une période de « désenchantement du monde », pour reprendre l’expression de Marcel Gauchet, il ne faut pas perdre l’espoir d’un réenchantement possible, d’un retour d’énergies et de forces vives permettant aux Hommes de retrouver un sentiment d’unité et d’harmonie. Novalis et les Romantiques l’écrivaient déjà : les Hommes ont rompu avec les dieux par le déploiement d’une culture rationaliste et matérialiste ; le rationalisme est le désenchantement qui a transformé le monde en une terre dont on a voulu expulser le mystère et le merveilleux. C’est lorsque l’imagination est corsetée, lorsque le monde n’est plus perçu que comme un mécanisme aveugle dépourvu de merveilleux, qu’il est alors plus que jamais besoin de poètes et de poésie. La Magie est le courage des Hommes.
Quelle est votre actualité dans les prochains mois ?
Différentes rencontres sont prévues autour de ce livre, Palingenesia, et plusieurs conférences/colloques à venir pour poursuivre le travail en philosophie et en poésie. Nous allons organiser le troisième volet de la saga « A quoi pense la poésie ? », puis différents travaux (sur Nicolas Poussin, Nietzsche et Laforgue notamment) verront prochainement le jour !… Mes poèmes vont être traduits en roumain, en russe et en arménien : cela paraîtra courant de cet automne ! Et le numéro 6 de notre revue L’écharde vient de sortir !
Guillaume Dreidemie, Palingenesia, Éditions KIMÉ
120 pages, 15 euros
© SOPHIE CARMONA