Se déplacer en librairie vaut-il vraiment le coup ? Les librairies sont-elles en profonde disparition à l’ère du numérique et des e-books ? C’est avec Vanessa Colnot que nous avons décidés de nous entretenir au sujet de la création de sa propre librairie : L’îlot Livres.
En premier lieu, quelques mots de présentation ?
Je m’appelle Vanessa Colnot ; je suis Châtenaisienne depuis quatre ans et demi. Titulaire d’un DEA de lettres, éditrice free-lance, j’ai toujours été proche des livres.
Après vingt années passées à travailler dans l’édition scolaire, j’ai ressenti le besoin de faire autre chose, quelque chose qui m’avait énormément plus, qui m’avait toujours fait envie, mais que j’avais laissé de côté, jusqu’à cette année.
Plusieurs exemples de reconversion professionnelle m’ont ouvert les yeux. Je me suis alors dit : « Et si cela était vraiment possible ? »
Par conséquent, depuis plusieurs mois, je me démène pour redonner une librairie à Châtenay-Malabry, une ville des Hauts-de-Seine de plus de 35000 habitants.
Depuis plusieurs années, j’entends les Châtenaisiens se plaindre de l’absence de librairie dans leur ville. J’ai donc pris la décision de pallier ce manque culturel en me lançant dans l’aventure (ou mésaventure selon les jours) de la création d’entreprise.
J’ai rencontré un grand nombre de personnes (libraires, bibliothécaires, agents de la mairie, élus, commerçants, comptables…) qui m’ont guidée et conseillée ; j’ai suivi une formation, réalisé une étude de marché et créé un questionnaire pour connaître les goûts et les attentes de chacun.
Mes efforts ne sont pas restés vains car la librairie va voir le jour. Mais ouvrir une librairie n’est pas chose facile, cela demande beaucoup d’énergie et d’argent…
J’ai obtenu le soutien de l’Adelc (Association Développement de la Librairie de Création) et de la région IDF (Île de France). J’attends encore celui d’autres organismes. Néanmoins, cela restait insuffisant en regard de la somme globale des dépenses sans augmenter davantage mon endettement vis-à-vis de la banque. J’ai par conséquent lancé une campagne de financement participatif afin de récolter des dons pour m’aider à ouvrir la librairie dans les meilleures conditions possibles. Cette campagne est un succès et montre l’engouement des Châtenaisiens pour ce projet.
Pourquoi avoir décidé de fonder cette librairie indépendante ?
Pour répondre à une demande certaine. La ville n’ayant plus de librairie depuis plusieurs années, ce commerce essentiel manquait.
Je souhaite faire de L’Îlot Livres une librairie généraliste pour toute la famille. Il s’agira d’un espace de détente et de partage qui disposera de coins lecture, avec deux espaces distincts : un pôle jeunesse (de la petite enfance à l’adolescence) et un pôle adulte (axé sur une offre riche en littérature et beaux-livres).
Mon objectif est de permettre aux habitants de prendre un moment pour se ressourcer – feuilleter un livre, échanger avec d’autres personnes – et de proposer une offre susceptible de plaire à tous : chaque personne entrant dans la librairie devra être en mesure de trouver un ouvrage capable d’éveiller son intérêt, aussi bien en littérature française ou étrangère, en sciences humaines, en BD, en mangas, en albums ou romans jeunesse, ou beaux-livres.
Et pourquoi ce quartier ?
La librairie sera située dans le centre-ville de Châtenay-Malabry qui présente plusieurs atouts : concentration des commerces (notamment de bouche, de services et des restaurants), concentration d’écoles créant des flux importants de personnes à différents moments de la journée, proximité immédiate de deux parkings gratuits (un souterrain, un en surface). En outre, cette localisation s’est imposée pour satisfaire l’équation entre local disponible et équilibre économique du projet.
Quelles sont les qualités qu’il faut avoir pour mener à bien ce projet ?
Organisation
Disponibilité
Confiance en soi
Patience
Ténacité
Y’a-t-il derrière ce projet une volonté de démocratiser l’accès à la culture ?
Oui, si l’on considère que ramener l’accès aux livres pour tous au cœur d’une ville de 35 000 habitants favorise la démocratisation de l’accès à la culture.
Démocratiser l’accès à la culture pour tout un chacun
Une forte envie de renouer du lien social est à l’origine de ce projet : le lien, l’échange, la communication avec d’autres lecteurs, voire simplement d’autres parents, des voisins, ou d’autres Châtenaisiens me semblent une vraie nécessité. Le Covid a permis une chose : les librairies indépendantes ont été reconnues comme « commerces essentiels » ; les gens ont compris l’importance de ce commerce de proximité, qui dans certaines villes devient l’équivalent de la « place du village ». Le rôle du libraire est très important car, en élargissant ses activités, en organisant des rencontres, des dédicaces, des débats…, il peut définir sa librairie comme véritable maillon de la vie culturelle et démocratique de sa ville.
Démocratiser l’accès à la culture pour les jeunes
La librairie se trouvant au cœur d’un groupe scolaire incluant maternelle, élémentaire, collège et lycée, elle va mettre à la portée des jeunes un accès au monde des livres, car un espace important sera dédié à la littérature jeunesse. Cela permettra aussi à un grand nombre d’entre eux de découvrir tout simplement ce qu’est une librairie.
Il est très important d’habituer très tôt les enfants à côtoyer des livres ; du livre en tissu au roman jeunesse (en passant par la bande dessinée), ils doivent découvrir cet objet qui ainsi leur deviendra familier dans sa manipulation. Toutes les études montrent qu’il est important de lire des histoires aux tout-petits afin de nourrir et développer leur imaginaire. En mettant des mots sur des images, la lecture favorise le développement du langage et de la mémoire. De plus, c’est un moment de partage privilégié entre le parent et l’enfant.
Le métier de libraire est aujourd’hui comme nous pouvons le voir, menacé par l’émergence de la grande distribution et de l’achat sur Internet, comment allez-vous affronter cette menace ?
Ce métier ne me semble pas plus menacé qu’avant, au contraire, l’après covid a montré l’engouement des gens pour ce commerce de proximité, dit désormais « essentiel ».
Les chiffres le montrent, 2021, 2022 – années records pour la création de librairies – marquent un tournant dans ce métier.
En 2022, 142 librairies indépendantes ont été créées en France.
En revanche, ce bilan positif ne s’étend pas forcément aux librairies franchisées, certaines souffrant plus que les librairies indépendantes du contexte économique. Par exemple, en France, en 2022, 88 boutiques France Loisirs ont fermé.
Selon le Syndicat national de la librairie,
– les librairies indépendantes = 1er circuit de vente de livres en France.
– un livre sur deux est aujourd’hui acheté dans une librairie indépendante.
Les remparts contre la grande distribution et l’achat sur Internet :
– le prix unique du livre : grâce à la loi Lang de 1981, un livre a le même prix partout ! Que vous achetiez votre livre en librairie, dans une grande surface ou en ligne, vous le payez partout au même prix.
– pour protéger les libraires de la concurrence en ligne d’Amazon ou autres grandes enseignes, une loi fixe désormais à 3 € minimum le prix d’envoi des livres à domicile.
Une bonne librairie aujourd’hui c’est quoi ?
Un lieu où les gens se sentent bien et ont envie de revenir juste pour passer un moment agréable.
Un lieu avec des libraires disponibles, passionnés, souriants, capables de répondre aux attentes des gens par leurs lectures et leurs conseils
Un lieu de vie, un espace convivial, véritable maillon de la vie culturelle dans la ville.
Je souhaite avec L’îlot Livres créer un espace chaleureux propice à la flânerie, un lieu de rencontres, d’échanges. Il est très important d’apporter du dynamisme au centre-ville en organisant des ateliers, des rencontres, des soirées thématiques..
Se déplacer en librairie vaut-il vraiment le coup ? Les librairies sont-elles en profonde disparition à l’ère du numérique et des e-books ? C’est avec Vanessa Colnot que nous avons décidés de nous entretenir au sujet de la création de sa propre librairie : L’îlot Livres.
Le site de la librairie est disponible ici.
Interview menée par Bastien Fauvel