En ce moment même, un poète du premier ordre, un poète fou erre à travers le monde… Germain Nouveau quitta un jour le lycée où il professait le dessin et se fit mendiant pour suivre l’exemple de saint Benoît Labre. Il alla ensuite en Italie où il peignait et vivait en vendant ses tableaux. Maintenant il suit les pèlerinages et j’ai su qu’il était passé à Bruxelles, à Lourdes, en Afrique. Fou, c’est trop dire, Germain Nouveau a conscience de son état. Ce mystique ne veut pas qu’on l’appelle Fou et Poverello lyrique, il veut qu’on n’emploie à son endroit que le mot Dément.
Des amis ont publié quelques-uns de ses poèmes, et comme il a renoncé à son nom, on n’a mis sur ce livre que cette indication mystique comme un nom de religion : P. N. Humilis. Mais son humilité serait choquée de cette publication, s’il la connaissait. [1]
Dans ce brillant essai rédigé par Etienne Crosnier, Germain Nouveau, poète oublié du XIXe siècle (1851-1920), est remis à l’honneur, à la place qui lui revient de droit, celle d’un poète marquant de cette période riche et foisonnante en littérature, comme en d’autres formes d’art.
L’auteur nous rappelle qu’il fut un contemporain, méconnu de nos jours, de Paul Verlaine et d’Arthur Rimbaud, ami même de ces deux poètes illustres dont il fut compagnon de route et d’écriture.
Ce poète fit le choix de vivre en mendiant, aux portes des églises ou sur la route, en humble personne, désintéressée du monde, de ses attraits et de ses servitudes ; entendons par-là la reconnaissance, le succès, l’adulation des foules ou la consécration aux yeux des contemporains. Cela explique sans doute le fait qu’il ait quelque peu sombré dans l’oubli avec le temps, mais il fut à chaque fois ressuscité à travers le temps, du moins son œuvre, tel un phénix renaissant de ses cendres.
L’auteur s’emploie à nous présenter le parcours littéraire de cet aède des temps modernes, les chemins qu’ont emprunté ses vers pour parvenir jusqu’à nous, et les hommes à qui l’on doit de pouvoir encore, de nos jours, prendre plaisir à lire ses poèmes.
Humilité ! Loi naturelle !
Parfum du fort, fleur du petit !
Antée a mis sa force en elle,
C’est sur elle que l’on bâtit.
Seule, elle rit dans les alarmes.
Celui qui ne prend pas ses armes,
Celui qui ne voit pas ses charmes
À la clarté de Jésus-Christ,
Celui-là, sur le fleuve avide,
Des ans profonds que Dieu dévide,
Aura fui, comme un feuillet vide
Où le destin n’a rien écrit !
L’essai s’articule en deux grands axes : Réception critique et Processus de reconnaissance littéraire.
Dans la première partie, nous découvrons le Fol en Christ et sa poésie mystique, mais aussi le vagabond et sa vie de misère ou de peu.
L’auteur se questionne sur les raisons pour lesquelles ce poète n’a jamais été « comparé aux écrivains catholiques de son temps (Péguy, Bloy, Claudel, Maurras, Gide, Mauriac…), parmi lesquels il aurait peut-être une place ».
Ce trouvère choisit pourtant le dénuement à l’image de saint Benoît Labre, son modèle et son inspiration.
Cependant, sa poésie n’est pas uniquement mystique, l’inspiration lui venant parfois d’autres horizons que la foi.
Comment appréhender son œuvre, aux formes et styles variés, et dont une grande partie nous est parvenue amendée, censurée, voire a disparu ou, pire peut-être, continue d’être attribuée à un autre ?
Ici, référence est faite à la cabale l’ayant hissé au statut d’égal voire de co-auteur de certains poèmes d’Arthur Rimbaud lui-même.
Ensuite vient l’heure de gloire, à savoir « son entrée dans la Pléiade en 1970, consécration dans le Panthéon littéraire français ».
Dans la seconde partie, l’auteur se penche davantage sur ces deux derniers points, à savoir la comparaison à Rimbaud et l’ajout au catalogue de la Pléiade.
Point n’est ici utile ou pertinent d’en révéler le détail, mais ces deux axes sont importants pour comprendre comment l’œuvre du « chemineau mystique » est parvenue jusqu’à nous.
Du fait de son dépouillement volontaire, de sa désinvolture mais aussi de l’empathie qu’il suscite, le phénomène Germain Nouveau, anthume et posthume, est facilement récupérable par n’importe quel groupe cherchant à se démarquer d’un système de pensée dominant. En l’espace d’un siècle, il est adopté par les parnassiens et les symbolistes, encensé par les surréalistes, cousin d’Allen Ginsberg et Jack Kerouac, « Jazz poet » à l’âme vagabonde, et précurseur lointain de la Beat Generation. En 1970, tout à fait dans l’air du temps, il est accueilli à bras ouverts par la « Bibliothèque de la Pléiade » qui lui offre une place de choix aux côtés d’un autre poète maudit, mais dont la reconnaissance littéraire est plus avancée, Lautréamont, qu’André Breton a également extrait de son purgatoire à la fin de la Grande Guerre.
Est-ce donc le fait que divers courants se soient reconnus en lui ou simplement le mérite de son œuvre et la qualité de celle-ci qui ont permis à ses vers de voyager à travers mémoire et oubli, pour parvenir jusqu’à nous, lectrices et lecteurs de l’an 2024 ?
Tant de rimeurs que nous sommes en France.
Son humilité jette un voile de modestie sur sa poésie ; mais, fort heureusement, Etienne Crosnier reprend le travail de tant d’autres avant lui, Léonce de Larmandie, Ernest Delahaye, André Breton, Louis Aragon, Jules Mouquet et Jacques Brenner, afin de nous faire découvrir, ou re-découvrir, la beauté d’une poésie à tort méconnue.
Etienne Crosnier, Germain Nouveau, Comprendre les malentendus d’un mythe, Éditions L’Harmattan, 27 juin 2024, 146 pages, 16 €.
https://www.editions-harmattan.fr/catalogue/livre/germain-nouveau/75811
© CHARLOTTE LEBECQ @read_to_be_wild
[1] Citation de Léon Dierx (1838-1912) mentionnée dans cet essai