Daniel Kay vit et travaille en Bretagne. Il a été enseignant dans le secondaire et à l’Université, rédacteur dans la presse, animateur d’émissions littéraires. Il a collaboré avec des peintres dans le cadre d’une centaine de livres d’artiste. Son œuvre poétique est publiée chez Gallimard et ses essais aux Éditions des Instants.
L’histoire raconte que Blaise Pascal possédait un perroquet qui avait appris à dire « Qu’en pensez-vous ? »
L’inachevé fascine, non par ce qu’il montre, mais par ce qu’il laisse entrevoir. Il est une fenêtre ouverte sur l’infini, un espace où tout est encore possible. Là où l’œuvre achevée impose ses contours définitifs, l’inachevé souffle une liberté d’imaginer, de rêver la suite, de deviner les chemins que l’artiste, le poète, l’auteur n’a pas empruntés. Il nous laisse dans l’attente, dans le désir, dans la douce ambiguïté du non-dit.
C’est cette promesse non tenue, cette ouverture vers l’inconnu, qui nous séduit dans l’inachevé. Il nous offre un lieu de contemplation et de potentialité infinie où le silence et l’absence, prennent un poids singulier, où l’œuvre dialogue avec notre imagination, lui laissant le soin de tisser des fils invisibles entre ce qui est et ce qui pourrait être.
Dans un devenir possible et ouvert, Daniel Kay aborde le thème de l’inachevé dans l’art et la littérature en usant de formes diverses et libres telles que des fragments, de la prose poétique, des récits courts ou des aphorismes, pour s’immerger dans cette esthétique et en révéler les richesses.
Christophe Mahy l’exprime ainsi dans la préface : « La fin n’existe pas, elle n’est à tout prendre qu’un état provisoire du mouvement perpétuel de la vie elle-même. De quoi nous rassurer, s’il y a lieu, quant à la vanité des êtres et la légèreté des choses. »
Qu’est-ce qui vous a conduit à choisir le thème de l’inachevé pour cet essai ?
Cette idée m’est venue en réfléchissant sur mes propres pratiques d’écriture. Je me suis rendu compte que, en dehors de toute volonté, sans même la tentation de la sérialité, j’avais tendance à réécrire, réaménager, reconstruire, certains poèmes que je pensais définitivement clos. Cela m’a amené à engager une réflexion sur ce thème. Il est vrai que j’ai toujours nourri une certaine dilection pour ces œuvres inachevées qui peuvent dégager une force bouleversante que n’atteint pas toujours l’œuvre aboutie selon des critères purement classiques. Votre collaboratrice Romane Fraysse dans son bel article ET CAETERA, une esthétique de l’inachevé a raison de rappeler que le peintre et historien Vasari l’avait déjà remarqué à l’époque de la Renaissance. Ainsi il est difficile de ne pas rester saisi devant la dernière Pietà, la Pietà dite Rondanini, non finita, de Michel-Ange. Bien entendu, l’inachèvement a été un des principaux marqueurs dans l’histoire de l’avènement de la modernité, disons depuis Delacroix et surtout Manet.
Dans mon itinéraire personnel, la révélation apportée par la lecture, très jeune, des Papiers collés de Georges Perros, sorte de bric à brac littéraire de haute volée, a aussi été déterminante.
En quoi l’œuvre de Blaise Pascal incarne-t-elle l’idée d’inachevé ?
Pascal avait l’intention d’écrire une Apologétique, en fait une Apologie du Christianisme avec le but de convaincre les libertins, les enjoindre à comprendre que la foi n’est pas incompatible avec la raison. Ce projet qui aurait dû prendre la forme d’un discours structuré n’a pas abouti, le philosophe ayant succombé à la maladie. Il ne nous est resté que les fameuses liasses, ensemble disparate de courts fragments et de textes plus développés comme les célèbres dissertations sur les deux infinis ou le divertissement. Quant au perroquet, il s’agit de la référence à un aphorisme peu cité qui traite de la question de l’« animal machine », thème éminemment cartésien. Je me suis approprié ce fragment, et de ce fait j’ai offert un spécimen de ce psittacidé à l’auteur des Provinciales. J’ai commis ce même type d’opérations burlesques avec des citations de Cioran et de Michaux, développant une sorte d’hypertexte in progress.
Dans Le perroquet de Blaise Pascal, Variations sur l’inachevé, vous abordez l’art et la littérature en adoptant un style différent.
Vous utilisez des aphorismes, des anecdotes, des réflexions, de courts textes en prose ainsi que de nombreuses références littéraires.
Comment avez-vous abordé l’écriture de cet ouvrage ?
C’est avant tout un essai. Pour un pareil sujet il me paraissait difficile d’entreprendre une démonstration linéaire de forme conventionnelle. Il s’agit davantage d’une tentative baroque pour approcher un concept dans une dynamique scripturale ininterrompue qui mettrait en jeu des formes plus ou moins identifiées à travers un objet littéraire plus proche de la poésie que de la recherche universitaire, même si le livre laisse une large place à la recherche et à l’analyse.
Quelle sera votre actualité dans les prochaines semaines ?
Je publie ce mois-ci un nouveau recueil chez Gallimard, Vies héroïques, des portraits entre le poème en prose et le portrait classique tel que l’a pratiqué quelqu’un comme La Bruyère. Le lecteur du Perroquet pourra y retrouver un certain nombre de personnages, comme le grand poète portugais Nuno de Almeida.
Daniel Kay, Le perroquet de Blaise Pascal, Variations sur l’inachevé, Éditions des instants, 128 pages, 15 euros.
Parution le 10 septembre 2024.
Photographie Jean-Paul Mathelier