« L’année 2024 est celle du centenaire de la naissance d’André Chaix, et quatre-vingts années ont passé depuis sa mort. Mais à regarder le monde tel qu’il va, je ne doute pas qu’il faille toujours parler de l’Occupation, de la collaboration et du fascisme, du racisme et du rejet de l’autre jusqu’à sa destruction. Alors, je n’ai pas voulu que ce livre évite le monstre contre lequel André Chaix s’est battu, ne donne pas la parole aux idéaux pour lesquels il est mort et ne questionne pas notre nature profonde, notre désir d’appartenir à plus grand que nous, qui conduit au meilleur et au pire. » Le nom sur le mur Hervé Le Tellier
Après, L’Anomalie, qui lui a valu le Prix Goncourt, Hervé Le Tellier revient avec un ouvrage documentaire centré sur la Résistance. Il y mène une enquête à la rencontre d’André Chaix, tué lors d’une attaque de chars allemands le 22 août 1944.
C’est en découvrant le nom d’André Chaix gravé sur le mur de la maison qu’il achète à Dieulefit qu’Hervé Le Tellier trouve l’inspiration. Ce nom, inscrit également sur le monument aux morts, est celui d’un jeune homme né en 1924 et décédé en 1944. Dans cette région imprégnée par la Résistance durant la Seconde Guerre mondiale, l’écrivain se lance dans une enquête, recueillant témoignages et souvenirs. Il rassemble des archives, interroge des témoins, et reconstitue la vie de ce jeune homme pour lui rendre hommage.
« C’est étrange, mais je n’avais jusqu’alors jamais voulu, ou osé, imaginer André, ses traits, sa silhouette. Aujourd’hui encore je ne me représente pas le timbre de sa voix, son accent. Sur ces images d’hier, André a quoi, dix-neuf ans, mais il en paraît bien plus. Une maturité dans le regard, une assurance dans la stature. Il semble grand, il est athlétique, son visage est franc, ses yeux clairs, il a « une gueule », aussi. Une tête d’acteur, même. Quelque chose d’un Jean Gabin jeune, ou de Burt Lancaster, pour les choisir dans cette époque, ou d’un Marlon Brando, qui fêterait ses cent ans lui aussi cette année. Marcelle devait être si fière de son aîné. »
Au fil de ses recherches, il retrace non seulement la vie d’André Chaix, mais aussi celle de tous les résistants et maquisards qui ont combattu pour la liberté, souvent au prix de leur vie. Fidèle à son style, Hervé Le Tellier multiplie les digressions pour aborder des sujets qui lui tiennent à cœur : la liberté, la politique, et la menace toujours présente du fascisme.
Le nom sur le mur n’est ni un roman ni un essai, il s’agit d’un livre documentaire qui dénonce le fascisme. Pourquoi avez-vous choisi ce format ?
Le format s’est plus imposé que je ne l’ai choisi. Lorsque l’on dispose de documents visuels, en importante quantité, et qui sont tous intimes, on est un peu l’obligé de son sujet. La dimension « documentaire » n’est toutefois pas la voie choisie, puisque je m’autorise à digresser beaucoup, et que je suis moi-même présent, à travers mes expériences, mon vécu et mes questionnements.
À la lecture, il semble que les recherches avancent très vite. En réalité, combien de temps vous a-t-il fallu pour mener vos investigations ?
Il m’a fallu une dizaine de mois. En comptant les recherches plus générales. Aujourd’hui, Internet accélère considérablement les enquêtes, tout en exigeant plus de validation croisée. Je voulais un livre court, aussi court que la vie d’André Chaix, pour créer une sorte de frustration.
Je voulais qu’on sorte avec cette sensation de brièveté, d’interruption, de brisure.
C’est un livre sur la mémoire et l’identité. Pourquoi aimez-vous particulièrement écrire sur ces thèmes ?
Je n’ai pas étudié ni même disserté beaucoup sur la calligraphie d’AC ou son écriture. En revanche, les questions de la mémoire, du souvenir, sont au cœur du projet. La question de la destinée aussi, plus que celle, à mon sens de l’identité.
J’ai voulu me souvenir d’André Chaix, et comprendre ce qui l’avait constitué, ce qui faisait qu’on pouvait, pour des idées, pour la liberté, prendre le risque de mourir à vingt ans.
Je ne suis pas l’ami d’André Chaix, et aurais-je d’ailleurs su l’être, moi que presque rien ne relie à lui ? Juste un nom sur le mur.
Chaix était un résistant, un maquisard, un jeune homme à la vie brève comme il y en eut beaucoup.
Je ne savais rien de lui. J’ai posé des questions, j’ai recueilli des fragments d’une mémoire collective, j’ai un peu appris qui il était. Dans cette enquête, beaucoup m’a été donné par chance, presque par miracle, et j’ai vite su que j’aimerais raconter André Chaix. Sans doute, toutes les vies sont romanesques. Certaines plus que d’autres.
Quatre-vingts années ont passé depuis sa mort. Mais à regarder le monde tel qu’il va, je ne doute pas qu’il faille toujours parler de l’Occupation, de la collaboration et du fascisme, du rejet de l’autre jusqu’à sa destruction. Ce livre donne la parole aux idéaux pour lesquels il est mort et questionne notre nature profonde, ce désir d’appartenir à plus grand que nous, qui conduit au meilleur et au pire.
Nous vous découvrons sur un nouveau registre. Est-ce là, une volonté de l’oulipien de mettre l’écriture sous cloche afin de mieux en faire surgir la création ?
Ce livre n’est pas oulipien, il n’obéit à aucun cahier des charges. J’ai seulement suivi les documents, images, photographies, extraits de livres et pages manuscrites, et ce qu’elles me racontaient. J’ai aussi réorganisé dans un ordre précis ces documents, pour obéir à une narration à la fois discursive et logique.
Quels auteurs vous inspirent ?
Pour le Nom sur le mur, j’ai évidemment pensé à Dora Bruder, de Modiano, et aux livres cités au cours du texte, de Aurais-je été résistant ou bourreau de Pierre Bayard à des ouvrages d’historiens.
L’actualité d’Hervé Le Tellier :
Je publie chez l’Arbalète, une collection de Gallimard, Les Contes liquides de Jaime Montestrela, un recueil de contes, très brefs, à la fois absurdes et – j’espère – drôles, illustrés par Killoffer.
Hervé Le Tellier, Le nom sur le mur, Gallimard, 176 pages, 19.80 €.
Parution le 1er octobre 2024