L’absurde est partout. Il s’insinue dans nos vies comme une fissure invisible, une contradiction douloureuse entre ce que nous espérons et ce que le monde nous offre. C’est cet écart qui, comme l’écrivait Albert Camus, rend nos existences tantôt absurdes, tantôt sublimes. Pourtant, aujourd’hui, l’absurde n’est plus une notion philosophique distante : il est devenu une urgence. Une urgence de conscience. Dans une société qui vacille sous le poids des inégalités, des catastrophes climatiques et des luttes identitaires, l’absurde n’est pas qu’un constat, c’est un cri. Et c’est à ce cri que nous devons répondre.
L’ABSURDE ECOLOGIQUE : AGIR POUR LA SURVIE
Jamais l’absurde n’a été aussi manifeste que dans notre gestion de l’urgence climatique. Nous savons que notre mode de vie mène la planète au bord du gouffre. Pourtant, l’inertie domine. Nous prétendons compenser nos excès par des gestes symboliques comme planter des arbres, recycler des déchets, tandis que nous continuons de surexploiter et de détruire. L’exemple des accords internationaux illustre cette absurdité. Lors des sommets climatiques, les pays les plus pollueurs, souvent issus du Nord, promettent des efforts qui s’avèrent insuffisants, tandis que les pays du Sud, plus vulnérables aux conséquences du dérèglement climatique, peinent à faire entendre leurs besoins vitaux. Résultat ? Le monde patine, comme figé dans l’attente que l’autre agisse en premier. Loin de l’action radicale nécessaire, nous restons bloqués dans des négociations stériles qui ignorent l’urgence de la survie commune. Au quotidien, cet absurde nous guette aussi. En effet, comment comprendre qu’un simple aller-retour en avion puisse effacer en un instant une année entière d’efforts de sobriété ? Ce paradoxe climatique est à l’image de notre société à savoir, incapable d’arbitrer entre le confort immédiat et l’avenir de la planète.
LUTTES IDENTITAIRES : DEPASSER L’ENFERMEMENT
Nos sociétés se trouvent à un carrefour où les luttes pour l’égalité et la reconnaissance identitaire prennent une place centrale. Les revendications liées au genre, à la race ou à la culture sont cruciales, car elles traduisent un besoin de justice et de dignité longtemps nié. Ces combats, pourtant légitimes, s’accompagnent parfois d’un risque, celui de l’isolement ou du repli sur des catégories fixes, au détriment du dialogue et de la complexité des identités humaines. Les réseaux sociaux en sont un exemple emblématique. Espace d’expression nécessaire, ils se transforment parfois en arènes où chaque prise de parole est scrutée, amplifiée, et souvent détournée. Dans ce contexte, la nuance disparaît, remplacée par des oppositions stériles. Ainsi, des luttes qui devraient unir autour de la justice risquent de renforcer des divisions artificielles, alimentées par des logiques de confrontation. Cynthia Fleury, philosophe et psychanalyste, insiste dans son tract Le soin est un humanisme[1] sur l’importance de réintroduire une vision globale et réparatrice dans ces débats. Selon elle, nos démocraties doivent réapprendre à « prendre soin » : soin des individus, soin des différences, mais aussi soin du collectif. Si nous réduisons l’être humain à une seule dimension de son identité, nous risquons de perdre de vue l’horizon commun, celui d’une société qui doit conjuguer singularité et solidarité.
UNE REVOLTE LUCIDE FACE A L’ABSURDE
Face à l’absurde, deux chemins s’offrent à nous : la résignation ou la révolte. Camus par exemple, choisit la révolte, non comme un cri de désespoir, mais comme un acte de dignité. Cette révolte lucide refuse de nier l’absurde mais s’en sert comme moteur d’action. Elle invite à créer du sens là où il semble manquer, à restaurer des liens au lieu d’alimenter les fractures. Pour Fleury, la notion de « soin » peut offrir une issue à cette impasse. Le soin n’est pas une faiblesse, mais une force réparatrice, capable de réconcilier nos contradictions. En prenant soin de la planète, des autres et de nous-mêmes, nous réaffirmons notre humanité face au chaos. Nous sommes alors appelés à un courage nouveau, celui de regarder l’absurde en face et de lui opposer l’engagement. Ce manifeste n’est pas un appel à la résignation, mais à la vie. L’absurde ne disparaîtra jamais totalement puisqu’il fait partie de notre condition. Mais il ne doit pas nous réduire au silence. Transformons-le en puissance créatrice, en acte collectif, en projet commun. Parce que l’humanité a toujours su, face au vide, inventer du sens. Et c’est bien là notre plus grande force.
© OPHELIE LE ROUX
[1] Cynthia, Fleury, Le soin est un humanisme, Collection Tracts (n°6), Gallimard, 2019.