Tout le monde connait la méthode Coué, cette expression qui est entrée dans le langage courant dont le principe consistait à répéter vingt fois, matin et soir, la formule suivante : « Tous les jours, à tous points de vue, je vais de mieux en mieux. ». Dans son nouveau roman, Etienne Kern nous fait découvrir l’inventeur de la méthode[1](i.e. la pensée positive) : Emile Coué (pharmacien de profession) et avec beaucoup de pudeur un drame personnel pour soigner les mots/les maux avec beaucoup d’imagination.
« Plusieurs mois plus tard, en novembre 2020, mon père m’appelle. Ils sont à l’hôpital, tous les deux, Irène et André. Ensemble. Réanimation, étouffements. C’est la maladie dont tout le monde parle.
Je pose le téléphone. Dehors, la nuit soudain plus large. L’ordinateur, le halo bleu. Je tape : Émile Coué.
Venu d’où ? De très loin. De ma peur. De mon amour. Du mensonge que j’avais besoin d’entendre ce soir-là : Tout va bien. Et d’un coup le voilà, comme une présence restée secrète. Comme une manière d’être avec eux.
Notre visage n’existe pas. Il est fait de tous les autres. On n’y voit que ceux des autres. »
D’où vient Émile Coué ?
« … de la noblesse d’Ancien Régime, des longues cavalcades féodales sur une lande. Je lis ça dans les archives, j’admire les signatures, je note les graphies dans un carnet -tantôt Coué, tantôt Coüé, une, deux syllabes. Mais rien n’en est resté, ni le nom, ni l’argent, Exupère baisse la tête en rajustant sa casquette de cheminot. Emile détourne les yeux, n’ose rien dire. Il a peur de blesser. La seule présence du père le tétanise. »
Sa formation
« Il veut devenir chimiste. Le père refuse : études trop longues, trop coûteuses. Il sera pharmacien, c’est-à-dire d’abord stagiaire, puis commis : il sera nourri, logé, blanchi. Il s’inscrira bientôt à l’Ecole supérieure de pharmacie, rue de l’arbalète, à Paris. »
Comment construire un langage pour soigner les esprits et les maux ?
« Mais on l’écoute, Émile. On l’aime bien. On fait la queue, mail des Tauxelles. Et l’année de ses vingt-sept ans, il entre même au conseil municipal. Il découvre les longs discours et les petites combines, les palabres, le bluff. Il aime ça. Il aime ce pouvoir, le seul qu’il ait jamais eu : la parole.
Il trouve à peu près ce qu’il cherche depuis toujours : un regard où vivre. »
L’association remèdes et langage : Invention de l’effet Placebo
« La porte de la pharmacie s’ouvre. Une femme. Elle souffre. Elle réclame des cachets, une fiole, n’importe quoi, quelque chose qui la soulage.
Emile fait non de la tête : pas d’ordonnance. Elle insiste , elle veut du laudanum. Il se tait, réfléchit un moment, lui adresse enfin ce sourire désarmant, sincère et commercial qu’on lui verra toujours plus tard. Sa voix est douce, il demande un instant. Dans l’arrière-boutique, il prend de l’eau distillée, du sucre, du colorant. Sur le flacon, il écrit des mots savants, des dosages…Le lendemain, la femme est de retour, elle veut juste dire merci, le remède est une merveille. »
La rencontre entre Emile Coué et le Docteur Liébault -son crédo magnétiseur/hypnotiseur- sera déterminante sur les premiers ingrédients de sa méthode :
« Liébault l’emmène là, les malades commencent à arriver. Émile voudrait parler, solliciter l’avis du maître, exposer ses constats. Liébault hoche la tête, il ne croit guère aux idées, aux débats, il lui demande d’attendre, de voir et de comprendre.
Un vieil homme s’avance, c’est la tuberculose, ou un ulcère, ou l’épuisement, peu importe, Liébault le regarde à peine, le fait asseoir, lui pose la main sur le front et dit, d’une voix étrange, très basse : Vous allez dormir…il parle bas, tout bas, c’est maintenant, c’est le réveil, vous êtes guéri… Émile est foudroyé. »
De son expérience de pharmacien, ses observations sur les séances d’hypnose, Emile Coué passe le pas et devient hypnotiseur.
« La cure commence. Trois volontaires, l’un après l’autre. Rhumatismes, fatigue, bégaiement. Emile fait tout comme à Nancy. Les gestes nets, les paroles murmurées. Les trois personnes rouvrent les yeux, étourdies. »
Le cas Annette
« Quand il arrive devant l’immeuble, le médecin est en train de partir. Ils se connaissent de vue, la conversation s’engage.
- Hémorragie cérébrale, paralysie latérale. Un miracle qu’elle soit encore là
…
- Encore un docteur ?
La voix est lente. Chaque mot est une victoire. »
Emile Coué est devenu « Miracle Man » dans le monde entier grâce à ses conférences et parfois décrié comme charlatan dans la communauté scientifique. Son empirisme avec ses pratiques thérapeutiques novatrices, au tout début du XXième siècle et sa méthode sont unique, d’ailleurs il est quelque part le premier livre de développement personnel et avec le pouvoir des mots.
Le roman d’Etienne Kern amène avec subtilité, pudeur sa propre guérison personnelle et littéraire. Les mots, le langage et sa narration structurent ses choix, sa peur et la maîtrise de son sujet. Écrire des romans c’est parfois soigner les esprits, le cœur aussi des lecteurs et lectrices pour nous rendre plus fort…HUMAINEMENT.
« Une peur me prend. Peur de ce choix étrange, Emile Coué. Peur d’écrire : les mots jamais les bons, les pages entières à jeter. J’ai peur et plus que tout, peut-être, j’ai honte de ma peur – si confortable, si bourgeoise et égoïste ». Etienne Kern
Étienne Kern, La Vie Meilleure, Éditions Gallimard, janvier 2024, 240 pages, 19 €.
https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Blanche/Vivre
© HICHAME MAANANE @chachachamechachame
[1] Voir COUÉ, Émile. La maîtrise de soi-même par l’autosuggestion consciente. 1913..