La prosodie[1] d’une langue, cette musique subtile faite de rythmes, d’intonations, et d’accents, en dit long sur son rapport à son environnement. L’occitan, avec ses syllabes caressées par une intonation chantante, ses accents marqués et son débit souvent nonchalant, est une de ces langues où la parole épouse les reliefs du territoire. Une langue qui semble modelée par les paysages du sud-ouest de la France, comme si l’on ne pouvait séparer les collines ensoleillées de l’accent qui s’y épanouit.
L’OCCITAN : UNE ODE AUX COULEURS DES ÂMES
L’oreille attentive remarquera avec précision les indices prosodiques, présents à chaque échange : l’accentuation d’une syllabe qui marque le ton, l’intonation qui monte et descend comme une vague, un débit tantôt rapide, tantôt suspendu, comme en attente d’une réponse. L’occitan est une langue de la terre, portée par ceux qui l’ont façonnée dans les champs, sur les chemins, ou autour des tables de ferme. Entre les chasseurs qui s’interpellent dans la montagne noire ou les ramasseurs d’ail aux abords de Lautrec, l’occitan n’était pas seulement un moyen de communication, mais un élément de cohésion sociale, un lien fort au quotidien. L’occitan, plus qu’une simple langue, est une identité rurale. Arpentez les ruelles de Revel et laissez-vous surprendre par les « macarels[2] » des anciens, sirotant lentement leur breuvage en terrasse.
Cette langue, transmise de génération en génération, des grands-parents aux petits-enfants, a infusé les familles et marqué les territoires. Il y a dans cette transmission, quelque chose de familier, comme si chaque mot appris renforçait l’attachement aux lieux et aux personnes. L’occitan aromatise les paysages locaux : il suffit de fermer les yeux pour associer une voix à une colline et un accent à un champ de tournesol. La langue s’imprègne dans les pierres, accompagnant ceux qui la parlent et ceux qui l’écoutent.
UNE LANGUE, UN TERRITOIRE
Malgré son déclin face à l’expansion du français, l’occitan résiste encore, notamment grâce aux initiatives des Calandretas, ces écoles bilingues où français et occitan se croisent et dansent ensemble. Ces établissements, véritables foyers culturels, valorisent une langue qui disparaît peu à peu, mais qui, dans ces murs, conserve une importance sociale.
Dans le quartier où s’implante une Calandreta, la langue s’efforce de rentrer dans les sphères scolaires, mais aussi familiales. Des témoignages racontent qu’au stade de l’enfance, l’occitan permet aux enfants de s’intégrer plus facilement. Mais une fois arrivés à l’adolescence, ils délaissent la langue au profit du français, bien plus utile à leurs yeux. Le passage du français à l’occitan se fait naturellement, comme si les locutions valsaient d’une langue à l’autre. Ce phénomène, connu sous le nom de Palancas[3], s’apparente à un jeu d’équilibre où les mots se répondent, se renforcent, offrant à l’un la couleur que l’autre ne saurait lui donner.
L’occitan n’est pas seulement un outil de communication, il est une manière de vivre. Les noms des villages, des rivières et des lieux-dits sont souvent d’origine occitane, avec des toponymes qui révèlent une cartographie des identités locales : mas[4], puech[5]… Chaque nom raconte une histoire, celle du lieu et de sa géographie. Et c’est dans ce décor, que le folklore colore les ambiances d’un lavis[6] chaud. À travers cette langue, le territoire devient plus qu’un espace physique, se transformant en un lieu chargé de symboles comme celui de la croix occitane.
UNE LANGUE, UN HABITANT
Sur la scène, l’occitan brille d’un éclat particulier. Il est souvent employé dans les pièces de théâtre pour sa musicalité, sa capacité à capturer les émotions, à rendre palpable les états d’âme d’un personnage. Il y a dans cette langue une qualité chantante qui, plus qu’ailleurs, permet de ressentir l’humeur de ses habitants. Chaque syllabe est portée par une voix qui semble résonner avec les paysages d’où elle est née.
Sous les feux du théâtre, Chloé est une femme qui prend vie. Chaque soir, elle devient autre. Ses pas effleurent les planches. Ses lèvres, à peine entrouvertes, libèrent alors une mélodie que le public attend sans vraiment savoir. Ce n’est pas du français qui s’échappe, non, c’est une autre langue, plus proche des montagnes, plus proche du passé. C’est l’occitan, cette langue qui danse entre ses dents, et qui soudain devient universel.
Dans ses gestes, Chloé incarne une grâce antique, celle des femmes qui, autrefois, parlaient cette langue avec les mains et leurs regards. L’occitan n’a pas besoin d’artifices pour se faire entendre. Chaque intonation, chaque accent, porte avec lui des siècles d’histoires tissées entre les champs et les villages, des mots chargés de mémoire, d’amour, de larmes retenues. Sur scène, elle devient un personnage et pourtant, elle n’a jamais été aussi elle-même. Quand elle rit en occitan, c’est toute une vallée qui éclate de joie. Quand elle pleure, c’est le silence qui l’enveloppe. Chaque mot qu’elle prononce semble avoir une texture, une odeur, une couleur qui rappelle les ambiances d’un paysage. Les spectateurs ne comprennent peut-être pas tous ces mots, mais ils les sentent. Ils les ressentent dans les vibrations de sa voix, dans les modulations, pourtant menacées. Mais tant qu’elle sera là, l’occitan ne mourra pas. Chaque soir, sur scène, elle le fait renaître. Et quand le rideau tombe, les spectateurs quittent leurs sièges, emportant avec eux le souvenir de la terre occitane.
Ainsi, l’occitan est une langue qui respire, qui chante, qui raconte. Elle est une langue qui, bien qu’en voie de disparition, continue de tisser des liens profonds avec ceux qui la parlent et ceux qui l’écoutent. Parler occitan, c’est être en accord avec le monde rural, avec la terre, avec une histoire longue et parfois tumultueuse. Et tant qu’il existera des voix pour la porter, cette langue continuera de résonner en écho avec l’identité du sud-ouest de la France.
© AMBRE BOUTES
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[1] Règles fixant les caractéristiques des sons d’une langue.
[2] Expression occitane, peut se traduire par « pétard ».
[3] Passerelles linguistiques
[4] Petite maison du sud de la France, souvent associée à l’activité agricole.
[5] Colline
[6] Technique de dessin qui consiste à diluer un pigment avec de l’eau.