Les noms de Catulle, Virgile, Cicéron ou encore Horace résonnent peut-être en chacun de nous comme de lointains échos du passé, des sources d’inspiration de la Renaissance ou du classicisme. Dans notre mémoire, il y a tous ces souvenirs de lycée, d’incontournables auteurs antiques qui ont défini en partie l’écriture occidentale.
Si l’on ne se souvient de ces auteurs que par leurs noms, il est encore possible de se les approprier, de se les réapproprier. Les traductions nouvelles ne manquent pas, qu’il s’agisse des Métamorphoses d’Ovide par Marie Cosnay ou encore des Géorgiques de Virgile devenues sous la plume du traducteur Frédéric Boyer Le Souci de la Terre. Ignorer les classiques – les classici, les auteurs qui méritent d’être étudiés en classe – est pour ainsi dire impossible. Ils restent à portée de main.
Mais des noms comme ceux d’Atilius, de Nicanor, de Laevius ou encore de Nardus vous évoquent-ils quelque chose ? Votre mémoire vous fait défaut ? C’est bien normal, il ne nous reste de ces auteurs que des notes éparses, des témoignages indirects de leur existence, des épitaphes et des vers difficilement conservés.
Pierre Vespirini nous propose, dans un voyage aussi malicieux qu’exigeant, de nous faire découvrir ces voix du passé qui se sont presque éteintes et dont il se fait l’aède et le héraut.
Poètes et lettrés oubliés de la Rome ancienne est donc un voyage s’articulant en deux parties. Ne pensez pas partir à la découverte de ces auteurs sans un bagage minimal sur la transmission des connaissances dans l’Antiquité.
P.Vespirini présente dans les soixante-six premières pages de son opuscule une histoire de la transmission littéraire, depuis les conquêtes d’Alexandre jusqu’à la fin de la République romaine. Dans une démarche pédagogique, les citations grecques et latines ne manquent pas et sont toujours accompagnées d’une traduction immédiate. Si les notes de bas de page abondent en introduction, ce n’est pas le cas dans la présentation des poètes ; et c’est une bonne chose. L’ensemble se veut fluide et intuitif pour le lectorat. Aussi peut-on avoir le sourire au coin des lèvres en voyant que la Rome antique et la langue latine n’étaient pas des palais de marbre inviolables. Que dire de ce rebelle de Furius Antias qu’on fustigea pour avoir inventé des néologismes audacieux ?
Increscunt animi, virescit volnere virtus
Les cœurs se lèvent, la blessure énergise le courage[1]
Ce fragment – au message actuel, s’il en est – résume à lui seul le sentiment de révolte qui anime les réactionnaires d’une langue qui évolue, les réactionnaires d’une société qui voudrait aller de l’avant. Et c’est justement pour ces originalités que ces auteurs ont peut-être été oubliés à travers les temps.
Quelques ombres planent toutefois sur le tableau. On regrettera la justification invoquée par l’auteur de ne s’intéresser qu’aux poètes oubliés de la République sous prétexte que la période de l’Empire donne lieu à un « chiqué [qui] semble envahir toute la vie, de la poésie à l’éloquence, en passant par la philosophie et jusqu’aux actes les plus héroïques »[1]. Cette prise de position réactualise un imaginaire de la décadence des arts et des lettres sous l’Empire qui n’a plus lieu d’être aujourd’hui[2].
[1]Ibid., p.LXVI.
[2]On citera pour le lecteur curieux sur ce sujet trois ouvrages de référence qui balaient l’idée d’une activité intellectuelle moins intéressante sous l’Empire : Marrou, Henri-Irénée, Décadence romaine ou Antiquité tardive ? (IIIe-VIe siècle), Paris, Seuil, 1977 ; Park, Ruth, ‘Jeweled Style and Silver Latin Scholarship’, in A Late Antique Poetics ? The Jeweled Style Revisited, ed. by Joshua Hartman and Helen Kaufmann, Sera Tela (London, New York, Oxford, New Delhi, Sydney: Bloomsbury Academic), 2023 ainsi que l’ouvrage majeur de Claire Sotinel, Rome, la fin d’un empire, De Caracalla à Théodoric, Belin, 2019.
On découvrira donc avec beaucoup de plaisir cet ouvrage, assez court, qui nous mène sur les traces de ceux que l’Histoire n’a pas retenus. Excepté le jugement évoqué précédemment, nous avions grand besoin de ce livre rafraîchissant dans le paysage de la littérature classique ouverte aux non-initiés.
Poètes et lettrés oubliés de la Rome Ancienne de Pierre Vesperini, 147 pages, paru aux Belles Lettres, le 06 octobre 2023, 15 €, https://www.lesbelleslettres.com
[1]Pierre Vesperini, Poètes et lettrés oubliés de la Rome ancienne, Belles Lettres, 2023, p.24.
[2]Ibid., p.LXVI.
[3]On citera pour le lecteur curieux sur ce sujet trois ouvrages de référence qui balaient l’idée d’une activité intellectuelle moins intéressante sous l’Empire : Marrou, Henri-Irénée, Décadence romaine ou Antiquité tardive ? (IIIe-VIe siècle), Paris, Seuil, 1977 ; Park, Ruth, ‘Jeweled Style and Silver Latin Scholarship’, in A Late Antique Poetics ? The Jeweled Style Revisited, ed. by Joshua Hartman and Helen Kaufmann, Sera Tela (London, New York, Oxford, New Delhi, Sydney: Bloomsbury Academic), 2023 ainsi que l’ouvrage majeur de Claire Sotinel, Rome, la fin d’un empire, De Caracalla à Théodoric, Belin, 2019.
Benjamin Demassieux
Mail : demassieux.benjamin@gmail.com