Au cours d’une déambulation solitaire ou commune, les paysages traversés se dévoilent tels des contes enchanteurs, tissant des liens intimes entre la nature et ceux qui la parcourent. Appareil photo en main, carnet de bord dans l’autre, les rues se révèlent avec leurs coins cachés et passages secrets, jusqu’à ce que l’Eldorado de verdure tant espéré se laisse enfin découvrir. Au bord du ruisseau, les eaux apaisantes accueillent l’âme errante, leurs murmures créant une atmosphère sereine et immersive. En remontant le cours d’eau, la nature luxuriante enveloppe tout sur son passage, chaque instant capturé avec émerveillement.
SUR LE CHEMIN, SEULE ET LIBRE
Sur le sentier, je marche, et parfois, des visages surgissent. Un instant, je croise une grand-mère. Son sourire, doux et bienveillant, éclaire mon chemin comme un rayon de soleil à travers les branches. Elle me souhaite une bonne journée, et je lui renvoie cette même lumière, ce même éclat de gaité. Puis, elle disparaît, emportée par son propre chemin. Très vite, je me retrouve seule, livrée à moi-même, à cette étrange solitude, familière et pourtant nouvelle.
Cette solitude n’est pas un fardeau. Elle n’a ni le goût amer de la tristesse ni le frisson de l’égarement. Non, c’est une solitude douce, qui m’enveloppe comme un manteau léger. Le silence autour de moi n’est pas vide, il est plein de murmures. Le vent joue avec les feuilles, les oiseaux me glissent leurs secrets. Chaque pas est une note dans cette symphonie discrète, une partition commune entre moi et la nature.
Je parle à haute voix, comme si le monde m’écoutait. Ce moment est mien, et la honte de me parler à moi-même s’est envolée avec le vent. Ici, sur ce chemin, je suis libre. Libre de mes pensées, libre de mes mots. La solitude me permet d’être entière, sans masque, sans retenue. Elle n’est plus synonyme d’isolement, mais de rencontre avec soi, une rencontre intime et joyeuse.
Je suis seule, et pourtant accompagnée. La terre sous mes pieds, les arbres autour de moi, le ciel au-dessus… tout me parle, et je leur réponds, sans crainte, sans gêne. C’est dans cette solitude que je me sens vivante, pleinement présente. Être seule ici n’est pas être coupée du monde, mais au contraire, en faire partie d’une manière plus profonde. C’est cette forêt de mousses, de fougères, de pierres, d’ail des ours, de lierres et d’arbres qui m’invitent à communiquer ce que je ressens. Un soupçon de nostalgie flotte, rappelant la rivière de l’enfance, celle qui coulait derrière les maisons d’autrefois.J’ai retrouvé l’agilité de ma jeunesse, à jouer avec les serpents, à parler aux crapauds et à tremper mes pieds dans l’eau. Les vrombissements des véhicules, non loin de ma solitude, proviennent de la route qui passe au-dessus de la promenade. Ces sons ne changent en rien l’expérience de la balade.
Naviguant à travers les paysages, je suis transportée dans un univers enchanteur où le temps semble suspendu. Les pensées de STENDHAL résonnent en mes sentiments, de la même manière que son « archet qui jouait sur mon âme ». La solitude devient une compagnie bienvenue, une solitude bienheureuse permettant de me connecter pleinement à la nature qui m’entoure. Chaque craquement de branche, chaque écho lointain me rappelle la vie qui anime ce paysage, renforçant mon sentiment d’émerveillement et de connexion profonde avec l’espace. Enregistrement des sons ambiants, exploration des sentiers cachés, observation des détails subtils du paysage… chaque moment passé à marcher révèle de nouvelles couches de sa beauté envoûtante. C’est une expérience qui va au-delà des mots, capturant l’essence même de l’enchantement périurbain et de l’immersion sensorielle dans la nature. Au cœur de cette canopée, les oiseaux nous offrent leurs dernières mélopées. Le début de l’automne déploie ses premières palettes végétales flamboyantes.
La marche, cet acte si simple et pourtant si profond, se déploie à la croisée des chemins de la solitude et de la solidarité. Pas à pas, le marcheur solitaire s’ouvre à un dialogue intime avec lui-même, tandis qu’en filigrane, une forme de lien se tisse avec les autres, invisibles compagnons d’un voyage partagé.
Marcher seul, c’est choisir la solitude. C’est retrouver un espace où chaque souffle devient un reflet du monde intérieur. Les pensées se délient avec la régularité des pas, le rythme du corps devient celui de l’esprit. ROUSSEAU vante les vertus de cette pratique : elle libère l’esprit, nourrit l’introspection. Seul sur un sentier ou à travers la ville, le marcheur est à la fois l’observateur et l’observé. Il devient, par ses pas, un voyageur immobile, un pèlerin de l’âme.
SUR LES SENTIERS, ENSEMBLE DANS LA VILLE
Dans cette solitude choisie, la marche porte en elle les germes de la solidarité. Le marcheur ne se déplace jamais tout à fait seul. Même dans le silence, il appartient à une chorégraphie collective. Il traverse les espaces partagés, croise d’autres marcheurs solitaires avec lesquels il n’échange qu’un regard, une brève reconnaissance silencieuse. Ces rencontres sont les marques subtiles d’une solidarité humaine implicite. Nous sommes tous en marche, avançant chacun à notre propre rythme, mais foulant la même terre.
Les rues deviennent alors les lignes de cette poésie commune. En ville, marcher est un acte politique, un réinvestissement de l’espace urbain, une solidarité envers les biens communs. Par nos pas, nous affirmons notre présence, nous réclamons notre droit de s’exprimer. Les places, les ruelles, les parcs s’ouvrent à nous comme autant d’écrins pour des moments d’échange ou de réflexion. L’individu qui marche redonne vie à ces lieux en les habitant de sa présence.
Et quand la marche devient collective, elle se métamorphose en un acte puissant de solidarité explicite. Les cortèges de protestation, les marches militantes ou solidaires résonnent en des pas pour former un seul et même écho. Chaque individu y conserve sa singularité, mais tous se fondent dans une même cause, un même mouvement. Le pas solitaire rejoint alors un océan de pieds en cadence, et la solitude du marcheur s’efface devant la puissance du groupe.
Ainsi, même dans la plus grande solitude, marcher c’est aussi être en lien. En lien avec soi-même, d’abord, en renouant avec un rythme intérieur, un souffle oublié dans le tumulte du quotidien. Mais aussi en lien avec les autres, dans cette solidarité discrète ou revendiquée qui se dessine à chaque foulée. Chaque marche est un poème en mouvement, une forme d’écriture corporelle qui parle à la fois de l’intimité de l’être et de l’appartenance à une communauté, à un espace partagé.
© AMBRE BOUTES