La contrainte nous libère et nous oblige à inventer.
Inspiré par son immense admiration pour Georges Perec, Thierry Bodin-Hullin a eu l’idée de concevoir une collection unique : 53 livres de 53 pages, écrits par 53 auteurs et artistes, en hommage notamment au roman inachevé de Perec, intitulé 53 jours. Les quatre premiers ouvrages ont été publiés en mars, suivis de trois autres en octobre. Les couvertures présentent des petits rectangles agencés selon le déplacement du cavalier aux échecs, un clin d’œil à la structure des chapitres de La Vie mode d’emploi.
Cette collection nous promet des approches inédites autour de Perec, chaque livre est un défi créatif.
Un bel hommage.
En 1997, avec quelques amis, nous avons créé les éditions L’escarbille, structure associative, dont l’objet unique était la publication de premiers romans. Il s’agissait de permettre à des auteur·e·s qui avaient du mal à trouver un éditeur, alors que leur écrit était de qualité, de démarrer. Une sorte de marchepied pour entrer dans le monde de l’édition. Pendant plus de douze ans (1997-2011), nous avons mis en valeur plus de vingt nouveaux romanciers. On peut citer, entre autres, Sylvain Chantal, Françoise Moreau, Arnaud Le Gouëfflec, Isabelle Pandazoupolous…
En 2011, l’équipe initiale, lassée de lire des manuscrits tous les jours, décide de s’arrêter, et passe le relais. De mon côté, au bout de deux sans activité éditoriale, j’ai ressenti un manque, et les vieux démons sont remontés à la surface. Nous sommes alors en 2013.
Alors que L’Escarbille était un projet collectif, L’Œil ébloui est une suite très personnelle. L’idée d’accueillir des auteurs·e·s que je connais de façon plus ou moins proche, ou par le biais de rencontres provoquées ou plus « hasardeuses », m’a permis d’approcher différemment le métier en insistant sur la connivence, la confiance et la complicité avec les auteurs·e·s.
Pourquoi avez-vous choisi de créer cette collection « Perec » ? Quelle orientation avez-vous privilégier pour explorer son œuvre ?
Ce qui m’intéresse, c’est la littérature, le roman, la nouvelle, la poésie, le fragment, c’est la
« petite chose littéraire », comme j’aime l’appeler : la littérature de l’intime. J’ai une certaine exigence sur l’écriture. Je dis souvent que ce que je publie me correspond ; je recherche l’écriture de l’intime qui dévoile la sensibilité des êtres, personnages de fiction ou non. Dans la recherche des autres, dans leur intimité dévoilée, je cherche une réponse à mes propres questionnements. Dans la présentation du catalogue, il est écrit que L’Œil ébloui cherche à rendre le lecteur « plus rêveur, autrement dit plus vivant ». Partager ce désir, offrir des écritures, des univers qui font poser sur soi et sur le monde un regard sensible.
Dix ans d’Escarbille, dix ans d’existence de L’Œil ébloui, et l’envie dorénavant de partir sur un projet qui me ramène à la source de mon amour de la littérature. Une nouvelle voie pour aller au bout de ma démarche éditoriale. D’où la création d’une collection ciblée sur Georges Perec. J’ai une profonde admiration pour l’œuvre de Georges Perec. J’ai écrit un des premiers mémoires de maitrise sur l’écrivain à Paris IV Sorbonne en 1983, qui portait sur La vie mode d’emploi. Le nom même de ma maison d’édition est un clin d’œil direct à l’écrivain. Paru chez Chêne en 1988, L’œil ébloui est un ouvrage de photographies de l’artiste américaine Cuchi White sur les trompe-l’œil urbains et monumentaux. Perec en a écrit une magnifique préface sur l’art de l’illusion. Construire aujourd’hui un projet éditorial autour de cette figure de la littérature française est une suite qui reste très personnelle, et presque naturelle. Mieux comprendre pourquoi Perec exerce sur moi, comme sur beaucoup d’autres, une vraie fascination. Son œuvre multiforme touche, sans y paraitre, le plus profond de soi. Je souhaite que cette collection [53] participe à cette lecture-là de Perec. »
Pouvez-vous nous parlez de votre travail d’éditeur ? Pourquoi 53 livres et sur quelle période envisagez-vous de les publier ?
53 jours, c’est le temps qu’a mis Stendhal pour écrire La Chartreuse de Parme ; ou quasi la durée du trajet qui sépare Zagora de Tombouctou à dos de dromadaire. C’est aussi le titre, entre guillemets, du roman inachevé de Georges Perec. 53 pages, c’est l’espace d’un livre ; un lieu d’écriture pour dire, penser, inventer, rêver, percer la lecture qu’on a de Perec. 53 livres, c’est toute une collection ; un parcours collectif multiforme, un cheminement proposé à 53 artistes et écrivain·e·s pour porter un regard personnel sur la vie et l’œuvre de l’écrivain.
L’ambition est de porter le projet de 6 livres/an, 3 livres au printemps, 3 autres à l’automne. Un projet sur 9 ans à partir de 2024. Une diffusion nationale, un événement annuel lié à la sortie des titres.
Les 4 premiers titres ont été publiés au printemps 2024.
Le volume numéro 1 reprend l’inventaire des 50 choses qu’il ne faut tout de même pas oublier de faire avant de mourir, que Perec avait lu sur France Culture en 1981, en réponse à l’invitation de Jacques Bens qui venait de créer l’émission Mi-fugue, mi-raison. La transcription de l’entretien radiophonique est bien différente de la liste tapuscrite car les interlocuteurs de Perec interrompent la lecture, posent des questions, demandent des précisions, portent la trace d’un moment plein de drôlerie et de familiarité.
Le numéro 2, Trajet Perec, est celui dans lequel j’explique son projet, ses raisons, les contraintes qu’il se donne et son obsession.
Signé François Bon, le volume 3, L’espace commence ainsi, est un texte où l’écrivain plonge dans Espèces d’espaces, et où l’emboitement des lieux et des temps fait fusionner l’œuvre et la vie de Perec avec celles de François Bon.
Le numéro 4, Permutation, est présente le caractère typographique créé sur mesure par l’agence Yokna pour la collection fondée sur l’idée perecquienne de « permutation », « variations infinies à partir d’un même lieu », reprise à Tentative d’épuisement d’un lieu parisien. C’est aux membres de cette agence, Thierry Fétiveau, Clément Le Priol et Benjamin Reverdy, que l’on doit aussi les très belles couvertures des livres, illustrées par de petits rectangles dont la place sur les différents volumes suit le parcours du cavalier au jeu d’échecs, comme l’agencement des chapitres dans La vie mode d’emploi.
Les sorties de l’automne 2024 :
Claro : Une seule lettre vous manque https://www.loeilebloui.fr/catalogue/une-seule-lettre-vous-manque-claro/
Anne Savelli : Lier les lieux, élargir l’espace https://www.loeilebloui.fr/catalogue/lier-les-lieux-elargir-lespace-anne-savelli/
Antonin Crenn : Terminus provisoire https://www.loeilebloui.fr/catalogue/terminus-provisoire-antonin-crenn/
Avez-vous sélectionné les auteurs pour ce projet ou sont-ils venus à vous ? Ont-ils eu une liberté totale d’aborder le travail de Perec ?
J’ai établi une liste d’environ 120 contacts, artistes (pour la plupart écrivain(e)s) qui se revendiquent de Georges Perec, une influence, une admiration, une proximité… je les contacte et leur propose de participer.
Des personnes qui me sollicitent, qui, après avoir pris connaissance de la collection, cherchent un premier contact pour savoir si leur idée pourrait rentrer dans le cadre de la collection.
Des personnes qui m’envoient un manuscrit écrit soit pour la collection, soit déjà écrit dans un autre cadre.
Je suis ouvert à la discussion, parce que tout lecteur de Perec m’intéresse, du plus connu à l’inconnu.
Avez-vous d’autres projets en cours pour L’Œil ébloui ?
Non, je vais me consacrer dorénavant à cette collection. 6 livres par an, c’est beaucoup pour un éditeur indépendant qui travaille tout seul. J’ai de quoi m’occuper pour les dix ans à venir !
Les auteurs/autrices de 2025 pour la collection :
Pierre Getzler, ami de Perec, qui a photographié la place Saint-Sulpice au moment où Perec écrit sa Tentative d’inventaire d’un lieu parisien
Sophie Coiffier, L’éternité comme un jeu de taquin
Jean-Louis Bailly, Le timbre a un franc
Perecofil (association de brodeuses qui brodent l’œuvre de Perec !) Broder Perec
Corinne Dupuy, Angle mort
Eric Pessan, qui écrit un manuscrit perdu de Perec
L’actualité de L’œil ébloui :
Fin 2024 :
Et en avril 2025, j’espère bien participer au Festival du livre de Paris + juin 2025 Marché de la poésie.
Le site : www.loeilebloui.fr
contact@loeilebloui.fr
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©SOPHIE CARMONA
Octobre 2024