Dans ce recueil, Maya Cousineau Mollen tisse sa voix avec la mémoire du territoire, de la culture et de ses origines, en explorant les souvenirs à la fois intimes du corps et fragilisés de l’Histoire.
Récompensée en 2022 par le prestigieux Prix du Gouverneur général du Canada en poésie de langue française, ce recueil de mémoire la définit dans son identité, « pont fragile » entre deux mondes.
La poésie de Maya est un espace vibrant d’émotions contrastées.
Née Innu, Maya est devenue la voix poétique de son peuple. À travers ses mots, elle incarne la mémoire collective et rend hommage à ceux qui sont tombés sous les assauts d’un colonialisme implacable. Son écriture, marquée par la violence et l’humiliation infligées à sa communauté, porte en elle les ombres du génocide. Face à ses vers, la poétesse brandit sa plume comme un bouclier de résistance. Ses mots n’effacent pas les blessures, mais les apaisent, redonnent vie et ravivent l’espoir, permettant ainsi une forme de renaissance, tels des enfants du lichen.
La première partie, Enfants du lichen, déploie avec une douceur empreinte de volonté de guérison l’urgence de ne pas détourner le regard face aux disparitions d’enfants et de femmes, aux exclusions, aux spoliations et au mépris. La seconde partie, Une balle en réserve, laisse place à une colère contenue mais percutante. Ces deux sections, indissociables, interpellent profondément et rappellent l’importance cruciale du devoir de mémoire.
C’EST UNE INDIENNE C’EST PAS GRAVE
Paralysée par le joug colonial
Sur la civière des oublis
Au cœur d’un hôpital obscur
Héritière des fantômes tristes
De ces pensionnats lugubres
En un mot, tu résumes ma valeur
En mes terres mille fois offensées
Je suis l’Indienne
Celle que tu désires
Le temps d’une étreinte
Je suis l’Indienne
Celle que tu ne vois plus
Invisible
Je suis l’Indienne
Souvenir vibrant
D’une colonisation blessante
Je suis l’Indienne
Celle qui meurt
Cent fois par ta haine
Je suis l’Indienne
Celle que tu ne connais pas
Je suis l’Indienne
La sublime
La rebelle
Femme sacrée
Adoptée par une famille québécoise militante, Maya grandit dans un environnement où le militantisme est une valeur centrale. Elle apprend dès son enfance à lever le poing tout en honorant ses racines profondes. Son écriture est celle de la dénonciation de vérités longtemps occultées, de blessures honteusement effacées de l’histoire.
À travers ses poèmes, elle évoque les enfants arrachés à leur famille, les pensionnats dévastateurs. Ses vers ne se contentent pas de rappeler une réalité longtemps ignorée ; ils sont un appel à l’action, une vengeance légitime, une plainte qui refuse de se taire.
Les éditions Dépaysage font de l’autre et de l’ailleurs leur horizon culturel. Une ouverture qu’exprime le nom de la maison, conçu à la fois comme un déplacement géographique et un décentrement culturel.
« Des siècles durant, on a écrit sur eux. Sans eux. Figures caricaturales d’une histoire fabriquée par les vainqueurs, ils n’avaient que le droit de se taire. Depuis plusieurs décennies cependant, le vent tourne et les Autochtones d’Amérique du Nord se réapproprient leurs cultures, par les arts surtout, par les mots aussi. Des mots qui réactivent le passé mais ne le dénaturent pas, disent les malheurs du temps sans se résigner, portent une vision du monde singulière et accueillent le prodigieux. C’est à cela que vous convie cette collection : arpenter les terres fertiles d’une littérature agissant comme un talisman contre l’envol du temps. »
Maya Cousineau Mollen, Enfants du lichen, Éditions Dépaysage , parution le 19 avril 2024, 104 pages, 14 €
https://www.editions-depaysage.fr
© SOPHIE CARMONA Janvier 2025