Après des études à l’École Nationale des Arts décoratifs, Jean-Christophe Portes se tourne vers le journalisme. Il a réalisé une trentaine de documentaires d’investigation, de société ou d’histoire pour les principales chaînes de télévision. Lancées en 2015, les « enquêtes de Victor Dauterive », qui mettent en scène un jeune officier de gendarmerie sous la Révolution, connaissent un véritable succès. Avec L’affaire de l’Homme à l’Escarpin, il a remporté le Prix polar Saint-Maur en poche 2018. Aux Éditions du Masque, Minuit dans le jardin du manoir puis Le mystère du masque sacré, sont respectivement couronnés du Prix du polar d’aventure 2020, et du Prix de Masque de l’année français en 2022.
Nous sommes en 1944, nous retrouvons Lizzie Beresford et Maurice Ferrandi alias Mo.
Lizzie est embarquée dans une folle mission dirigée par les Américains et nommée Alsos afin de récupérer le fruit des recherches du savant atomiste Frédéric Jolliot-Curie avant qu’il ne soit emmené en Allemagne pour y poursuivre ses travaux. En effet, Hitler fonde beaucoup d’espoir dans l’arme nucléaire pour inverser le cours de la guerre.
Parallèlement, Mo après avoir sauvé Lizzie des griffes de la Gestapo est capturé et envoyé dans l’enfer des camps de concentration.
Ce livre est effectivement une suite mais il se lit aussi comme un premier roman. Le récit documenté entre le romanesque et la réalité renforce l’intrigue de ce roman polar historique. Jean-Christophe Portes fait une synthèse très instructive des faits réels et fictifs à la fin du livre.
Remarquons le procédé d’écriture en miroir qui repose sur la polyphonie narrative plaçant les deux protagonistes Lizzie et Mo en héros de leur propre existence. Les deux vies, dont les âmes sont abimées par la guerre, se font écho jusqu’au dénouement.
Vous écrivez des polars historiques, de quelle manière procédez-vous pour vous documenter et trier les informations ?
Je travaille actuellement sur deux périodes, qui sont toutes deux tourmentées et donc très documentées : la Révolution et la deuxième guerre.
Je garde d’abord en tête qu’il s’agit de roman. Donc, je ne commence jamais par la documentation en elle-même mais sur la situation que va devoir affronter le ou les personnages. Par exemple, pour Apocalypse Amerika, il y a deux personnages, Lizzie et Mo. Je vais donc imaginer une situation ou les deux sont séparés, elle travaillant pour les services secrets, lui étant soit prisonnier en France, soit déporté. Mais ils vont tout faire pour se retrouver. C’est le chemin du roman, et c’est le point le plus important. Comment vont-ils se retrouver ? Ensuite, le principe est d’appuyer cette intrigue ou ce parcours sur un moment historique. Je choisis toujours un événement très connu, ici la Libération et la recherche des savants atomistes nazis. Ces lectures fonctionnent comme des cercles concentriques : on part du plus large et du plus généraliste pour arriver au plus pointu. A un moment, on finit toujours par tomber par un épisode inconnu dans cet épisode connu. Pour ce cas, j’ai découvert deux choses. Il a existé une mission US spécialement chargée de trouver les savants nazis. Il y aurait eu des essais atomiques nazis. Je n’ai plus qu’à intégrer mes personnages dans ce cadre. Ce mélange roman/histoire demande du travail, mais c’est très satisfaisant car les lecteurs sont généralement heureux de savoir que tout ce qui est raconté est vrai, et que la situation romanesque est imbriquée au décor. Ils se divertissent mais apprennent aussi.
De quelle façon dosez-vous la réalité et la fiction quand vous vous écrivez ?
Le dosage, c’est vraiment que la fiction et le parcours des héros prime sur tout le reste. Ensuite, un peu comme je l’ai évoqué précédemment, je travaille beaucoup pour que ce cheminement s’intègre à l’histoire telle qu’elle s’est passée. Il arrive parfois que les péripéties réelles influent sur l’histoire des personnages. Parfois, il m’arrive de simplifier aussi la grande histoire, car si on rentre trop dans les détails, on peut assumer le lecteur ou le perdre en voulant absolument que tout soit authentique. Je rajoute aussi des péripéties ou des tensions qui sont de pure fiction. Pour les personnages réels de l’histoire, en revanche, je fais en sorte que leur apparition/intervention colle à la réalité historique. L’idée est que tout paraisse vraisemblable, ou soit tout simplement vrai.
Apocalypse AMERIKA signe la suite de votre précédent livre Oscar Wagner a disparu. Aviez-vous dès le premier opus la volonté d’en faire une série, une saga ?
Dès le début j’avais envie en effet d’en faire une suite, car j’aime l’histoire, qui est toujours riche, et donc je n’ai pas envie de la survoler, et j’ai plutôt envie d’exploiter les grands événements. D’autre part je m’attache à développer les personnages, et c’est plus facile de le faire si le roman se déroule sur une période pas trop longue, ça permet vraiment de les faire évoluer petit à petit, et donc de partager cela avec les lecteurs.
Nous retrouvons Lizzie et Mo, elle prise dans la spirale d’une mission et lui prisonnier des camps, deux histoires que vous avez décidé d’écrire en parallèle. Est-ce que ce procédé d’écriture a été une contrainte pour vous ?
Le procédé était une double-contrainte, car il fallait non seulement que les deux histoires soient aussi intenses, d’une manière ou d’une autre, afin d’éviter qu’on survole un des personnages, moins intéressant, pour retrouver l’autre. L’autre contrainte étant que j’utilise le « je », avec deux caractères vraiment différents, deux manières de raconter les choses, et c’est un vrai travail. Le but étant que le texte final ne porte pas les marques de ce travail. Je compare l’écriture à la fabrication d’un bon vêtement ou d’un bon plat. Si on voit trop les coutures ou si on sent trop les ingrédients, on a moins de plaisir. Les coutures doivent rester discrètes, la seule chose qui compte est le plaisir de lecture.
Avez-vous pensé à en faire un scénario ?
Non, car même si on me dit que le texte est plutôt visuel, et que je viens moi-même de l’audiovisuel, et donc je raisonne souvent en terme de séquences, une scénarisation se fait par la vente des droits au cinéma ou à la TV, et dans ce cas, ce n’est pas vraiment une option. Je préfère donc passer à la suite de l’écriture pour les lectrices et lecteurs.
Quels auteurs vous ont inspiré ?
Là, c’est très difficile de répondre, parce qu’il n’y en a aucun en particulier, et au contraire tous les livres que j’ai lu sont un peu intégrés… Ce que je peux dire en revanche, c’est que je suis généralement plus inspiré par les auteurs anglo-saxons en matière de livres historiques (polar ou non) : Ken Follett, Rober Harris, CJ Samson ou dernièrement Bernard Cornwell.
Quel est votre actualité pour les prochains mois ?
Il y a plusieurs salons dans les semaines qui viennent (voir ici). Sinon en septembre, le premier tome de cette série parait en poche chez J’ai Lu. Toujours en septembre, c’est la parution du tome 8 des enquêtes de Victor Dauterive, qui se passe au début des guerres de Vendée.
Jean-Christophe Porte, APOLCALYPSE AMERIKA, Hugo Thriller, 440 pages, 19.95 euros. Parution le 3 avril 2024.
© SOPHIE CARMONA