On dit des Portugais qu’ils ont la maladie de la nostalgie à leur corrompre le sang et à leur troubler les esprits ! on dit que les Portugais portent la fièvre de la saudade dans leur cœur et qu’ils pleurent leur gloire perdue leur vie entière ! C’est en partie vrai mais, attention, on ne fait pas que d’attendre le retour de Sebastião ou le retour des caravelles. Il faut dire les choses.
Cette odyssée débute en 1950, à la naissance du père de l’auteur près de Lisbonne, capitale du Portugal.
À cette époque, Salazar est au pouvoir et pour celles et ceux qui pourraient encore l’ignorer, il a mis en place un régime dictatorial.
Le bon peuple portugais crève de misère ou peu s’en faut ! Certains tirent le diable par la queue, d’autres tirent un peu trop sur la bouteille, mauvaise compagne de vie.
Pourtant, le credo de la nation se résume en quelques mots, pleins de droiture et d’espoir, Dieu, Patrie, Famille ; la ligne de conduite semble clairement énoncée.
À l’époque les gens avaient des droits, pas beaucoup, mais quelques-uns tout de même, il faut le dire ! Oui, on avait des droits. Les femmes aussi. Le droit de travailler dur, le droit de ne pas mettre son nez dans les affaires des autres, le droit de prier Dieu à volonté… Pourvu qu’on ne parle pas de politique, tout allait bien… Mais qui aurait parlé de politique ? On savait à peine lire et écrire. Bref, on avait nos droits. Ils ressemblaient plus à des devoirs, c’est vrai, mais retournés à l’envers, ils ressemblent aussi à des droits ! C’était un temps de misère, je ne dis pas le contraire.
Ainsi commencent les pérégrinations du jeune Carlos, père de l’auteur.
L’histoire nous est contée sous forme de mémoires donnant voix à ce père, parti de rien.
De son enfance, nous retiendrons un quotidien vécu dans le dénuement, une scolarité quelque peu mouvementée, une vie partagée entre le petit village de Lobras et Lisbonne.
Ce quotidien fut celui du petit Carlos mais, à travers lui, c’est tout un peuple qui prend vie avec les affres d’une dictature menée sous la bannière de la foi catholique, avec sa culture, ses fêtes, ses chants, ses coutumes, avec sa pauvreté qui le mène à l’exil !
L’exil vers la France, pour certains, dans le but de trouver de meilleures conditions de vie, l’espoir de meilleurs lendemains ; le départ vers l’Angola pour d’autres, joyau de la couronne, avec cette volonté de faire fortune, de concrétiser dans les colonies ce qui n’est pas envisageable sur le vieux continent.
Tout le monde voulait quitter le Portugal de Salazar. Même nos colonies, au-delà des océans, voulaient quitter le Portugal. Angola, Mozambique, Cap-Vert, Guiné Bissau, Sao Tomé et Principe. Tout le monde.
Pourtant, tout rêve comporte ses chimères et ses revers ; Carlos, devenu jeune homme, l’apprend lui aussi à l’école de la vie et ensuite à l’école de la guerre, lors de son service militaire.
Au cours de celui-ci, il apprend à se battre contre les velléités du peuple angolais, contre les désirs d’indépendance des turras, contre les ennemis de la nation qui secouent le joug du colonialisme.
Et survint alors la Révolution des œillets, la fin de la dictature au Portugal mais aussi le début de la débandade dans les colonies.
C’est la débâcle, les Portugais se voient forcés d’abandonner l’Angola et de rentrer au pays où il se retrouvent bien mal accueillis.
Les gens nous regardaient avec de mauvais yeux. On aurait dit que nous, les retornados, on était des Espagnols à mettre la main sur les avoirs d’autrui sans demander la permission.
La mère patrie n’offrant pas le havre de paix tant attendu, Carlos finit par s’expatrier en France dans l’espoir d’une vie meilleure et digne.
Ce fado chanté par Carlos n’est pas uniquement le sien, il est celui de tout un peuple poussé à l’exil par la dictature, la misère et puis la fin des colonies.
Des milliers de Portugaises et Portugais ont fui le pays qui les avaient vu naître car ce pays ne pouvait plus leur assurer une vie quotidienne digne.
Le peuple de l’émigration s’est retrouvé sur les routes, de mer et de terre, et il s’est rassemblé en terre d’accueil, autour d’une table et d’une chanson.
Numa casa portuguesa fica bem,
Pão e vinho sobre a mesa
E se, à porta, humildemente bate alguem
Senta-se à mesa com a gente.
Chanson de 1953, popularisée par Amália Rodrigues
Dans une maison portugaise on trouve toujours,
Du pain et du vin à table
Et si quelqu’un frappe à la porte avec humilité
Il vient s’asseoir avec nous
Ce récit rend hommage aux Portugaises et Portugais exilés qui se sont construits un avenir meilleur, valeureusement, dans des conditions parfois pénibles et difficiles, pour que leurs enfants naissent libres, avec des droits et des perspectives.
Ce roman souligne le courage qu’il faut pour s’exiler et se construire un avenir plus radieux !
Une ode à la bravoure, héroïsme méconnu, et à l’espoir.
Mario Queda Gomes, Une Odyssée Portugaise (presque ordinaire), Cadamoste Editions, parution le 21 février 2023, 394 pages, 19,50 €.
https://www.cadamoste-editions.com/une-odyssee-portugaise/
© CHARLOTTE LEBECQ @read_to_be_wild