Louise L. Lambrichs est une écrivaine de poésie, de romans, d’essais et de critiques et est officière des Arts et des Lettres. Après des études de philosophie, elle s’oriente vers le professorat puis vers l’édition. Auteure de nombreuses critiques, elle s’intéresse à la pensée en tant que concept ainsi qu’aux liens qui unissent la médecine et la psychanalyse. À l’aube du xxie siècle, elle enseigne l’histoire de la pensée médicale à la faculté de médecine de Créteil. Elle s’engage également dans un important travail de recherche et de terrain sur la répétition génocidaire dans les pays balkans et dénonce les idéologies nationalistes des États serbes dirigés par Milošević. Des prises de position qu’elle partage avec son mari, l’universitaire franco-croate Mirko Grmek.
Dans son dernier roman, Louise L. Lambrichs raconte les deux dernières années de vie de son époux et les problématiques liées à une mort annoncée. En 1998, Mirko Grmek apprend qu’il est atteint de la maladie de Charcot. Comment vivre alors avec cette temporalité nouvelle, avec ce futur incertain ? Les regards, d’épouse et de femme de lettres et de sciences, viennent éclairer un sujet aussi controversé et délicat à de nombreux égards que profondément humain : l’euthanasie. Ainsi, elle couche sur papier leurs échanges, leurs périodes de doute, d’enthousiasme, les regains d’espoir, les voyages, les souvenirs, le travail à terminer, mais également la nécessité de transmettre et de conserver le travail de toute une vie.
Ce livre est un récit biographique où l’auteure tient un rôle phare. Écrire pour extérioriser, pour comprendre, pour raconter, pour garder et témoigner. Immortaliser un pan de cette vie partagée, de cette mémoire commune qui sera définitivement amputée. Par ce témoignage, c’est aussi poursuivre le travail entrepris par Mirko Grmek. Longtemps, il milita pour un discours transparent du médecin envers son patient (lui-même étant en droit de connaître son état de santé) afin de favoriser une relation de confiance sur le plan thérapeutique.
« Est-ce la raison pour laquelle j’attache tant d’importance à cette fin de trajet que nous vivons ? Comme s’il était devenu vital, avant que le néant vienne frapper d’oubli définitif certains pans de ma propre mémoire, de sauver encore de la mort ce qui peut être sauvé — des images vivantes, une sorte de cohérence intime qui menace de voler en éclats. ».
Plus largement, La vie, ça finira un dimanche est une réflexion sur le sens de la vie. Sous la plume de Louise L. Lambrichs, l’homme et sa pensée renaissent. Elle leur redonne corps et matière comme une mère accouche de son nouveau-né qu’elle aime déjà, dans la douleur et la joie indicible. Une douleur pudique que l’on retrouve au fil des pages. Par ce texte, elle interprète métaphoriquement l’inversion des rôles que la maladie avait instaurée. « […] rôles apparents s’inversent-ils : si l’on pourrait croire que l’aidant maintenant à manger, à se laver, à s’habiller, c’est moi qui joue le rôle de la mère et lui celui de l’enfant ». Elle s’emploie, à présent, à le faire renaître sous la forme des mots.
Le couperet tombe et la maladie de Charcot commence à se délecter de ses muscles. Bientôt, le médecin qu’est Grmek ne pourra plus porter ses valises ni tenir un crayon. Comble de l’ironie pour un universitaire qui passe son temps à écrire et à porter des livres. Le temps prend alors la couleur de la mort, une couleur amère, noirâtre qui fait revoir les priorités. Le temps presse, pourtant il n’est plus mesurable. Charcot condamne, ferme la porte en laissant néanmoins une fenêtre entrouverte. Les époux empruntent cette ouverture pour voyager. Tels des pèlerins, ils reviennent sur les traces du passé. L’importance de la mémoire. Créer encore des souvenirs heureux. Parfois, ils s’isolent, s’attardant sur des photographies, additionnant les clichés d’autrefois, Grmek décrivant, expliquant les scènes et les situations, les commentant. Laisser la trace, suspendre le temps et l’utiliser pour partager. Ensemble.
Louise L. Lambrichs s’attarde régulièrement sur ces instants privilégiés où le passé s’invite au présent, parfois se conjugue au futur avec le désir de revoir certains paysages, plus tard. Elle convie le lecteur à partager ces instants d’intimité qui traduisent la complicité de ces deux figures ; une complicité professionnelle et une complicité affective.
Le temps a parfois le goût du café ou la douceur d’une chanson de Piaf qui trente années durant vous a bercé, pour venir plus tard vous cueillir au moment le plus juste « Mon Dieu, laissez-le-moi encore un peu mon amoureux », « je me tais, je ravale mes larmes. ».
Le temps est aussi le facteur qui les a fait se rencontrer et s’aimer avec le respect de deux êtres dotés d’une maturité certaine. Le temps pour soi, le temps pour l’autre. Vivant de manière indépendante « une habitude librement choisie et rechoisie jour après jour, à l’image de notre existence commune qui ne repose sur aucun serment, aucune promesse » et pourtant, ils sont inséparables jusque dans la nuit. « […] quand le sommeil vient peu à peu ralentir nos phrases, il me serre plus fort contre lui comme pour ne pas laisser nos rêves nous séparer ».
Puis le temps qui manque. Le temps des dernières fois, des allers sans retour. « […] contenir l’émotion qui monte à la pensée insidieuse et insistante que jamais plus nous ne reviendrons ici ensemble et que nous sommes définitivement entrés dans une série de dernières fois ».
Le temps est ici un élément fondamental, un personnage à part entière ; les nombreuses dates qui jalonnent les chapitres en témoignent. Elles rythment, donnent le tempo jusqu’à la dernière note du 6 mars 2000. Un dimanche.
La plume de Louise L. Lambrichs est élégante et les mots sont choisis avec la minutie d’un chirurgien. Elle conjugue références médicales et épisodes personnels sans jamais perdre son lecteur. Les chapitres, courts, empruntent les respirations lentes et parfois saccadées d’une appréhension ou d’un malade comme si la lecture épousait le rythme du nouveau mode de vie qui les contraint. Loin de l’ouvrage autocentré et larmoyant, c’est une réflexion intelligible sur les dualités mort/vie, présence/absence, accompagnement/solitude qu’elle amorce, laissant ainsi le lecteur à ses propres interrogations sur le sujet de l’existence. Plus qu’un récit sur l’euthanasie, c’est une ode à la plus grande des libertés individuelles : choisir.