Né à Nantes, Laurent Maindon est metteur en scène et cofondateur du Théâtre du Rictus qu’il dirige depuis 1996. Il se consacre à l’exploration des écritures contemporaines à travers ses mises en scène. Germaniste de formation, il rédige son mémoire de maitrise sur les graffitis du mur de Berlin qu’il soutient en octobre 1989, trois semaines avant sa chute. Poète, il a publié une dizaine de recueils chez différents éditeurs indépendants. Il explore l’écriture du roman depuis peu. Les rapports qu’entretient l’intime avec le cours de l’Histoire est au cœur de ses questionnements, tout comme l’observation des soubresauts du réel entre plausible et improbable.
Terre Ciel Enfer est le premier volume d’une saga romanesque, La Famille Müller, dont l’action principale débute à Berlin au premier jour de la construction du Mur, et dont les différents volumes paraîtront progressivement dans la collection Les Germanophonies du Ver à soie.
Dans la nuit du 12 au 13 août 1961, le mur de Berlin est érigé par la République démocratique allemande (RDA) sous forme de fer barbelés puis à partir du mois de septembre sous la forme d’un mur en béton. Il va séparer Berlin-Est et Berlin-Ouest pendant plus de vingt-huit ans.
Un dimanche matin, Éva, une petite fille berlinoise, joue à la marelle et découvre un homme en train de monter un mur qui coupe sa rue, elle comprend la menace du changement. À cet instant, la saga de la tragédie familiale des Müller va débuter
Dans ce premier opus, Laurent Maindon, tisse habilement une toile narrative où le mur de Berlin devient le témoin silencieux des vies bouleversées de la famille Müller. À travers les yeux d’Éva, le lecteur est invité à ressentir l’impact personnel et émotionnel de cet événement historique majeur. Le mélange de drame familial et de contexte historique offre une perspective captivante qui promet d’immerger les lecteurs dans une histoire poignante et évocatrice.
Avez-vous écrit ce livre avec l’intention d’en faire une saga ?
Non pas du tout. À vrai dire tout a commencé par un rêve. J’étais à Marseille en résidence de création quand une nuit j’ai rêvé d’une petite fille qui comme tous les dimanches matin décide d’aller jouer à la marelle au pied de son immeuble. Cependant il ne s’agit pas d’un jour comme un autre mais ça, elle ne le sait pas. Ce 13 août 1961 un Mur se construit qui matérialisera une frontière brutale pendant près de 30 ans. Lorsqu’elle se rend compte de ce qui se passe au bout de sa rue, tout commence…
Je suis parti de cela sans avoir de plan précis en tête. Je me suis amusé à tirer la ficelle de cette pelote informe. J’ai commencé par lui trouver une famille jusqu’à son petit frère qui naît ce jour-là. Mais la naissance de Hans est arrivée beaucoup plus tard dans l’écriture. J’avais en tête l’idée d’une famille berlinoise qui comme toutes les autres allait subir cette situation géopolitique jusque dans son intimité. Je n’avais, au commencement de l’écriture de cycle romanesque, pas la moindre idée d’où cela allait me mener. Ma seule obsession était de tenter de raconter comment la Grande Histoire s’immisce jusque dans les draps de l’intime, s’invite sans préséance à la table du quotidien.
Un ami m’expliquait un jour que selon lui il y a les auteurs du soir et les auteurs du matin. Les premiers écrivent avec la connaissance de ce qui s’est déroulé au cours de la journée, ils ont donc une vision assez précise de ce qu’ils vont écrire. Les seconds dont je fais partie découvrent leur journée au fur et à mesure et avancent dans l’insu. La Famille Müller a été écrite sans savoir à quelle heure le soleil se coucherait.
Vous êtes-vous appuyé sur une histoire vraie ? Quelle a été la nature de vos recherches ?
Pour ressentir le plus de liberté possible, il me fallait créer cette famille de toute pièce. Rien ne me raccrochant à une quelconque histoire personnelle identifiée. En revanche, j’ai beaucoup fréquenté Berlin entre 1986 et 1990. À l’époque j’ai découvert la ville, puis j’y suis retourné à de très nombreuses reprises pour y retrouver des amis mais aussi travailler sur mon sujet de mémoire de maîtrise. J’effectuais une recherche topographique des graffitis du Mur. J’ai arpenté le Mur sur sa quasi-totalité et je me suis imprégné de l’énergie de cette ville. Étant germaniste je percevais en partie les interrogations, les particularismes de cette ville hors-norme.
Au cours de la rédaction de cette fresque romanesque, il m’a fallu visionner des enregistrements d’époques que je n’avais pas connues. Pour ce premier tome par exemple, j’ai consulté des archives pour pouvoir m’aventurer dans la description de quelques scènes historiques. Ne les ayant pas vécues moi-même, il faut pouvoir tricher avec élégance. Le reste et d’ailleurs l’essentiel du roman repose plus sur la dynamique des personnages et leurs relations.
Mon but n’est pas d’écrire un roman historique. En déposant la Famille Müller dans le Berlin, des années 60 pour commencer, je bénéficie d’un décor historico-géopolitique qui me permet d’accorder bien plus d’attention à mes personnages qu’au contexte en lui-même, étant donné que j’observe l’impact de celui-ci sur eux.
Vous écrivez à propos d’une menace qui devient une injonction physique en l’espace de quelques heures. La construction du Mur va anéantir des familles pendant de longues années. Avez-vous choisi ce thème pour traiter de la détresse face aux changements ?
À plusieurs reprises, il m’est arrivé de faire découvrir la ville de Berlin à des amis qui la visitaient pour la première fois. À chaque fois je me suis trouvé face à la difficulté de rendre compte d’une part de la topologie de la ville à l’époque du Mur et d’autre part à transmettre en quoi la circulation dans cet espace engendrait un rapport particulier avec la perception et la représentation qu’on pouvait en avoir. Vivre à Berlin-Ouest ou Berlin-Est n’était pas la même chose. Vivre à Spandau ou à Kreuzberg était encore autre chose. Ce handicap à pouvoir retranscrire cela est à l’origine de cette entreprise romanesque. Trouver les angles propices, un couple vivant à l’Est qui vient vivre à Berlin-Ouest au milieu des années 50 avec tout ce que ça suppose, pour permettre une vision certes partielle et totalement subjective d’une réalité parmi de multiples autres réalités de l’époque. Les membres de la famille Müller sont représentatifs de la population ouest berlinoise des années 60/70 à défaut d’en être l’archétype.
Une fois posé ce préalable, j’ai cherché à enquêter avec les armes que procure le récit comment on vit dans un contexte comme celui-ci, par exemple quand une famille est brisée en deux et ne se reverra plus, puis quand les rêves de vie meilleure se heurtent aux réalités. J’ai cherché à traquer les affres que subissent les individus et qui demeurent pour l’essentiel invisibles dans les livres d’Histoire. On ne retiendra que des discours d’Ulbricht, de Brandt… mais on ignorera l’impact que cela a pu avoir sur les populations.
Votre style est fluide et votre écriture suscite la révélation de l’intime, des regards, des silences. Votre métier de metteur en scène influe-t-il sur vos écrits ?
Probablement que ce que j’aime le plus dans mon travail de metteur en scène, c’est la direction d’acteurs. Amener les interprètes à retranscrire au plus juste ce qui se dissimule de plus secret dans la vie des personnages et qui ne peut mieux être traduit que par un geste fortuit, une attitude héritée, un regard dérobé. Lorsque j’écris, j’ai le souci de révéler l’intime, le faillible des êtres humains, toutes ces mini stratégies de coexistence avec le quotidien, déployées plus ou moins malgré soi. Progressivement les personnages prennent ainsi forme et acquièrent une étrange autonomie. Ils finissent parfois par prendre l’auteur par la main et lui indiquer le chemin à parcourir. C’est une sensation étrange que l’infusion des personnages en soi, comme un revers dialectique de l’écriture. Parfois on ne sait plus qui instruit l’autre. L’autre influence probable est la gestion de l’espace. J’ai toujours besoin de savoir où je vais placer la caméra, d’où je vais choisir d’observer la scène décrite, comment je vais zoomer ou dézoomer.
La Famille Müller n’aurait jamais pu être une saga théâtrale. Bizarrement, je n’arrive pas à écrire une pièce de théâtre alors que je baigne dans le théâtre depuis si longtemps. J’éprouve comme un blocage alors que j’adore écrire des dialogues dans mes romans. Le souffle et la liberté extrêmes qu’offrent le roman et la poésie me conviennent mieux. Le corset de la dramaturgie me paralyse un peu. Peut-être serai-je en mesure d’écrire une pièce de théâtre le jour où j’arrêterai mon travail de metteur en scène. J’aurai ainsi l’assurance de n’être tenté de la mettre en scène.
En revanche élaborer un scénario à partir de cette fresque qui traversera finalement cinquante-six années d’histoire allemande contemporaine, envisager de l’adapter à l’écran me plairait beaucoup. En disant cela je navigue en pleine contradiction.
Qui sont vos auteurs inspirants ?
J’ai commencé par découvrir et aimer les Surréalistes, puis j’ai aimé les Américains Fitzgerald, Hemingway, Faulkner. J’ai dévoré Zweig, Schnitzler, Kafka, Döblin. Puis Beckett, Tchekhov, Shakespeare. Puis Kundera, Oulitskaïa, les auteurs nord-américains, les romans noirs, Saer. Ces dix dernières années j’ai aimé Enard, Rahmy, de Kerangal, Viel, Mauvignier, Pessan, Mathieu, Pauly et une foule d’autres excellents auteurs francophones et notamment d’auteurs dramatiques que je lis beaucoup dans le cadre de mon travail. C’est toujours difficile de répondre à cette question car on en oublie plein.
Quelle est votre actualité ?
Je vais bientôt mettre la dernière main au tome 2 de la Famille Müller qui sortira en mars prochain aux éditions du Ver à soie. Je travaille également à la rédaction du dernier tome qui lui sortira dans un an. Par ailleurs, je prépare un nouveau spectacle pour février 2025 dont j’ai confié l’écriture au romancier et auteur dramatique Eric Pessan. Il s’agit d’une adaptation très libre de la métamorphose de Kafka. Et je reprends un monologue de Catherine Benhamou à partir de fin janvier, mis en scène en 2022 et interprété par Korotoumou Sidibe.
Laurent Maindon, Terre Ciel Enfer, Le ver à soie, 174 pages, 15 euros
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