L’amour est un sujet souvent central dans la poésie. Paul Éluard (1895-1952), poète surréaliste français du XXe siècle, a écrit une œuvre dans laquelle le thème de l’amour occupe une place prépondérante et qui atteint une intensité qui confine littéralement à un mysticisme de l’être aimé et de la passion amoureuse.
Le poète, de son vrai nom Eugène Paul Grindel, voue en effet un culte fervent à l’amour. Celui-ci traverse l’ensemble de sa poésie d’une prolixité remarquable. Il apparaît certes comme un membre à part entière du surréalisme mais aussi comme un continuateur innovant, à l’écriture pure et personnelle, d’un mouvement plus ancien, le lyrisme amoureux.
Trois femmes ont compté dans la vie du poète, notamment Gala, née Elena Ivanovna Diakonova, Nush, née Maria Benz et Dominique Lemort, toutes sources d’inspiration pour l’ensemble de son œuvre poétique, comme cela est explicité dans le recueil L’Amour la poésie (1929) qui, dès le titre, révèle le lien indéfectible entre l’amour et la poésie, mettant ainsi en exergue l’importance de l’amour dans la création poétique. Éluard y exprime sa passion pour ce sentiment flamboyant, exaltant, et son impact sur l’inspiration artistique.
Les poèmes de Paul Eluard expriment souvent un désir ardent et une union parfaite entre les amants. Ils mettent en lumière la fusion des âmes, la complémentarité des êtres et la force de l’attachement, louant ainsi l’unité et l’intimité. Ils célèbrent aussi le souffle vital que représente l’amour qui fait vivre le poète, et l’Homme en général. L’amour est une force originelle qui anime chaque pulsation, chaque battement du cœur. La vision de l’amour qui s’exprime dans son œuvre est profondément intense et émotionnellement riche et saisit, grâce aux mots, les multiples facettes de la passion amoureuse. Cette source de vie provient par exemple des regards de l’être aimé, comme on peut le lire dans le poème La Courbe de tes yeux, écrit en 1924 et qui paraît également dans le recueil Capitale de la douleur en 1926 :
La courbe de tes yeux fait le tour de mon cœur,
Un rond de danse et de douceur,
Auréole du temps, berceau nocturne et sûr,
Et si je ne sais plus tout ce que j’ai vécu
C’est que tes yeux ne m’ont pas toujours vu.
Feuilles de jour et mousse de rosée,
Roseaux du vent, sourires parfumés,
Ailes couvrant le monde de lumière,
Bateaux chargés du ciel et de la mer,
Chasseurs des bruits et sources des couleurs,
Parfums éclos d’une couvée d’aurores
Qui gît toujours sur la paille des astres,
Comme le jour dépend de l’innocence
Le monde entier dépend de tes yeux purs
Et tout mon sang coule dans leurs regards.
Ce texte, plein de métaphores, de figures de style, évoque toute la magie de cette osmose entre l’amant et l’aimé, assimilant les yeux à des éléments naturels et cosmiques, et affirmant que l’existence même est dédiée à cette connaissance et à cette célébration de la beauté de l’idole amoureuse.
La passion chez Éluard n’est pas dénuée d’ambivalence. Il exprime la joie et la souffrance, la lumière et l’obscurité, la plénitude et le manque. L’auteur évoque la complexité des émotions humaines liées à l’amour, reflétant à la fois la félicité des moments partagés et la douleur de la séparation ou de la perte.
Toujours dans le recueil Capitale de la douleur (1926), le poème intitulé Parfait aborde cela en évoquant la complexité des sentiments qui peuvent aller de la passion à la douleur, de la joie à l’absence, de la présence au vide. Il reflète la lutte intérieure de l’auteur face à ses propres émotions contradictoires, créant ainsi une méditation poétique sur l’amour et ses multiples facettes. :
Un miracle de sable fin
Transperce les feuilles les fleurs
Éclôt dans les fruits
Et comble les ombres.
Tout est enfin divisé
Tout se déforme et se perd
Tout se brise et disparaît
La mort sans conséquences.
Enfin
La lumière n’a plus la nature
Ventilateur gourmand étoile de chaleur
Elle abandonne les couleurs
Elle abandonne son visage
Aveugle silencieuse
Elle est partout semblable et vide.
Souvent subtils et usant de comparaisons, les poèmes d’Éluard sont également imprégnés de sensualité, d’érotisme, de fantasmes. Il utilise des images suggestives pour évoquer la beauté du corps, le désir charnel, la passion entre les amants, sans crudité (mis à part dans les correspondances les plus intimes). La poésie elle-même est inhérente à ces aspects. On voit cela apparaître dans plusieurs recueils notamment dès le début de Poésie ininterrompue, publié en 1946 :
Nue effacée ensommeillée
Choisie sublime solitaire
Profonde oblique matinale
Fraîche nacrée ébouriffée
Ravivée première régnante
Coquette vive passionnée
Orangée rose bleuissante
Jolie mignonne délurée
Naturelle couchée debout
Étreinte ouverte rassemblée
Rayonnante désaccordée
Gueuse rieuse ensorceleuse
Étincelante ressemblante
Sourde secrète souterraine
Aveugle rude désastreuse
Boisée herbeuse ensanglantée
Sauvage obscure balbutiante
Ensoleillée illuminée
Fleurie confuse caressante
Instruite discrète ingénieuse
Fidèle facile étoilée
Charnue opaque palpitante
Le poème Amoureuse au secret, extrait de L’Amour la poésie (1929), illustre aussi cette faculté du poème à peindre la beauté du corps féminin et à dévoiler ce qui se cache derrière la personne aimée, au-delà des sourires :
Amoureuse au secret derrière ton sourire
Toute nue les mots d’amour
Découvrent tes seins et ton cou
Et tes hanches et tes paupières
Découvrent toutes les caresses
Pour que les baisers dans tes yeux
Ne montrent que toi tout entière.
Il faut préciser qu’Éluard ne s’est pas cantonné au thème de l’amour. Du moins, il lui a permis de s’ouvrir à d’autres préoccupations. Son œuvre poétique a également été le vecteur d’engagements politiques notamment pendant la Seconde Guerre mondiale, où il a utilisé ses vers pour transmettre des messages de liberté, d’espoir et de solidarité. Le poème le plus connu par rapport à cela est, bien sûr, Liberté (1942). Il est composé de 21 strophes et publié clandestinement dans le recueil Poésie et Vérité. Dès le mois de juin, la revue résistante Fontaine reprend et diffuse le poème dans la zone libre ; et en avril 1943, c’est la revue gaulliste La France Libre, basée à Londres, qui en fait parachuter des milliers d’exemplaires sous forme de tracts au-dessus des maquis français. Sous le manteau, le texte est traduit et relayé à travers toute l’Europe, par tractage, par diffusion radiophonique ou par la presse clandestine. Eluard a confié :
« Je pensais révéler pour conclure le nom de la femme que j’aimais, à qui ce poème était destiné. Mais je me suis vite aperçu que le seul mot que j’avais en tête était le mot Liberté. Ainsi, la femme que j’aimais incarnait un désir plus grand qu’elle. Je la confondais avec mon aspiration la plus sublime, et ce mot Liberté n’était lui-même dans tout mon poème que pour éterniser une très simple volonté, très quotidienne, très appliquée, celle de se libérer de l’Occupant »
En somme, l’œuvre de Paul Éluard est un hymne à l’amour sous toutes ses formes. Sa poésie passionnée et émouvante met en lumière la complexité l’éphémère, la beauté, la souffrance et la transcendance de l’amour, faisant de lui l’un des poètes les plus marquants du XXe siècle.
© JULIEN ELISO