Laurence Ermacova vit à Berlin. Elle parle le français, l’allemand et le russe. Ses textes sont publiés dans les revues Stadtsprachen Magazine et Manuskripte.
Elle a fondé le U8 Kollektiv avec la poétesse Neïtah Janzing et organise des actions poétiques dans l’espace public (notamment sur les pistes de décollage de l’ancien aéroport de Berlin). Elle est membre fondatrice du Réseau des autrices de Berlin et bénéficie d’une bourse du Sénat allemand.
Son premier recueil est publié au Bunker sous le titre États de mes lieux.
Dans un entrelacs de mythologie et de paysages urbains ou sauvages, une voix trace le chemin d’une déambulation de l’Allemagne vers la Roumanie. On croisera Circé, on fera halte en forêt, on notera des signes et on suivra le fil étrangement tressé d’une écriture qui mêle les langues pour y créer des brèches et des respirations. Un voyage hypnotique.
Le monde de la poésie est vaste et varié, États de mes lieux de Laurence Ermacova propose un recueil d’une poésie vivante. Dès les premières pages l’univers poétique singulier surprend avec le croisement des langues et l’originalité de la forme.
Elle nous transporte dans un univers unique, où chaque vers résonne comme une note d’une symphonie bien orchestrée, les sonorités vont et viennent et offrent un langage nouveau.
SCHWANENSCHLAF
ce soir la nuit s’est renversée
dans le Landwehrkanal
des cygnes endormis forment des constellations
qui flottent et se défont à la surface de l’eau
fedrigweiss
umgeklappter Sternenhals
Laurence Ermacova joue habilement avec les structures poétiques, passant des vers libres aux sonnets, n’hésitant pas à proposer des formes plus expérimentales. Cette diversité formelle où la forme et le fond s’entrelacent harmonieusement se reflète dans la plupart des poèmes.
CE QUI DÉSIRE
ce qui désire à chaque instant
en moi ce qui se meurt
en moi ce qui se casse
ce qui aime à chaque instant
en moi ce qui tremble
en moi ce qui pleure
j’en fais ma puissance
la roche m’a étreinte
la neige et les pins
la sève et la salive
dans mon corps
rassasié
enfin
mélangées
loin du mot-promesse
jamais atteint
demain
l’inachevé
Le recueil étonne par la densité du voyage, des chemins labyrinthiques empruntés, un dédale éternel étrangement bien construit. La poésie parcourt les lieux de vie non pas sous forme d’inventaire ou de recensement, mais sous forme de valeur et d’impact dans nos vies en capturant les moments fugaces et les émotions profondes des états de nos lieux.
BERLIN
le halo sombre de la montagne
brille comme une boussole
dans ma main
ắp lắp làa ăp lắp lăa
odeurs de rues, de feuilles et de chiens
Vous l’aurez compris, États de mes lieux révèle les traces de vie et de l’absence dans l’ombre des souvenirs. Les poèmes, variant d’une langue à l’autre, capturent l’essence d’un lieu dont l’histoire mérite d’être poétisée. L’importance des lieux dans nos vies, la mémoire des espaces évoque une sérénité face au passage inexorable du temps.
Les lieux, témoins silencieux de nos vies, prennent vie au fil des poèmes dans lesquels coexistent la mémoire et l’oubli.
Plaisir de découvrir les Éditions du Bunker qui ont fait le pari d’offrir un choix de poésie contemporaine et vivante en proposant des recueils aux couvertures belles et sobres et des textes poétiques forts.
Laurence Ermacova, États de mes lieux : Gesammelte Gedichte, Les Éditions du Bunker, 15 avril 2024, 102 pages, 17 €.
© SOPHIE CARMONA
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Correction : Julie Poirier @correctrice_point_final