Plaisir de retrouver l’élégance littéraire de Jean Echenoz.
Ce dernier ouvrage, publié aux Éditions de Minuit, illustre une fois encore la maîtrise de l’écrivain français, qui excelle à raconter des histoires en peu de mots, tout en laissant planer des mystères vertigineux.
Avec Bristol, Jean Echenoz livre un roman aussi vif qu’élégant, renouant avec son style caractéristique fait d’ironie subtile, d’ellipses maîtrisées et d’un regard singulier sur le monde. À travers ce récit, l’écrivain explore les méandres de la création artistique, mêlant réflexion et légèreté.
L’intrigue : un quotidien bousculé
Le roman s’ouvre sur une scène marquante : Bristol, le protagoniste éponyme, sort de chez lui lorsqu’un corps nu tombe littéralement du ciel pour s’écraser à quelques mètres de lui. Étrangement, cet événement, qui pourrait bouleverser n’importe qui, semble n’avoir aucun effet sur lui. Bristol continue son chemin, imperturbable. Ce point de départ, typique de l’art narratif d’Echenoz, est une porte ouverte vers une aventure où l’absurde côtoie le banal.
Robert Bristol n’est pourtant pas un homme inaffectif. En d’autres circonstances il serait le premier à se porter volontaire pour les premiers secours, bouche-à-bouche, transfusion sanguine et don d’organe éventuellement. Or pour ce mort il n’y a plus rien à faire que le voir et Bristol a déjà vu pas mal de morts dans pas mal de films, dont ceux qu’il a tournés. Puis on ne peut pas s’éterniser, du travail l’attend au bureau avant son rendez-vous place du Trocadéro, suivi d’un train à prendre cet après-midi. Il lève les yeux vers la façade de l’immeuble où des fenêtres se sont ouvertes : bien cadrés dans leurs embrasures, trois locataires observent le drame en exhalant des phylactères de buée.
Bristol est un réalisateur de cinéma aux prises avec ses projets, ses doutes et sa vision du septième art. Le choix de ce métier de cinéaste n’est pas anodin : il permet à Echenoz de jouer avec les codes narratifs et de tisser des liens entre écriture littéraire et cinématographique.
Un style reconnaissable entre tous
Jean Echenoz poursuit ici son exploration du minimalisme littéraire. Sa plume, ciselée et ironique, saisit des instants fugaces et les transforme en morceaux de bravoure. Le rythme est fluide, ponctué par des descriptions justes et des dialogues percutants. Echenoz joue avec le silence et les non-dits, invitant le lecteur à s’immiscer dans les interstices de son récit.
Ce qui frappe immédiatement dans Bristol, c’est le ton d’Echenoz : à la fois précis et espiègle. L’humour subtil, signature de l’auteur, contrebalance habilement les thèmes plus sérieux du roman, comme les affres de la création ou le poids des attentes. Les phrases, courtes et efficaces, évoquent un style cinématographique où chaque détail compte.
Un univers toujours aussi singulier
Comme dans ses précédents romans comme Je m’en vais, Ravel ou Envoyée spéciale, Echenoz crée un univers en apparence réaliste mais traversé par une forme de surréalisme discret. Les scènes se succèdent avec une logique presque onirique, où chaque détail semble chargé d’une signification qu’il appartient au lecteur de décrypter.
Avec Bristol, Jean Echenoz continue de surprendre, offrant un roman dense et captivant qui saura séduire aussi bien ses lecteurs fidèles que les nouveaux venus. En mêlant l’absurde, l’ironie et une réflexion sur la condition humaine, il nous invite à une promenade littéraire aussi déroutante que stimulante.
À la croisée de la littérature et du cinéma, ce roman illustre le dialogue fécond entre ces deux formes d’art.
Les amateurs d’Echenoz y retrouveront avec bonheur son esprit malicieux, tandis que les nouveaux lecteurs pourront découvrir un auteur qui sait mêler l’accessible et le sophistiqué.
Jean Echenoz, Bristol, Les Éditions de Minuit
Parution le 2 janvier 2025, 208 pages, 19,00 €
© SOPHIE CARMONA