Toute vie est, ou devrait être, héroïque. Bien entendu, il y a l’héroïsme hors classe, celui du saint qui interpelle le ciel et celui du résistant qui refuse de parler sous la torture, bien sûr. Mais il existe également à côté de l’héroïsme grandiose, l’héroïsme minimaliste, cet éternel combat contre le quotidien, corps-à-corps avec ce gouffre dans lequel se débattent femmes et hommes depuis leur naissance.
Héroïque qui se lève le lundi matin pour se rendre à un travail qui l’ennuie, héroïque l’artiste sans inspiration, héroïque qui aime sans être aimé en retour, héroïque Dom Juan devant le Commandeur, héroïque Elvire devant son chagrin, mais également héroïque Sganarelle. Vivre est un métier, nous rappelle Pavese, un métier difficile et qui peut vite fatiguer.
Ce petit livre n’a pas la prétention d’embrasser la totalité de la comédie humaine. Ce n’est qu’une suite de courtes scènes variées, un théâtre de poche.
Et tout est dit, en quelques mots !
Ce recueil de pensées nous offre une galerie incroyable de personnages, divers et variés, allant d’Héraclite à Zinedine Zidane, en passant par Du Bellay, Blaise Pascal que l’auteur affectionne particulièrement, Dalida, etc.
Dalida – À Montmartre, cette ancienne reine d’Égypte descendait les volées de marches en fredonnant des chansons napolitaines. Elle les descendait avec cette gaieté particulière, cette joie de vivre un peu grave, comme si elle eût souhaité remettre encore à plus tard ce moment où l’on aborde l’autre rive, ce côté où, sans peignes ni bijoux, règne la mort.
Il y a beaucoup d’esprit dans ces pensées et notes, mais aussi des références multiples, une réflexion profonde et même de la poésie, cachée au détour d’une phrase, belle comme le jour !
De Han, peintre – XVIIe siècle, Province de Yunnan – Il prenait dans un même geste son bâton d’encre et son bâton de pèlerin. Il peignait la montagne, les pins et le nuage sur la montagne. L’ermitage n’était alors qu’un point immobile dans le blanc.
Il ne priait pas, il laissait seulement parler le grand silence du blanc plus lisse que le givre sur le toit du petit temple.
Se plonger dans ce recueil, c’est l’assurance d’être enchanté, en se laissant porter au gré des mots et des idées ; c’est faire un voyage littéraire à travers le temps, l’humanité, la vie ; c’est réaliser que l’héroïsme réside dans les détails du quotidien et qu’il peut prendre mille et un visages…
Un lecteur – J’ai lu l’Iliade et l’Odyssée, le Livre des morts des anciens égyptiens et des romans de science-fiction. J’ai emprunté le chemin tracé par les poètes dont j’ai appris des milliers de vers et accompagné les traîtres, glaive en main sur la scène des théâtres. J’ai précédé les analepses déroutantes, comblé les ellipses parfois trompeuses et suivi presque malgré moi les prolepses subtiles.
J’ai vécu en silence et à voix haute.
J’ai conversé avec Hector, Hamlet, Chamfort, le cardinal de Retz et tant d’autres. J’ai au fond de moi leur chant, aussi pur qu’un diamant. Je ne me gêne pas pour leur répondre. Peut-être, en fin de compte, ai-je écrit autant que n’importe quel auteur, qui peut le dire ?
… le visage d’un saint ou d’un artiste, d’un penseur ou d’un joueur de foot, d’une chanteuse ou d’une peintre, d’un auteur ou d’un musicien !
L’héroïsme ne réside pas dans la qualité de l’individu, mais dans sa capacité à dépasser sa condition, le temps d’une pensée, d’un acte, si minime soit-il, d’un geste qui peut parfois bouleverser sa destinée.
Ainsi en va-t-il de Véronique qui voulait simplement « rafraîchir le front de cet homme », un acte simple de bonté et d’héroïsme ; ou encore du geste de Sisyphe, sans cesse répété, dans cette absurdité renouvelée qui devient un symbole, un acte courageux et déterminé, dépassant l’incohérence première.
Ce recueil, en un mot, est un théâtre de vie, car il a l’étoffe de ses plus beaux espoirs et de ses plus douces trahisons.
Ses pages entremêlent des héros ordinaires et des personnages que l’on ne considérait pas comme tels.
Que dire de Ponce Pilate qui nous a toujours semblé faible et lâche, mais qui, sous un jour différent, peut être celui qui a permis les plus belles œuvres d’art ?
En quelques secondes il voit passer en une longue procession toute l’histoire de la peinture occidentale, Giotto, Raphaël, Delacroix, Rouault, Manessier et tant d’autres. Il voit des pietà, des présentations au temple, des résurrections, des vierges à l’enfant. Après un étourdissement il en est bien sûr, sa décision est prise et est irrévocable.
L’héroïsme que l’on croise là où on ne l’attendait pas, dans le quotidien, l’ordinaire, la vie de chaque jour.
Quand le rideau se lève et qu’il entre en scène !
Daniel Kay, Vies héroïques. Portraits, sentences et anecdotes, Éditions Gallimard, 19 septembre 2024, 120 pages, 15,50 €.
https://www.gallimard.fr/catalogue/vies-heroiques/9782073042965
© CHARLOTTE LEBECQ @read_to_be_wild
Correction : Julie Poirier @correctrice_point_final