Pouvez-vous vous présenter ?
Je m’appelle Marine, j’ai 43 ans et un petit garçon de 9 ans. Je vis en famille recomposée avec mon conjoint et ses deux enfants de 8 et 13 ans. J’ai été diagnostiquée dépressive en 2001 et bipolaire en 2011, soit 10 ans après ce qui correspond à la moyenne de l’errance médicale concernant les troubles bipolaires. Tout au long de mon parcours de vie, la fluctuation de mes humeurs a énormément impacté mon quotidien. J’ai malgré tout obtenu un bac+5 et ai travaillé 8 ans comme responsable ressources humaines et 7 ans comme responsable de service éducatif dans le médicosocial. J’ai notamment travaillé à plusieurs reprises dans le domaine de la bipolarité. J’ai contribué à l’ouverture de deux centres d’accueil pour personnes bipolaires et à la rédaction des programmes de psychoéducation. Depuis 2 ans, je suis en invalidité car les répercussions de ma maladie sont trop fortes pour que je puisse exercer un travail. Également car j’ai développé une profonde angoisse du monde du travail, ayant été licenciée quatre fois à cause de mes particularités.
Comment vivez-vous au quotidien la bipolarité ?
Le quotidien est souvent difficile car je suis tributaire des variations de mes humeurs qui sont imprévisibles. Je peux rester couchée 24h, entreprendre plein de choses le lendemain, ne pas réussir à faire mes papiers pendant 15 jours pour finalement tout trier quand je vais mieux. La fatigabilité est également très éprouvante car j’ai besoin de beaucoup dormir pour récupérer de la maladie et d’un sommeil très chaotique (difficulté d’endormissement, réveils nocturnes, insomnies). Je peux également annuler une sortie ou en organiser une autre au dernier moment. Toute cette instabilité peut être difficile pour l’entourage, notamment face à la méconnaissance du trouble. La sphère amicale s’étiole d’ailleurs très fréquemment face à cette instabilité pour ne devenir que peau de chagrin. La bipolarité finit souvent par isoler…
Quel est le but de votre page instagram ?
Ma page Instagram @le_comptoir_des_humeurs a pour but de sensibiliser à la bipolarité. C’est très important pour moi de contribuer à la déconstruction des préjugés sur la santé mentale. Je propose des publications informatives, avec un peu d’humour parfois mais toujours sourcées car je mets un point d’honneur à ce que mon compte soit une référence solide. Je propose également des visios gratuites. Ce sont des temps d’échange entre pairs, en un pour un, sur le quotidien avec la maladie et/ou sur le dossier MDPH. J’en ai fait environ 300 en 2 ans. J’informe, je conseille, je réconforte et j’aide à remplir les dossiers MDPH qui peuvent parfois être très angoissants.
Qu’est-ce que la bipolarité ?
Comme dit précédemment, la bipolarité se caractérise par une variation pathologique des humeurs. Il existe plusieurs phases que l’on retrouve décrite dans le DSM5 (manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux) : la phase dépressive, la phase hypomaniaque, la phase maniaque et l’euthymie.
La phase dépressive est une phase qui se traduit par une démotivation, une tristesse, un désintérêt, une fatigue, un sentiment de dévalorisation, une hypersomnie, des idées noires voire suicidaires. La phase hypomaniaque a les mêmes symptômes que la phase maniaque, c’est-à-dire une augmentation de l’estime de soi, des idées de grandeur, une réduction du besoin de sommeil, un désir constant de parler, une sensation que les idées défilent,… La différence entre les deux phases se situent uniquement dans l’intensité, la durée et les répercussions des symptômes, l’hypomanie étant une « manie atténuée ». L’euthymie, quant à elle, est la phase de stabilité, de répit entre les phases dépressives et/ou (hypo)maniaques. Ce terme vient du grec « eu » (bien, heureux) « thymia » (l’âme, le cœur).
Par ailleurs, il existe plusieurs types de bipolarité. Là où le type 1 se caractérise par au moins un épisode maniaque, le type 2 se caractérise par des phases dépressives et hypomaniaques et la cyclothymie par au moins quatre changements de phase dans l’année (dépression et hypomanie). Les cycles peuvent également être rapides voire ultra rapides et certaines phases peuvent être mixtes (superposition des phases « up » et « down »).
Il est important de citer ici quelques chiffres pour mieux comprendre en quoi la bipolarité est un problème majeur de santé mentale.
Les troubles bipolaires touchent aujourd’hui 1,5% de la population française ce qui représente 1 million d’individus (3,5% avec les personnes non-diagnostiqués). L’Organisation Mondiale de la Santé soulignait d’ailleurs en 2019 que « 40 millions de personnes souffraient d’un trouble bipolaire dans le monde ce qui classait la bipolarité au 6ème rang mondial des pathologies les plus invalidantes ».
A cela s’ajoutent les chiffres concernant le suicide. 1 personne bipolaire sur 2 fera une tentative de suicide dans sa vie et 15% décéderont par suicide. Sur environ 9048 suicides comptabilisés / an ces dernières années, 1500 seraient rattachés aux troubles bipolaires soit 16,5% ce qui est considérable. Enfin, les coûts directs (ce qui améliore directement la qualité de vie du patient comme les soins, les aménagements, les aides humaines,…) et indirects (coûts liés aux comorbidités, conséquences économiques et sociales) des maladies psychiatriques, qui représentaient 103 milliards d’euros en 2012, représentent en 2023 163 milliards d’euros. Soit une hausse de 50%. C’est aujourd’hui le premier poste de dépenses de l’Assurance Maladie devant les cancers et les maladies cardiovasculaires.
Au regard de ces chiffres dramatiques, le gouvernement a décidé en 2024 de faire de la santé mentale la Grande cause nationale en 2025, en axant son travail autour de quatre objectifs majeurs (la déstigmatisation, le développement de la prévention et du repérage précoce, l’amélioration de l’accès aux soins, l’accompagnement des personnes concernées). Je ne peux qu’espérer que ce programme permette une amélioration de chaque situation individuelle.
Quelle est l’origine de celle-ci ?
La bipolarité est biopsychosociale : biologique (prédispositions héréditaires), psychologiques (compétences sociales, estime de soi) et sociales (éducation, environnement familial). On sait aujourd’hui que si une personne est bipolaire, d’autres personnes de son entourage auront possiblement des fragilités psychiatriques également.
Qu’est-ce qu’une maladie invisible ?
Une maladie invisible est une maladie qui ne se ne voit pas. Ce qui ne veut pas dire « qui n’existe pas ». Car la maladie est bien là, diagnostiquée et tapie dans le corps. Mais l’entourage n’ayant pas de prise visuelle sur ce dont il s’agit n’offre que très peu de prise en considération des difficultés inhérentes à la maladie. Qui plus est quand il s’agit d’une maladie psychiatrique. Au-delà d’être impalpable, elle porte l’image de cette folie historique dont tout le monde fait un tabou. Cela occasionne souvent un sentiment d’illégitimité chez les malades qui se remettent beaucoup en question sur leur souffrance, qui se sentent incompris voire mis à l’écart.
Peut-on soigner la bipolarité ?
La bipolarité ne se soigne pas. C’est une maladie chronique avec laquelle on vit toute sa vie. Néanmoins, avec un bon accompagnement, il est possible de « se rétablir ». Dans le cadre de la maladie psychique, « se rétablir » ne signifie pas « guérir » mais « retrouver une vie satisfaisante » ce qui passe par l’acceptation d’un changement de quotidien en composant avec ses vulnérabilités et en s’appuyant sur ses forces.
Pour cela, il existe un trépied incontournable de rétablissement : être suivi par un psychiatre et/ou un psychologue, avoir un traitement adapté et avoir la meilleure hygiène de vie possible (sommeil, alimentation, activité physique, activités plaisir, activités bien-être,…). Sans ces trois critères, les risques de rechutes sont nombreux.
En complément, certains hôpitaux et associations proposent aujourd’hui des groupes de parole et des programmes de psychoéducation pour « éduquer » à la maladie, pour mieux la comprendre et la « dompter ». Des associations sont également dédiées aux proches et aux aidants. Attention aux « professionnels » qui prétendraient vous guérir. Cela est impossible aujourd’hui même si la recherche tend à avancer (micronutrition, alimentation, génétique et voies immuno-inflammatoires).