On utilise des mots tous les jours, pour commander un café, discuter avec des amis, écrire un mail… Mais, au fond, avez-vous déjà pensé à la puissance réelle de ce que vous dites ? Au-delà des échanges quotidiens, les mots sont bien plus que des véhicules d’informations. Ils transforment le monde, façonnent des identités, et créent de nouvelles réalités. Derrière cette idée, on trouve un concept fascinant : la « performativité » du langage. Exploré par des philosophes comme J.L. Austin et Judith Butler, ce terme nous invite à réfléchir : et si nos mots avaient le pouvoir de changer notre vie et celle des autres ?
Quand dire, c’est faire : Le concept révolutionnaire de J.L. Austin
Imaginez une scène de mariage. Le maire prononce la phrase « Je vous déclare mariés » et, en un instant, deux personnes changent de statut. Ce qui n’était qu’une simple relation devient un engagement officiel reconnu par la société. Ce n’est pas juste une information, c’est un acte qui modifie la réalité. J.L. Austin, philosophe britannique, a mis des mots sur ce phénomène : la performativité. Selon lui, certains énoncés, comme « Je promets de… » ou « Je m’excuse », ne se contentent pas de décrire une réalité : ils la créent. Et vous, avez-vous déjà pensé à ces mots que vous prononcez et qui engagent quelque chose de plus grand ? Que ce soit une promesse, une excuse, ou même un « je t’aime », ces mots transforment la relation entre deux personnes, ils établissent une nouvelle dynamique. Austin nous montre que parfois, nos paroles sont des actions. Pourtant, il y a une condition pour que ces phrases fonctionnent : elles doivent être prononcées dans le bon contexte. Un inconnu dans la rue qui dirait « Je vous déclare mariés » ne ferait que susciter des rires. Mais lorsque le même discours est prononcé par une personne investie d’une autorité, le mariage devient réalité. Et vous, quelles paroles avez-vous prononcées qui ont changé votre vie ou celle de quelqu’un d’autre ?
Judith Butler : Quand les Mots Façonnent nos identités
Et si le langage faisait bien plus que changer les situations ? Et s’il contribuait à façonner qui nous sommes ? C’est la question que Judith Butler, philosophe américaine, a posée en reprenant la notion de performativité. Pour elle, ce ne sont pas seulement nos actes qui sont performatifs, mais aussi les discours sur le genre et l’identité. Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi nous nous comportons différemment selon que l’on nous considère comme un homme ou une femme ? Depuis notre naissance, les mots posent un cadre autour de nous : « Les garçons ne pleurent pas », « Les filles doivent être sages ». Ces phrases, que l’on répète sans y penser, agissent sur la manière dont chacun se perçoit et se comporte. Les mots deviennent comme une mise en scène, un script que nous jouons sans nous en rendre compte. Pour Butler, le genre n’est pas une donnée naturelle, mais une performance répétée. En d’autres termes, dire à un enfant qu’il est « une vraie petite fille » ou un « vrai petit garçon » participe à construire son identité. Et vous, combien de ces scripts avez-vous déjà entendus ? À quel point ces mots ont-ils influencé votre manière de vous comporter ou de vous percevoir ?
Le pouvoir souvent sous-estimé des mots du quotidien
Peut-être pensez-vous que tout cela reste très théorique. Mais la performativité se manifeste partout, dans notre quotidien, souvent sans que nous y prêtions attention. Les insultes, par exemple, en sont un bon exemple. Dire à quelqu’un qu’il est « incapable » ou « raté » peut devenir un poids énorme à porter. Ces mots, répétés, peuvent finir par influencer la manière dont la personne se voit elle-même. Vous est-il déjà arrivé de repenser aux paroles que quelqu’un a dites sur vous, et de sentir qu’elles ont laissé une empreinte profonde ? À l’inverse, les mots peuvent être libérateurs. Des mouvements comme ceux de la communauté LGBTQIA+ ont réussi à reprendre des termes autrefois utilisés pour insulter, comme « queer », et à les transformer en symboles de fierté. C’est un véritable acte performatif : en changeant le sens des mots, ils ont changé la manière dont ils se voyaient, mais aussi la manière dont la société les percevait. Et vous, avez-vous déjà réussi à transformer des mots négatifs en forces positives dans votre vie ?
Mots, médias et politique : quand les paroles changent la société
Les mots n’ont pas seulement un impact sur les individus, mais aussi sur la société dans son ensemble. Pensez à la politique. Quand un leader répète qu’un groupe de personnes est une « menace » ou un « problème », il ne fait pas que décrire une réalité, il influence la perception de ses auditeurs, et cela peut finir par transformer le climat social. Vous est-il arrivé de remarquer comment certains mots répétés dans les médias modifient votre manière de voir le monde ? C’est ici que la performativité prend tout son sens : les mots créent des réalités sociales. Par exemple, parler de « crise migratoire » ou de « vague de criminalité » n’est pas neutre. Ces expressions influencent la manière dont nous percevons ces phénomènes, et finissent par justifier certaines décisions politiques. Cela montre que la performativité n’est pas qu’une idée abstraite, elle façonne le monde dans lequel nous vivons et ce, souvent à notre insu.
Et si nous réapprenions à choisir nos mots ?
Finalement, comprendre la performativité du langage, c’est devenir conscient de la manière dont les mots agissent sur nous et sur les autres. C’est se rappeler que dire, c’est aussi faire. Et vous, que choisissez-vous de dire ? Quelle réalité voulez-vous créer à travers vos mots ? Que ce soit dans vos relations personnelles ou dans votre manière de percevoir le monde, vos mots ont plus de poids que vous ne le pensez. La prochaine fois que vous parlerez, prenez un instant pour réfléchir : ce que vous allez dire est-il un simple commentaire ou une action ? Les mots peuvent détruire, mais ils peuvent aussi bâtir. Et si nous faisions tous l’effort de bâtir, de choisir des mots qui respectent, qui encouragent, qui soutiennent ?
© OPHÉLIE LE ROUX