Les éditions L’Harmattan proposent aux lecteurs le premier livre de Manon Aline ; le premier qui témoigne d’une pratique créative tout du moins, car l’auteure s’est, dans un premier temps, fait remarquer pour ses critiques littéraires et son intérêt prononcé pour la création, tout aussi littéraire, et l’écriture créative.
Avec cet ouvrage, elle renoue avec cette pratique délaissée quelques années et nous offre un recueil d’expériences choisies pensé comme un journal dont la forme interpelle par les quelques libertés prises. Chapitré en quatre temps à la fois thématiques et chronologiques, le livre alterne les textes poétiques et les notes personnelles ; un rythme saccadé qui empêche toute fluidité de lecture, mais dont on perçoit rapidement la pertinence. Ces notes accompagnatrices contextualisent l’écrit qui les précède et invitent à effectuer une pause salvatrice, nécessaire, voire à une relecture de ce dernier. Une approche discursive comme un recul fondamental sur ses propres écrits. Aussi, il ne s’agit pas tant de s’adresser au lecteur en lui fournissant informations et explications comme le ferait un cartel accompagnant une œuvre d’art, mais plutôt d’effectuer une critique immédiate essentielle afin de poursuivre ce travail d’écriture. De mettre à distance.
Chaque note débute par la date de production et nous voyons ainsi la notion de journal promise par le titre de l’ouvrage. Mais quelle est donc cette saison tout enveloppée de noir ? Voilà bien qu’après les douceurs de l’été, l’auteure reprend du stylo pour nous conter l’automne, ses couleurs et ses journées qui s’engouffrent progressivement dans les nuits fraiches et humides. C’est dans cette brume automnale que les mots s’éclaircissent et se couchent sur le lit blanc du papier. « 1er octobre 2023 : nouveau journal […]. Deux pages par jour minimum […]. »[1] Un défi personnel : commencer par la rigueur de la répétition, créer une habitude d’écriture, même courte. Trouver le temps pour trouver sa place avec cette forme de méditation thérapeutique. Retrouver le goût dans la futilité des sujets. Ce goût retrouvé dans le présent rédigé.
Le temps est une entité omniprésente. Il s’immisce dans le fond et dans la forme. On le retrouve dans le titre, dans la mécanique d’écriture, dans sa routine aussi, puis il couvre les pages comme si l’auteure désirait le saisir, lui qui d’habitude file à la vitesse du vent. Elle le désire, l’empoigne, le maitrise, l’honore et le respecte.
Il est toujours temps
De créer du temps
Pour la poésie
Ce recueil rêveur
Monstrueux et divers
N’a d’unité
Que de saison
Est-il toujours temps
De saisir cet élan
Pour la poésie ?
Ce livre railleur
Furieux et austère
Se veut agité
Plus que de raison
Il est toujours temps
De penser à l’instant
De la poésie
Créations ultérieures
Le Kraken mortifère
D’un futur angoissé
Par ce que nous faisons[2]
Mais le temps doit se prendre pour qu’il ne soit plus perdu. Prendre le temps pour l’écriture créative, c’est écrire pour se rencontrer soi, se connaitre mieux, c’est poser les mots qui tourbillonnent dans la tête comme des feuilles dans la tempête, les ordonner comme on mettrait de l’ordre dans sa vie. Puis, s’absoudre de la forme pour composer des fragments du moment (temps, espace), en raconter les tonalités. Écrire pour se forcer à observer et à tracer les silences, rendre visible l’indicible. En créant une habitude d’écriture par la régularité de l’activité, les mots finissent par s’associer, dialoguer entre eux, faire sens et « c’est là le temps de la poésie qui vient à moi. »[3] Ainsi, le processus de création est enclenché.
Vient l’espace du texte, l’agencement qui marque le rythme, trace les silences indispensables à son écriture. À de nombreux moments, Manon Aline s’interroge sur la forme, qu’elle désire libérée des codes inhérents à la poésie ; une manière de laisser couler l’encre, de ne pas stopper le flux de sa créativité. Questionner la forme, c’est également interroger sa sensibilité, l’expressivité de son écriture. Le respect des strophes, des rimes, des vers.
En somme, Saison nocturne. Journal poétique sur l’écriture créative est à la fois un témoignage, un partage d’expérience, un recueil de textes poétiques invitant le lecteur à noircir les pages d’un carnet des futilités quotidiennes qu’il rencontre et à s’extraire du jugement des autres pour laisser son seul regard s’exprimer avec exigence et tendresse. Les images auxquelles l’auteure fait appel sont, pour la plupart, puisées dans un quotidien qui relève d’une forme d’universalité. Le lecteur peut alors aisément se projeter dans un projet d’écriture. Conserver les ratés, se dire que ce n’est pas grave. Relativiser.
Un journal poétique que l’on prend plaisir à lire, où chaque texte est une graine à picorer. Là aussi le temps se manifeste, dans la lecture cette fois-ci. Le temps pour apprécier chaque mot, chaque ensemble, chaque sensation.
Manon Aline, Saison nocturne. Journal poétique sur l’écriture créative, éditions L’Harmattan, 7 mars 2024, 90 pages, 13 €.
https://www.editions-harmattan.fr/catalogue/livre/saison-nocturne/16212
© David VALENTIN
Correction : Julie Poirier @correctrice_point_final
[1] ALINE, Manon. Saison nocturne. Journal poétique sur l’écriture créative. Éditions L’Harmattan, 2024, p. 10.
[2] Ibid.
[3] Op. cit., p. 44.