Jean-François Dupont est né en 1956 à Ambérieu-en-Bugey. Après avoir enseigné la littérature et le cinéma sur les bords de l’Ain, il consacre désormais son temps à l’écriture et au voyage. Après l’envoûtant « Villa Wexler », l’auteur poursuit son exploration de la mémoire et de l’adolescence sous un angle inédit dans L’Échappée.
François, la soixantaine passée, veuf et universitaire à la retraite sort tout juste de prison avec le projet de gagner la Suisse. Le trajet va se révéler plus que chaotique car le France fait face à une guerre civile. Sur sa route, il croise une jeune violoncelliste, Constance. Tous deux vont s’unir pour échapper aux milices et à leurs propres désenchantements.
Dans « L’échappée », Jean-François Dupont traite des relations intergénérationnelles sur fond de climat extrêmement tendu, l’écriture déjà repérée dans « Villa Wexler » est toujours aussi subtile et réaliste.
Après « Villa Wexler » en 2021, un roman d’atmosphère, vous nous proposez un tout autre style. En effet « L’échappée » est un roman « road trip », comment avez-vous eu l’idée de ce récit en mouvement ?
La différence n’est pas si marquée entre les deux romans. Même si « Villa Wexler » avait pour principal cadre une petite ville française, il s’achevait en Californie. Les deux livres privilégient surtout les ambiances et les climats. Une maison, la forêt, un ancien sanatorium… « L’Échappée » met en scène le voyage à pied d’un sexagénaire qui fuit la France en pleine guerre civile afin de gagner la Suisse, et ce pour des raisons très particulières. Pour ne pas être accablant, le sujet nécessitait une dynamique avec des rencontres, des tensions et des conditions de voyage aussi rudes que périlleuses. C’était une manière de faire redoubler sa vie au narrateur et de le confronter à des situations difficiles, cocasses ou émouvantes.
Aborder un thème intergénérationnel n’est pas si commun. François et Constance, unis par leurs solitudes respectives, évoluent pourtant côte à côte. De quelle manière et pourquoi avez-vous abordé ce thème ?
Durant son périple, François, qui voudrait oublier son âge, ne rencontrent que des personnages dont il pourrait être le grand-père. Ce décalage entre un universitaire retraité et des jeunes gens perdus et incultes renvoie le narrateur à sa solitude. Constance, elle, est une jeune violoncelliste, une sorte d’ange cabossé avec qui François va s’unir pour affronter la réalité. J’ai souvent évoqué l’adolescence dans mes romans. Je trouve que c’est une période vraiment singulière dans la vie, l’âge inconscient de tous les possibles où l’horizon est aussi flou qu’attirant. Dans « L’Échappée », François et Constance sont pris en otage par des ravisseurs très jeunes, des apprentis guérilleros. Malgré leur ignorance et parfois leur bêtise, le narrateur jette sur eux un regard compassionnel comme sur des enfants perdus semblables à ceux qui peuplent l’île imaginaire de Peter Pan. Le pays où l’on ne vieillit jamais.
Le rythme du roman est soutenu, les événements s’enchaînent, comment avez-vous appréhendé le travail d’écriture ?
Il y a, me semble-t-il des romans au rythme beaucoup plus effréné… Ce qui n’est pas forcément un gage de qualité. Surtout quand on sacrifie systématiquement les temps morts au profit des temps forts. Un roman qui ne respire pas est condamné à l’asphyxie. Pour « L’Echappée », comme je l’ai toujours fait, je me suis mis au volant de mon texte sans plan ni contraintes. J’ai souvent l’impression que le roman s’écrit partiellement à mon insu. Ainsi pour « L’Echappée », le récit ne commence pas par le début ni par la fin mais par ce qui serait presque le milieu. Je n’ai pas choisi cette structure chronologique, c’est a posteriori que j’ai mesuré son importance, tant au niveau du mystère qu’elle produisait que du climat qu’elle installait.
Quels sont les auteurs qui vous ont inspiré ?
Quand je construis une phrase, je pense à ce que pourraient en dire Modiano, Djian ou Simenon. Comment suggérer le plus en écrivant le moins. Comment élaborer un paragraphe sans charger la péniche. Chasser l’inutile, les adverbes, les adjectifs superflus etc…
Concernant l’ambiance de « L’Échappée », j’ai souvent songé aux « Quatre soldats » (Hubert Mingarelli) ou au récit « Sur le chemin des glaces » (Werner Herzog). Un film colombien m’a aussi beaucoup marqué : « Monos » (Alejandro Landes).
Quelle est votre actualité pour les prochains mois ?
Je suis dans le début d’un nouveau roman dont j’ai reporté depuis presque 10 ans l’écriture.
Je ne me sentais pas prêt et je reste encore très prudent quant à mes capacités à mener à bien ce nouveau projet : un fait divers particulièrement tragique dont je vais tenter de modifier le cours et l’issue. Cela prendra de l’énergie et du temps.
Je serai présent à La rentrée des auteurs le 3 avril à Lyon et au Salon du livre d’Autun le 6 et 7 avril.
Jean-François Dupont, L’échappée, Asphalte, 208 pages, 20 euros. Parution le 1 mars 2024.
Image : © Asphalte
© SOPHIE CARMONA