Née en 1968, Cécile Reyboz, vit et travaille à Paris, elle s’engage dans la voie de l’écriture à travers la parution de diverses nouvelles et de textes de pièces de théâtre dont Sushis variés. En 2008, paraît son premier roman, Chanson pour bestioles, qui lui ouvre la voie de l’édition chez Actes Sud et l’obtention de plusieurs distinctions littéraires parmi lesquelles le Prix Lilas, la même année.
Suivront trois autres romans qui dépeignent avec poésie le destin de personnages dont la vulnérabilité est leur plus grande force et leur regard unique, une exploration au cœur du monde qui les entoure. Le ton est donné, Cécile Reyboz joue avec le mouvement et le sentiment dans chaque morceau de vie qu’elle écrit, comme une barque bercée par les petits bonheurs et somme toute, les grands obstacles à surmonter. C’est avec une délectation sans nom que le lecteur plonge dans les vagues émotionnelles de protagonistes qui doutent, qui évoluent, et qui osent paver le chemin de leur existence.
Désabusée et sans plus d’attache, Léonore s’embarque dans le sillon de la préretraite, sans savoir de quoi sera faite la seconde partie de sa vie de femme.
Intriguée par le récit d’une star des années Disco, s’accrochant encore à une carrière déchue et à une jeunesse perdue, elle part à la recherche d’une propriété laissée à l’abandon dans la campagne grenobloise.
Léonore est habitée par l’envie de vivre le Rien pour remplir sa réalité d’un Tout bucolique et essentiel. Mais que faire de cette peur légitime d’être prise par le vide qui erre en soi et autour de soi ? Sa seule réponse pour y remédier : camper sur ses positions et défendre coûte que coûte cette vue si précieuse plutôt que la futilité des plans proposés.
Une envie de simplicité éclairée et assumée par cette sensible contemplatrice : « Pas construire, mais poursuivre ». Mais pour y arriver, elle fait face à la fois au tumultueux et au « doux suspens de la pente ».
Tout au long de son roman, l’écrivaine s’amuse avec de drôles de statistiques, où le personnage, désormais libre de toute contrainte, va déjouer les mathématiques populaires.
Par ailleurs, C. Reyboz tire des palettes colorées des nuances de couleurs vives et saupoudre la campagne et les montagnes de l’Isère de camaïeux pittoresques. Elle a le sens de la formule pastorale et authentique pour brosser ces tableaux ondoyants qui comptent la mesure du temps et content les saisons.
Considérez-vous Face à la pente comme un titre conceptuel ? Pour quelles raisons ?
Conceptuel ou symbolique, en tout cas à double sens. La pente est celle du terrain dont l’héroïne tombe amoureuse, un dénivelé inhérent au décor de l’histoire : la moyenne montagne.
C’est aussi une métaphore de l’avancée en âge, et la fin du sentiment d’éternité qu’on peut avoir jusqu’à 30, 40 ou 50 ans. Entre la fin de la jeunesse et le début de la vieillesse, il y a un entre-deux plus ou moins raide, à gravir ou dévaler. Disons gravir, mais le plus allègrement possible.
Qu’est-ce qui vous a donné envie d’aborder le thème de la seconde partie de vie ? La retraite tant crainte pour les uns ou tant espérée pour les autres.
Je voulais écrire un plaidoyer pour le vide, le « rien », la vacance, contre une tendance que nous avons à remplir à tout prix nos vies et nos paysages, du meilleur comme du pire.
Par ailleurs j’arrive à l’âge où de nombreux amis se débattent avec la retraite : Que faire maintenant ? Où vivre ? Garder ou vendre la maison de famille ? Les uns se jurent de réaliser tel projet, les autres de ne surtout plus rien faire, chacun cherche une cause dans laquelle s’investir… L’histoire de Léonore m’a permis de relier les deux thèmes.
Votre roman ouvre le regard sur la nature et l’humain avec la lucidité d’une sexagénaire. Où puisez-vous votre inspiration ?
On voit souvent assez mal ce qui nous entoure. Obnubilés par ce qu’on cherche, ce qu’on redoute, ce qu’on espère… on finit par nier une partie de ce qui est sous notre nez. On ne « voit » chez quelqu’un que ce qu’on a décidé d’en voir… La nature n’est pas simple à observer non plus. C’est un apprentissage qui ne finit jamais. J’ai suivi pendant un temps des cours de jardinage, au magnifique Potager du Roi à Versailles. La prof a commencé par nous demander de poser nos sécateurs et de .. regarder. Le près ; le loin ; les masses ; les détails ; les couleurs. Tout parle. Les années passées dans un même paysage, dans le même jardin ne changent rien : nous en découvrons toujours certains angles ou détails.
Vous proposez un roman sur la quête de l’identité. Est-ce un thème dont vous aimez parler ?
La tête de mon héroïne est farcie de statistiques un peu sottes, qui lui viennent à l’esprit à tout bout de champ. 30 % des gens ceci, donc 70% cela… Les infos, la pub, les études sociologiques ou historiques sont truffées de ces chiffres qui prétendent nous décrire, et que nous revendiquons parfois. Difficile de s’exclure de ces classements catégoriels qui peuvent être des indicateurs intéressants, mais jamais suffisants. Je me suis amusée avec ces pourcentages (issus de vraies enquêtes), dont l’héroïne va peu à peu s’affranchir.
Quel est votre rapport au théâtre ?
Très fort. J’ai toujours écrit, (nouvelles, poésie…) mais n’osais rien montrer. Vers 30 ans j’ai pris des cours de théâtre, pour le plaisir des mots. J’étais une piètre comédienne et me suis mise à écrire des sketchs, des monologues, des petites formes pour mes copains. Mes textes ont plu, sont devenus un spectacle, et les critiques ont été encourageantes. J’ai alors osé m’attaquer au roman : une pièce dont on signe le texte, la mise en scène, la lumière, la musique et les costumes !
Je vais souvent au théâtre, à Paris et au festival d’Avignon.
Quels sont les auteurs qui vous ont inspirée ?
Ceux auxquels je pense m’ont surtout longtemps intimidée. A quoi bon écrire après Faulkner et Carver, Dostoïevski et Tchekhov ? Après Céline, Sarraute, Beckett, Péguy ? Sans parler de Balzac, Châteaubriand ou Colette… Les poètes Michaud et J Sacré, Ramuz et G. Roud…
Ces auteurs ont en commun une ambition universelle, irréductible. Leurs romans peuvent être imparfaits, avec des pages tremblantes entre deux fulgurances. Mais ils emportent, ils offrent un monde complet en écho au nôtre. Thomas Mann et Boris Pasternak sont aussi de ceux-là. Ils n’offrent pas seulement une bonne histoire sur l’énigme du genre humain, mais aussi une aventure sensorielle liée au rythme, aux sonorités, au registre, à la construction plus ou moins baroque du texte…
Certains contemporains relèvent ce défi : M. M. Sarr, C. Hunzinger par exemple chez les Français, K. O. Knausgaard ou J.C. Oates à l’étranger.
Dans un autre registre, Maria Pourchet, Patrice Jean, Abel Quentin et Michel Houellebecq sont des auteurs importants à mes yeux : ils fouillent et éclairent certains angles morts de notre société.
Quelle est votre actualité pour les prochains mois ?
Je serai présente à Lire Paris le dimanche 12 avril.
Par ailleurs, je publie en novembre prochain un recueil de nouvelles (« Tentatives d’évasion ») aux Editions Quadrature, maison belge spécialisée dans la nouvelle.
Et bien sûr, je travaille la suite !
Cécile Reyboz, Face à la pente, Éditions Denoël, 240 pages, 18 euros. Parution le 6 mars 2024.
© SOPHIE CARMONA
Romans :
Chanson pour Bestioles, Actes Sud, 2008. (Prix Closerie des Lilas 2008, Bourse Premier Roman 2008 Fondation Prince Pierre de Monaco).
Pencher pour, Actes Sud, 2010.
Pouvoirs magiques, Actes Sud, 2015 ; Babel, 2018.
Clientèle, Actes Sud, 2018.
Face à la pente, Denoël, 2024.
Nouvelles :
Tentatives d’évasion, Quadrature, 2024 (novembre).
Correction : Amandine Floriot