« Dire quelque chose qui ne soit ni falsifiable ni substituable, c’est une lettre d’amour, c’est une lettre de rupture, c’est une oraison,
c’est irréversible. »
Ma découverte poétique de cette rentrée.
Le Jour de l’oraison de Pierre de Cordova aux Éditions du Bunker.
Un homme se meurt de douleur après avoir été abandonné par une femme.
Jusqu’à l’oraison, il entame une élégie funèbre en trois actes pour traverser les ténèbres de la séparation.
Il évoque l’aube de l’adieu avec des mots murmurés, entre silences et résonances des souvenirs : la nostalgie des moments heureux nous fait sourire, mais la douleur de ce qui est perdu révèle toute l’intensité du désespoir.
Pierre de Cordova dévoile un univers inédit, une poésie vivante et actuelle.
La forme aussi est innovante, elle se rapproche de celle des haïkus. Épurée et concise, elle capture l’essence d’un instant en quelques mots et ouvre l’espace au silence.
C’est une poésie qui capte la sensibilité du monde.
Le Jour de l’oraison, c’est laisser partir le passé.
Résilience.
Stand-up.
Le jour de l’oraison est un recueil évoquant une rupture amoureuse, présenté comme une marche funèbre. Pourriez-vous nous éclairer sur la signification et l’impact de ce texte ?
C’est au Musée d’Orsay en regardant le tableau de Manet Un enterrement à Ornans que j’y ai pensé, je trouvais les obsèques particulièrement réussies et j’ai pensé presque en même temps qu’on pouvait, a contrario, rater les siennes.
Dans le Jour de L’oraison, j’associe en effet les obsèques à la séparation amoureuse, notamment sur la question formelle de leur organisation.
On rate la cérémonie de son premier mariage, il suffit alors de se séparer pour réussir celle du second mariage, croyez-moi sur parole, la musique y sera plus raffinée, le traiteur plus abondant et les invités plus âgés disent c’est super à la moindre occasion.
C’est la même chose pour le jour de ses obsèques, à cette différence près : pour s’organiser d’autres obsèques, il est nécessaire de ressusciter.
Je n’exclus d’ailleurs pas qu’écrire soit aussi ressusciter la densité de certaines choses dans une impasse nommée langage.
Votre recueil se distingue par une mise en scène narrative et scénographique, qu’est-ce qui vous a conduit à choisir une narration théâtrale ?
La forme théâtrale, sa version dialogique comme sa posture stand-up, m’a permis de soulager la pression du solennel qui insuffle ordinairement le discours de l’oraison, une pression en vérité qu’on pourrait étendre à d’autres formes d’expression : une lettre d’amour, une lettre de rupture ou écrire une oraison, c’est un peu la même chose, c’est l’irréversible qu’on ne peut substituer, c’est l’irremplaçable qui ne s’arrête pas.
Comment décririez-vous votre poésie ?
Dans le sens où je veux utiliser le minimum de mots dans le maximum de silence, on peut dire Haïku en effet. Dans le sens de blocs disposés sur la page, blocs minéraux et acoustiques, on peut dire aussi sculpture, le rire de Giacometti devant L’homme qui marche sous une falaise de calcaire.
Vous disposez également vos mots sur la page de façon scénique en jouant sur l’espace et les blancs, pourquoi ce choix ?
Votre question m’y ramène, mais la disposition en bloc permet aussi de ramasser le corps du texte en un seul regard. La linéarité de la prose ne le permet pas, il faut suivre du regard la progression des termes, aussi ai-je privilégié la préhension au premier coup d’œil, la fulgurance en 17 syllabes que pourrait résumer cette phrase de René Char : « J’entre, j’éprouve ou non la grâce ».
En ce qui me concerne, je ne sais pas ce qu’il en est des autres, ce que je ne vois pas au premier contact disparait dans la foulée du second.
Quels auteurs vous inspirent ?
En commençant à écrire je pensais que ce serait Emmanuel Hocquard, à la fin du livre, je me suis rendu compte qu’en fait c’était André du Bouchet qui avait pris le dessus.
Quelle est votre actualité littéraire ?
Quelque chose sur la neige et les gitans. J’écrirai un second livre.
Je ferai le contraire. Je partirai d’André du Bouchet. J’espère que cette fois il prendra le dessous.
L’auteur, Pierre de Cordova, est né dans le Gard sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing. Il a grandi entre le Lot et la Méditerranée, et vit et travaille à Paris. Il lit de la philosophie allemande, de la poésie française et américaine, et apprécie les films de Kiarostami. Il admire la peinture de Giorgio Morandi, « comme tout le monde ». Sa poésie se distingue par une précision formelle qui la rapproche de celle des haïkus, les rendant percutants
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Pierre de Cordova, Le Jour de l’oraison Stand up, Les Éditions du Bunker, parution le 10 septembre 2024, 80 pages, 15 €.
https://www.editionsdubunker.com/copie-de-les-recueils