« – Ne désespérez pas, dit encore le libraire.
Certains livres sont à retardements…
Le jeune homme réfléchit.
– Certaines personnes aussi, répondit-il. »
« À retardement » est également le terme que l’on pourrait employer afin de définir ce roman singulier, poétique, charmant, certes ténu, mais aux multiples facettes si l’on veut bien lui prêter attention.
Il existe quelque part un libraire qui ne ferme jamais sa boutique, qui parfois refuse de vendre les livres auxquels il est très attaché, qui s’adresse à Dieu comme il s’adresse aux hommes, qui parfois regrette d’être devenu une idée lointaine pour la plupart de ses amis, qui arrache soigneusement des pages de livres pour les envoyer à ses nombreux frères et sœurs installés partout dans le monde.
Le reste du temps, le libraire lit, lit, lit, et boit des tisanes en fonction de ses émotions, tantôt muguet, tantôt brouet d’orties, il se cache aussi quand l’heure est à la dépression ou tout simplement pas idoine, parfois il rêve, mais le plus souvent il est au service d’abord des livres, puis de sa fratrie qui est souvent dans ses pensées, et enfin de ses clients.
Si le portrait semble attrayant, il est un tant soit peu plus complexe qu’il n’y paraît à la première lecture. Toujours se méfier de la légèreté !
Bien sûr, il est possible de se laisser porter par ce conte un peu désuet, cette fable sur la lecture qui s’adresse avant tout aux amoureux des livres, ceux qui considèrent la lecture comme un bienfait, et qui à coup de romans, de récits et d’essais, bravent l’ennui autant que la solitude. Dans ce court roman un peu décalé, un peu loufoque, il n’est pas nécessaire de tout prendre au pied de la lettre, c’est le cas de le dire. Avez-vous déjà vu une question se glisser sous une porte pour venir vous tenailler au corps et à l’âme ? Certainement pas ! Mais c’est pourtant une façon bien concrète de matérialiser les sensations et de les rendre plus prenantes. Ici se confondent les choses et les sens.
Si vous le souhaitez, c’est après coup que vous en ferez une seconde lecture plus allégorique. Chaque saynète tend à illustrer, de façon certes exagérée, le métier du libraire, l’amoureux des livres, les livres, la lecture, la librairie ; chaque situation rappellera quelque chose à quelqu’un et avec un peu d’imagination, vous comprendrez aisément que le libraire se substitue aux livres, il devient consolateur, il devient ami, amoureux parfois, il sait vos manies, vos goûts, vos envies.
Laissez-vous donc le « poudoupoudoupou » de la porte donner lieu à des rencontres improbables, car la clientèle est aussi farfelue que le maitre de l’endroit : quelques Témoins de Jéhovah, une fleuriste au cœur tendre, un couple seul au monde, Jacques le fataliste, Dieu, la mort et sa faucille. Dans cette librairie un peu mélancolique, un peu sombre, rien n’est tangible et la fantaisie l’emporte.
Laissez-vous donc emporter, vous aussi, jusqu’à la dernière page, où là encore, il se pourrait que les livres, nos amis précieux, une fois le libraire en son échoppe assoupi mènent leur propre vie.
Une charmante ode aux livres et aux amoureux de ces derniers.
Ce livre est paru en 2004 Au diable Vauvert puis dans l’édition Le Livre de poche en 2022. Régis de Sà Moreira, né en 1973, est un auteur français de père brésilien. Auteur de plusieurs romans dont Pas de temps à perdre, Zéros tués. Il a été publié aux Éditions Albin Michel en 2023, avec Les grands enfants, un roman dans la même veine que Le Libraire.
© NINE DESTRAC
Corrigé par Alexandra Francheteau – Accompagner votre plume