Pierre-Louis BASSE est journaliste et écrivain. Il a été un grand homme de radio, spécialiste du sport, qui n’a cessé de mêler les arts au monde du sport. Ernest Pignon-Ernest, depuis plus de cinquante ans fait des murs de la cité son terrain de jeu favori. Il est l’initiateur de l’art urbain et siège à l’Académie des beaux-arts.
Pour figer le sport dans sa poésie, il fallait associer la plume de Pierre-Louis Basse et le crayon d’Ernest Pignon-Ernest.
Tous deux nous offrent ce magnifique ouvrage qui fait l’éloge des Jeux Olympiques au travers de trente-six portraits et près de cent trente dessins d’athlètes inoubliables de l’histoire sportive des Olympiades.
C’est un livre exceptionnel, un bel objet que l’on met en évidence sur une étagère, dans sa bibliothèque. L’ouvrage cristallise la vision singulière des auteurs et de l’éditeur associant les textes et l’art comme un livre d’artiste à la gloire des Jeux.
« J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans. » Ce sont ces souvenirs que nous avons partagés, avec Ernest. Une manière de remonter ensemble le temps de nos passions.
Pierre-Louis Basse, comment vous est venu l’idée d’écrire ce livre à la gloire des Jeux Olympiques ?
Je ne sais pas si nous pouvons parler d’idée, quand il s’agit d’expliquer la naissance de ce projet. Je veux dire, ce livre, même en le rêvant, il était comme le prolongement d’autres textes que j’avais écrits sur le sport ; sauf que là, bien sûr, il y avait au générique Ernest Pignon- Ernest…
Toute ma vie de journaliste et écrivain -je n’ai jamais su faire la différence entre ces deux activités -, aura consisté à balancer entre sport, littérature, politique et histoire ; y compris à la radio. J’ai été grand reporter de sport pendant une quinzaine d’année, mais durant toute cette période j’avais besoin, en quelque sorte, d’ouvrir une fenêtre afin d’apercevoir un autre horizon. Et lorsque j’ai compris que le spectacle et la massification effarante de la diffusion du sport allaient m’ennuyer, j’ai arrêté.
Alors, forcément, avec les Jeux Olympiques, dans leur rareté – tous les quatre ans -, revient le désir d’évoquer quelques grands moments de sport. Votre question est passionnante car elle ramasse tout de même l’essentiel de ma relation au sport, comme journaliste et écrivain : l’enfance, le désir, ces moments qui créent une empreinte dans nos vies.
Des moments, des visages sont entrés dans mon existence pour ne jamais en sortir : Colette Besson, Tommie Smith, Pérec, etc. Certains de ces visages appartiennent à l’histoire du sport, la transmission familiale, d’autres sont arrivés au cours de mes reportages. J’ajoute que mon père était un professeur d’Education Physique et sportive – on ne disait pas encore coach, et m’a donné le goût du sport. D’ailleurs, c’est peut-être à lui, et à lui seul, que je racontais le sport à la radio.
On en revient ainsi à l’idée du livre : contre la seule image qui finira bien par nous engloutir, le seul présent, la répétition du même, eh bien, fabriquer avec les dessins d’Ernest, du récit, de l’imaginaire, de la liberté. Oui, je crois que c’était cela pour nous deux : créer une aventure de sport, en dessinant et en écrivant aurait dit mon héros Julien Gracq, beaucoup plus qu’une accumulation d’images plus ou moins belles.
Le livre s’imposait donc avec facilité. Certes, Ernest avait rarement dessiné le sport, mais lorsqu’on observe ses mystiques, franchement, je n’avais pas d’inquiétude. Le mouvement, les courbes…
Et puis, nous avions tout un socle en commun, outre l’amitié profonde qui nous lie. Il a toujours été un passionné de sport, notamment de football à Nice, de vélo. Il faut l’avoir vu, dans son atelier, ouvrir cette très ancienne boite en fer dans laquelle se trouve sa collection de paninis, ses coupures de presse de Nice Matin ou de l’Equipe…
Le chemin était donc tout tracé.
Proposer ce livre en collaboration avec Ernest-Pignon Ernest semble être une évidence, quelle est l’histoire de votre amitié ?
Notre amitié vient de si loin…
Je crois que c’est Deleuze qui dit cette chose très belle dans son Abécédaire que je revois souvent : à la lettre R, pour les rencontres, il sourit et nous rappelle que les rencontres, bon, il faut tout de même qu’il y ait du contenu et des choses en commun pour que ça dure.
Ses dessins, ses installations, toutes ses créations, de Naples à Rimbaud, de Soweto à Haïti, me bouleversent depuis si longtemps. Alors, forcément c’est une chance pour moi ; je veux dire, quand il dit oui à ma proposition d’exposer ses extases, chez moi, en Normandie, dans cette Abbatiale millénaire et que nous réunissons des milliers de visiteurs, forcément cela cimente notre amitié. Mais nous avons aussi en commun, l’engagement, une forme de communisme distanciée, d’utopie. Lui ne veut pas choisir entre Marx et les Evangiles. On comprend son amour de Pasolini.
Pour ce qui me concerne, dans mon métier, c’était devenu comme un gag : j’ai été cet enfant terrible d’Europe 1 qu’on accepte, mais de loin, en se disant, tout de même, ce type qui passe du sport à la littérature, qui écrit sur Cantona, Guy Môquet, ou Ma Ligne 13, c’est suspect…
Quand on voit ce qu’est devenu Europe 1… Mon dieu, on a bien fait d’en profiter.
Ernest venait dans mes émissions. On se régalait tous les deux au Grand Palais devant des expositions où j’avais une table et quatre micros. Voilà, tout cela a fondé cette amitié, ce lien devenu insécable. Plus tard, conseiller à l’Elysée, je lui proposai de dessiner les quatre visages qui allaient entrer au Panthéon : Jean Zay, Germaine Tillon, Geneviève Anthonioz- De Gaulle et Pierre Brossolette. J’organisais des rencontres avec son copain JR. Et François Hollande serait le seul Président avec François Mitterrand à découvrir la Ruche, ce lieu magique créé par Chagall, dans le 15e arrondissement Parisien où Ernest vit et travaille avec son épouse Yvette.
Comment avez-vous collaboré ? L’harmonisation entre l’écrit et les dessins a-t-elle été fluide ?
Il n’y a jamais eu d’avant, ou d’après pour le travail. On était ensemble ; dans un rythme parallèle. Je suis totalement responsable des choix éditoriaux, pour le dire pompeusement. Sur ces choix, c’était facile de travailler avec José Carlin Pérez, notre éditeur, lequel a une connaissance quasi encyclopédique du sport Olympique. Mais chaque figure faisait forcément écho à la mémoire d’Ernest. Et elle coulait dans mes veines. J’ai établi une liste, jamais exhaustive puisque nous l’avons corrigée (très peu) et amplifiée à mesure que nous avancions. Il dessinait. J’écrivais. Et lui lisais mes textes à voix haute, au téléphone. Souvent, Yvette lui lisait. Ernest m’encourageait et me félicitait. C’est un exigent gentil ; depuis toutes ces années qu’il me lit, il aime mon travail. Alors ça aide, lui dont les plus grands romanciers, philosophes ne cessent de lui faire la cour. Du magnifique poète André Velter à Régis Debray. « Harmonisation » est le bon mot.
De quelle manière avez-vous sélectionné les athlètes et comment avez-vous découvert ces anecdotes ?
Il y a bien sûr beaucoup d’or dans ce livre ; et celui-ci porte assez bien son nom… Avec des figures Olympiques souvent hors normes du point de vue de leurs performances. Mais il n’a jamais été question – et cela renvoie à l’idée première -, de ne célébrer que les meilleurs. Il faudrait mille pages et autant de dessins.
Encore une fois, c’est le récit, l’aventure, l’histoire d’un homme ou d’une femme qui m’intéressent.
Bien au-delà de la médaille. Je pense à Grétel Bergman, la meilleure sauteuse en hauteur du monde, exclue des jeux de 36 parce que Juive. D’ailleurs, j’ai titré : « La championne Olympique qui ne l’a jamais été » … Elle était de loin la plus forte et seul le racialisme Nazi a pu la vaincre. Au passage, n’oublions jamais que le Président du comité Olympique Américain, s’appelait Avery Brundage. Véritable caniche d’Hitler. Trente ans plus tard, Président du CIO, il va exclure avec fracas et haine, les deux sprinteurs américains John Carlos et Tommie Smith pour leurs poings levés sur le podium de 68.
Je pense à Wilma Rudolph, polio à 7 ans, championne olympique à 25 ans…
Je pense au bras d’honneur du perchiste Polonais Kosakiewicz, en 1980, face aux caciques du régime Soviétique encore debout… Plus près de nous Marie José Pérec… J’ai commenté toutes ses courses, en 92 à Barcelone et 96 à Atlanta… Oui, sa beauté de course, son mouvement, sa bagarre sublime avec la Jamaïcaine Merleyn Ottey, tout cela est encore très présent.
La ruée vers l’or, livre sur la mémoire des jeux unit magnifiquement l’écrit à l’art. Quelle est votre relation avec le monde artistique ?
Je crois profondément qu’on ne change pas vraiment. Je suis toujours cet enfant qui détestait l’école et ne pouvait être heureux que sur les pistes de ski ou les terrains de football.
Mes seuls carrés de lumière.
Mais tout est si fragile, si complexe. Un jour, le petit garçon que j’étais, découvre, à 11 ans, les Roulottes de Van Gogh, au musée de l’Orangerie. C’est ma grande sœur qui m’emmène. Et tout s’inverse. Tout. Brusquement, j’aime lire, écrire, découvrir. Comme si la beauté d’une œuvre, son mystère, étaient capables de sauver une vie en perdition.
Qui sait si depuis des années, y compris à la radio ou dans mes livres, je n’ai pas cette mélancolie, ce désir de vouloir à tout prix, réconcilier le sport et les arts ?
Oui, qui sait ?
L’immense bonheur, dans cette quête est bien évidemment d’avoir trouvé Ernest pour aller au bout de cette aventure.
Ernest-Pignon Ernest et Pierre-Louis Basse, La ruée vers l’or, En Exergue éditions, 240 pages, 39.90 euros. Date de parution 26 avril 2024
© SOPHIE CARMONA © PIERRE-LOUIS BASSE
Membre des Amis de l’Humanité, j’organise un salon du livre d’humanité le samedi 5 octobre prochain à Villefranche sur Cher près de Romorantin(41). L’ouvrage conjoint de PL Basse
et E Pignon-Ernst attire mon attention et je serais heureux qu’au moins PL Basse vienne le présenter à ce salon. Pouvez-vous transmettre mon invitation? Merci d’avance