Docteur ès-lettres à Paris IV-Sorbonne, Caroline Fourgeaud-Laville est membre du Centre de Recherche en Littérature Comparée (Sorbonne-Université). Elle publie régulièrement depuis 2002 des textes à la croisée des genres, mêlant récits, essais, critique d’art, préfaces et articles, accordant une part importante au dialogue des arts et privilégiant les collaborations avec les artistes. Elle fonde en 2018 l’association Eurêka et introduit l’enseignement du grec ancien en classes primaires.
« On s’envole soudain dans le ciel comme l’oiseau qui exulte. On plonge dans la nuit du cosmos comme un plongeur dans la mer Tyrrhénienne. On cesse d’être « contemporain », on devient « extemporain », des mots de Pascal Quignard dans les Ombres errantes qui expriment la modernité et l’attachement au grec ancien en langue française.
Caroline Fourgeaud-Laville propose aux Editions Les Belles Lettres ce manuel dont la couverture est signée Djohr, illustratrice et graphiste qui mixe les genres. Un vade-mecum qui invite au voyage d’un apprentissage vivant et ludique sous forme de séances ou escales de 50 minutes afin d’acquérir les connaissances de la langue et de la culture grecque.
Une odyssée de 24 étapes pour les néophytes ou même les plus experts en quête de connaissance, de savoir et d’esthétique. Ainsi Caroline Fourgeaud-Laville préserve l’influence et la réflexion du grec dans notre présent.
Votre livre « Grec ancien express », véritable méthode innovante s’adresse-t-il à toutes les tranches d’âge ?
« Grec ancien express » aurait pu s’appeler « Grec pour tous ». C’est l’originalité de cet ouvrage qui comporte l’ensemble des étapes qu’auront à franchir les aventuriers de cette langue pour naviguer dans la haute mer vineuse d’Homère ou dans celle, plus disciplinée, d’un Isocrate par exemple. On fait ce que l’on veut du navire que l’on vous confie et il n’est pas interdit de faire du cabotage ou de s’arrêter pour flâner un peu. « Grec ancien express » permet cela car on peut souhaiter suivre seulement certaines de ses trames : on peut se consacrer au vocabulaire et à l’étymologie, on peut vouloir n’apprendre que les petits dialogues pour s’amuser à les mettre en scène comme nous l’avons fait nous-mêmes sur nos podcasts ( Youtube « Eureka Paris 5 », tiktok @eurekarolina ), ou même faire de longues escales sur des pages où l’on découvre l’histoire de la langue grecque, ses modes de fonctionnement, ses infinies ressources de poésie et de culture. Que l’on soit un jeune mousse ou un helléniste aguerri, ce livre offre toutes les possibilités. Des étudiants m’ont déjà confié avoir apprécié l’esprit de synthèse qui permet d’embrasser toutes les principales notions et de les éclairer par des notices pédagogiques les moins jargonnantes possibles, les plus accessibles. Ce livre devrait répondre à toutes les envies et tous les besoins, il peut vous faire voyager poétiquement mais aussi vous armer pour de plus longues traversées : à vous de choisir !
Avec votre association Eurêka, vous avez introduit l’initiation au grec dès l’âge de 7 ans, pourquoi est-ce si important de commencer l’apprentissage si jeune ?
L’initiation dès 7 ans ? 7 ou 8 ans, c’est l’âge idéal, car les enfants connaissent souvent bien la mythologie et rêvent de parler la langue de Zeus ou d’Athéna. Ce qui m’a parfois surprise c’est de constater que dans bien des cas, la demande de suivre les cours de grec venait des enfants eux-mêmes, entraînant bien souvent les parents à leur suite : cela devient une expérience familiale dont chacun peut estimer l’importance. En général, on commence par l’éblouissement de l’exotisme du nouvel alphabet. C’est un point de départ rituel, une cérémonie, un passeport. Le nouvel alphabet dont on raconte l’histoire vous détourne de vos gestes quotidiens de lecture et d’écriture, il ne fait pas appel aux mêmes zones du cerveau. Le grec ancien a même été employé afin de prévenir ou de corriger la dyslexie ou d’autres troubles de l’apprentissage chez les très jeunes. C’est un enseignement qui, quel que soit
l’âge où l’on s’y adonne, permet de redevenir enfant en quelque sortes. Tout se passe comme si l’on avait à nouveau 7 ans. C’est une façon habile d’ôter les étiquettes : avec le grec tout le monde repart à zéro, puisqu’il faut apprendre à former les lettres, à lire et à écrire. J’ai vu des enfants en difficulté, intimidés par les apprentissages scolaires, s’ouvrir peu à peu et gagner en confiance : si l’on est capable de lire une langue illisible, c’est que l’on a en soi la possibilité de vivre encore bien des conquêtes ! La magie tient aussi en cela : l’échelle change, on accepte de ne pas savoir et de redémarrer un peu comme dans un jeu de société quand vous tirez la carte « chance » qui va vous permettre de rejouer, de gagner un tour. J’aime beaucoup observer chez les débutants cette renaissance joyeuse par le grec.
Quelle est votre rapport à l’art ?
L’art et le grec ne sont pas très éloignés l’un de l’autre et je les ai toujours combinés sans anicroche dans ma vie. Il faut dire que le grec ancien fait de vous des artistes. Les enfants qui apprennent l’alphabet grec, ne l’écrivent pas mais le dessinent. C’est merveilleux de voir ainsi la main d’un écolier emprunter à celle du calligraphe son tracé voluptueux et précis. Cette écriture n’en est pas vraiment une pour nous et nos cerveaux familiarisés à d’autres signes déroutent soudain leurs circuits habituels pour prendre des chemins de traverse jusqu’ici inexplorés. C’est aussi pour cela que le grec agit profondément sur le développement cérébral des jeunes. L’art offre, tout comme le grec ancien, un degré, plusieurs degrés, de compréhension du monde, plusieurs degrés de sens et de plaisirs.
Dans « Eurêka, mes premiers pas en Grèce antique » j’ai parlé des artistes qui sont souvent les grands oubliés des livres de civilisation. On parle et on décrit les œuvres, on évoque moins les artistes, leurs trouvailles, leur rôle social. Le monde ne peut se passer de se penser ou de se rêver. L’un de mes récents émerveillements artistiques s’est produit en cours de mycénien quand je découvris que l’on pouvait déjà, sur des objets purement utilitaires, dessiner des mots dont le seul but était ornemental. L’écriture est un art et c’est bouleversant de constater qu’à l’âge du bronze quelqu’un le savait et allait en laisser un si beau témoignage.
L’actualité de Caroline Fourgeaud-Laville sera riche de rencontres et de conférences. Une signature à Paris cet automne en librairie, une participation au salon du livre de Montreuil et une conférence à la Villa Kérylos en décembre pour clore l’année en beauté ! Puis le festival des langues classiques de Versailles avec Les Belles Lettres, suivra une rencontre à Athènes en février, enfin une conférence en mars à Montpellier.
« Mais je travaille surtout sur de nouveaux livres et au commissariat de l’exposition que notre association Eurêka devrait monter en 2025 avec le musée Kotsanas d’Athènes. L’antiquité est plus que jamais d’actualité ! »
Grec ancien express Caroline Fourgeaud-Laville Photo copyright Antide Viand Les belles Lettres, 15.90 euros
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Sophie Carmona
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