Guylian Dai réside à Ezanville, dans le Val d’Oise. Baccalauréat littéraire en poche, il connaît un long parcours professionnel dévoué aux services publics. Une quinzaine d’années plus tard, il suit un cursus d’études universitaires de sociologie. Il est l’auteur du roman : L’être relatif (Ed. Morrigane, 2017) et du récit : Hold on, John – un voyage en Plastic Ono Band (Ed. Jacques Flament, 2021). Fin 2021, il fonde la maison d’édition Fables fertiles, lieu des « récits des apparitions vraies ».
Dans son dernier roman transbiographique, Guylian Dai nous plonge dans l’univers onirique et sensoriel de son personnage principal, Ilhan Jung. L’histoire débute par un rêve, non pas simple fantasme de l’esprit, mais véritable expérience, reflet des états émotionnels de l’individu. Cette première image frappante ouvre la voie à une introspection, où l’émotion devient le fil conducteur du récit.
Ilhan Jung est un personnage complexe qui mène une vie privée et sociale conforme aux attentes traditionnelles. Il s’adapte aux normes mais un lundi matin, tout bascule. À son réveil, un rêve étrange et persistant le hante, perturbant l’équilibre fragile de son existence. Ce rêve devient alors le point de départ d’une remise en question profonde, amorçant une lente plongée dans l’inconnu de ses émotions.
L’intrigue, d’abord centrée sur le personnage, s’élargit progressivement. Ce qui semble être une quête personnelle se transforme en un voyage, où chaque rencontre, chaque échange nourrit la remise en question et l’évolution de la conscience humaine. Les personnages rencontrés par Ilhan deviennent des fragments des étapes qu’il explore, et chaque interaction semble constituer une clé pour comprendre la réalité dans laquelle il évolue, tout en déconstruisant les certitudes qui le retenaient.
L’auteur nous invite à percevoir cette transformation comme une ascension. Ilhan est emporté par des révélations qui s’entrelacent dans un réseau complexe d’ombres et de lumière. Le roman oscille entre douceur et intensité et aborde l’identité sous diverses facettes, à travers plusieurs trajectoires racontées et partagées.
La langue évolue au fil de l’histoire, passant de la clarté à l’abstraction, de la lourdeur à la légèreté, reflétant la progression intérieure du personnage.
Est-ce la première fois que vous endossez à la fois les rôles d’éditeur et d’auteur ?
Oui, c’est la première fois. Mon premier roman édité l’avait été en 2017. Puis, un récit, en mai 2021. J’ai fondé les éditions Fables fertiles fin décembre 2021.
Souvenirs de la maison de l’aube est un livre intimiste. Comment le lecteur doit-il aborder ce texte ?
M’adresser au lecteur de ce point de vue, c’est déjà lui indiquer que Souvenirs de la maison de l’aube est un court roman tout autant intimiste qu’« extimiste ». « Extime », au sens ou le personnage se confronte au monde, résolument. Et c’est un récit à l’intimité « respirante », selon l’expression de Maurice Blanchot. Le lecteur, en effet, comprend très vite, au sortir du rêve inaugural, que la frontière traditionnelle entre intériorité et extériorité n’est plus vraiment opérante. Aborder ce texte, c’est donc s’apprêter à vivre auprès du personnage-narrateur le moment d’une trajectoire qui est celle d’une brusque rupture existentielle, qu’il n’a pas souhaitée et qui bouscule les sens, le sens, l’idée d’un sens, dont l’ « évidence », depuis « toujours » et jusqu’à son hier, commence à s’effriter, soudainement et irrémédiablement, semble-t-il. Et le phénomène se manifeste à lui sans mode d’emploi. Ilhan Jung – c’est son nom – se rend vite compte que l’approche seulement rationnelle ne suffit pas, ne suffira plus à lui indiquer quelque voie. Ajoutons enfin que ce récit, placé tout entier sous une logique de la sensation, est aussi un récit de la perte, celui d’une exploration spéculative de la mémoire, de l’accueil, de la rencontre et de l’amour.
S’agit-il d’une introspection sur l’identité, le passage du temps ?
Il y a des dimensions très introspectives dans ce roman, oui, où s’engage notablement une lente ressaisie de l’identité d’Ilhan – identité qui se trouve être traversée de parts en parts par la multiplicité. Moi n’est surtout monolithique et n’est surtout pas l’évènement à lui seul. Ilhan est cet être-je chorale dont aucune mise en ordre n’est plus envisageable, mais des agencements, des combinaisons, des types d’harmonisations, dans une mise en mouvement toute exploratoire, attentive au monde. Plus qu’une réflexion sur le passage du temps enfin, le roman, à suivre certains personnages-clé du roman, donne à percevoir des sortes de hors-temps de personnages. C’est le cas d’un personnage comme Auguste, par exemple, cette figure de l’exclu, dont la rencontre va s’avérer déterminante pour Ilhan Jung.
Tout part d’un rêve inaugural, est-ce que le réveil de Ilhan Jung représente une métaphore du passage entre deux états de conscience ?
Oui, c’est une lecture que l’on peut en avoir, considérant toutefois que ce nouvel état d’une conscience est particulièrement brouillardeux. L’état d’Ilhan, sous certains aspects, peut être considéré comme extatique, pas tant en ce sens mystique qui l’aurait extrait du monde sensible, puisqu’il s’en rapproche, mais en ce sens plus séculier d’un transport hors des modalités habituelles d’un rapport au monde, à son monde. Il est intéressant, à cet égard, de constater que le réveil est celui d’un commencement, d’un cheminement d’un autre genre, et que « l’aube » physique n’est pas l’aube encore, mais le moment où affleure la possibilité d’un à venir, et peut-être d’un accès potentiel à une maison de l’aube – maison qui symbolise une sorte d’écologie existentielle.
Quels parallèles pouvez-vous tracer entre le rêve persistant d’Ilhan Jung et la journée chaotique de votre personnage ?
Le roman s’ouvre sur ces mots :« J’écoute l’obscurité… ». Ilhan Jung devient dès lors écoute ; accueil, tout au long d’une journée qui n’est pas ou plus de plein jour, mais est une sorte de matrice ombragée où semble devoir se jouer, à compter d’une reconnexion brutale et de premières et faibles lueurs, le jour d’après. La journée chaotique d’Ilhan s’expliquerait de cette façon : une image rémanente pour seul guide, quasiment, d’un processus de transformation.
Le désordre apparent des événements traduit-il une crise intérieure du personnage ou une remise en question de l’ordre établi ? Vous décrivez un univers fait d’ombres et de surgissements. Quels symboles ou images souhaitez-vous faire émerger à travers cette dualité ?
Je pense en effet que « crise », dans son sens le plus fort, soit celui d’une manifestation brusque et intense de certains phénomènes marquant une rupture, est tout à fait approprié à ce qui arrive à Ilhan Jung. Et il affronte la crise. Il ne renonce plus. « Ordre établi » : il apparaît que la dimension sociale que recoupe cette notion est encore trop limitante, car la question, dans le roman, est toute métaphysique, avant tout : « L’ordre précède-t-il le désordre ? Ou l’ordre est-il conquis sur le désordre ? ». Les « ombres et surgissements » sont en quelque sorte ces symboles de désordres d’où émergent tout autant des lueurs – des intuitions –, que demeurent dans l’ombre d’autres déterminations existentielles.
Comment ces éléments visuels et émotionnels influencent-ils la trajectoire du personnage ?
La trajectoire est influencée par des formes de synthèses transitoires, processuelles, très empiriques… : « que font affleurer les surgissements ? » ; « les teintes et sons mêlés » ? » ; « Comment me transforment-ils, transforment mon rapport sensible au monde ? »
Vos écrits semblent interroger la frontière entre le réel et l’imaginaire. Quelles influences personnelles ou littéraires vous inspirent dans cette exploration ?
La référence aux influences ne saurait être que rétrospective tant je me suis retrouvé comme « enchâssé » dans l’exploration du personnage, à laquelle s’est jointe ma propre exploration esthétique et émotionnelle, pour un résultat esthétiquement « baroque ». La musique a eu une place, d’évidence… Je pense par exemple à John Martyn et à son album mythique « One World ». Puis, Michaux, Supervielle nouvelliste et romancier, Aragon… Mais une fois de plus, je pense que le creuset – le laboratoire – ne contenaient rien en particulier, et donc tout, tout ce qui traverse et nous fait.
Est-ce que ce livre a été difficile à écrire, sur le plan émotionnel ?
Si ce ne fut « difficile », je dirais qu’il a été émotionnellement extrêmement engageant. Le voyage m’a remué. Je me suis senti pris, à l’instar d’Ilhan, dans un double mouvement impliquant le consentement à se faire absence, et présence à la pointe extrême de ce qui fragilise.
Quelle est votre actualité ?
Deux dates, pour le moment. Je serai le 7 mars prochain à L’Ours et la Vieille Grille (Paris 5°) à 19h00 en compagnie de Clotilde Escalle et de Galien Sarde, pour une soirée intitulée « Le réel à l’épreuve des fées – fiction et sens, sens et réalités », puis le 15 mars à la très belle librairie Labbé, à Blois, de 15 heures à 18 heures.
Guylian DAI, Souvenir de la maison de l’aube, Éditions Fables Fertiles parution le 11 mars 2025, 102 pages, 15 €.
©SOPHIE CARMONA Février 2025