Ces temps-ci, il y a des esprits chagrins qui se plaignent de la qualité du vers français. La poésie n’est décidément plus ce qu’elle était. Elle a troqué ses lettres de noblesse et ses alexandrins pour revenir à ce qu’elle sait faire de mieux : parler du poète, cet être de papier insaisissable qui nous parle si bien, à nous, lecteurs. Cette recension sonnera, il est vrai, comme un billet d’humeur. Il n’y a que le critique littéraire de peu de qualité — et de culture littéraire ! — pour se permettre de ne voir dans le recueil de poèmes de Pauline Bilisari que des « niaiseries d’hypersensibles ». C’est oublier enfin la définition incontournable de Sainte-Beuve dans ses Causeries du lundi qui décrivait un auteur classique en ces termes : c’est un auteur « qui a parlé à tous dans un style à lui et qui se trouve aussi celui de tout le monde, dans un style nouveau sans néologisme, nouveau et antique, aisément contemporain de tous les âges ».
Le recueil Ma maison en fleurs possède chacune de ces caractéristiques. La langue est celle utilisée par la majorité et le tout est intelligible ; la langue est respectée tout en étant saccadée, hachée, interrompue. Enfin, les thématiques évoquées rejoignent celles d’un grand nombre d’entre nous.
Articulée en quatre sections, la poétesse propose une réactualisation particulière de motifs incontournables de la littérature poétique. On voit se côtoyer les flammes — le feu que n’aurait guère rejeté Bachelard dans sa poétique des éléments —, les larmes devenant une eau lustrale de la renaissance, les fleurs qui fanent et éclosent à nouveau de façon cyclique sans s’inscrire dans l’imaginaire typique de la femme-fleur. Ces images fondées sur le ressassement se succèdent au travers de poèmes à la forme cyclique. Un peu comme les traumas et les émotions qui traversent les lignes, telles des fulgurances de l’esprit.
Quand on lit Pauline Bilisari, on doit murmurer ces vers blancs, les chuchoter, les dire à voix haute, mais ne pas les garder pour soi. Prendre la mesure du rythme particulier, tantôt souffle long, tantôt souffle court, et ressentir l’intensité de la détresse de ces mots et de ces illustrations.
Renouant avec une poésie lyrique bien éloignée de l’esthétique du XIXe siècle, la brièveté du style adopté évoque parfois Sappho ou encore, plus récemment Rupi Kaur (Le Soleil et ses fleurs) et Kae Tempest (Let Them Eat Chaos).
Le recueil jette les fondements d’une poétique toute personnelle qui mériterait d’être approfondie au travers d’autres thématiques, d’autres chemins. Comme la poétesse le rappelle, il s’agit aussi d’une écriture thérapeutique, et la seule chose qu’on pourrait craindre, c’est que, comme pour Rimbaud, la poésie ne soit en réalité qu’un moment de la vie.
Ma Maison en fleurs est un recueil qu’on peut voir comme les fondations d’un futur palais poétique qu’il nous tarde de découvrir un jour. En somme, on en redemande et on attend avec impatience son magnum opus.
Pauline Bilisari, Ma maison en fleurs, Robert Laffont, janvier 2024, poèmes, 15 €.
© BENJAMIN DEMASSIEUX