LES DÉSARROIS DU PROFESSEUR MITTELMANN

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Éric Bonnargent est né le 03 janvier 1970 à Saint-Maur-des-Fossés. Il enseigne la philosophie depuis 1997. En 2011, il fonde avec Marc Villemain le blog littéraire «L’Anagnoste », auquel participeront les écrivains Roman Verger et Céline Righi. De 2012 à 2022, il est chroniqueur pour Le Matricule des Anges. Il a publié Atopia, petit observatoire de littérature décalée (Vampire Actif, 2011), Le Roman de Bolaño (coécrit avec Gilles Marchand, Éditions du Sonneur, 2015 et Points, 2022), Lettre à ma bibliothèque (Le Réalgar, 2017) et Les Désarrois du professeur Mittelmann (Éditions du Sonneur, 2022).

Les désarrois du professeur Mittelmann est un roman qui se lit le sourire aux lèvres. Mittelmann tout juste à la retraite se remémore les déboires et les vicissitudes qui ont marqué sa vie avec une autodérision certaine. Lui qui se rêvait immense écrivain, récompensé par le Goncourt devra se contenter de faire carrière au sein de l’Éducation nationale en tant que professeur de philosophie. D’ailleurs les passages en classe entre professeur et élèves sont exquis. C’est un roman sur le temps qui passe et les souvenirs qui restent mais tellement empreint d’humour que les désenchantements amoureux de Mittelmann ainsi que ses différentes désillusions sont parfois franchement drôles.

Pourquoi avoir attendu si longtemps pour écrire ce roman en solo ? C’est en somme un premier roman ?

Huit années séparent Le Roman de Bolaño, coécrit avec Gilles Marchand, des Désarrois du professeur Mittelmann, ce qui est long, très long, je vous l’accorde. Ce sont les aléas de la vie qui m’ont longtemps empêché d’écrire. Il y a des moments comme ça où les problèmes s’enchaînent et la seule chose à faire est de faire face, d’attendre que ça passe. Bizarrement, je suis sorti de ma zone de turbulences quand le reste du monde y est entré, à savoir au moment de la crise sanitaire.

Si cette crise n’avait pas été aussi dramatique pour de nombreuses personnes, je la qualifierais de période heureuse, puisque je n’avais rien à faire d’autre que lire et écrire, ce qui est pour moi une sorte d’idéal du bonheur. Presse et libraires parlent tour à tour des Désarrois comme d’un « premier roman », d’un « premier roman solo » ou d’un « second roman » : ça les regarde, et peu m’importe. Je dirais que techniquement, et de mon point de vue d’auteur, c’est mon quatrième livre et mon deuxième roman.

Après tout, Le Roman de Bolaño n’est pas tout à fait un roman écrit à quatre mains, mais plutôt un roman écrit à deux fois deux mains, ce qui est sensiblement différent. Je rappelle que ce livre est un échange épistolaire entre deux personnages : Pierre-Jean Kaufmann et Abel Romero. Gilles s’occupait du premier, moi du second, et aucun de nous n’est intervenu dans les parties de l’autre.

Et comme nous avons écrit nos parties chacun de notre côté, cela a été un travail solitaire, semblable donc à celui que l’on fournit lorsque l’on écrit seul. Il y avait cependant une contrainte que je n’ai pas retrouvée dans l’écriture des Désarrois, c’est que je devais attendre de recevoir les lettres de Gilles pour pouvoir me mettre aux miennes (à vrai dire, c’est surtout Gilles qui attendait mes lettres ; pas étonnant donc que depuis lors il ait publié avec le succès que l’on sait cinq livres et moi un seul !).

Est-ce que ce roman est une autobiographie ?

Si vous me posez cette question, c’est parce que Mittelmann et moi sommes romanciers et enseignons la philosophie, de surcroît dans le même lycée de banlieue : à Brunoy, dans
l’Essonne… Néanmoins, il ne s’agit pas d’une autobiographie, pas même d’une autofiction, du moins pas vraiment. Serge Doubrovsky définit l’autofiction comme un récit construit autour d’événements réels de la vie de l’auteur. Or, Dieu merci !, rien de ce qui arrive à ce pauvre Mittelmann ne m’est arrivé. S’il est moi, c’est de la même façon qu’Emma Bovary est Flaubert, selon la formule apocryphe bien connue.

Dans une fiction, un personnage a beau (nécessairement ?) ressembler à son auteur, il n’en reste pas moins un personnage. Dans le chapitre intitulé « Autopsie d’une histoire d’amour », une collègue de Mittelmann lui demande s’il est le professeur dont il parle dans l’un de ses livres. Je pourrais répondre la même chose que lui : « il a dix ans de plus que moi, et s’il exprime parfois des choses que je pense, c’est de manière outrancière. Alors, oui, lui et moi sommes profs de philo, mais ça s’arrête là. » Pour être plus précis cependant, je dirais que Mittelmann est ma propre caricature.

Ce que je veux dire par là, c’est que Mittelmann est une sorte de moi pathétique et sublime à la fois. Mais sa vision du monde n’est pas tout à fait la mienne.

Le nom de « Mittelmann » fait sourire les germanistes, pourquoi avoir choisi de le dire en allemand ?

Dans mes livres, je m’applique à bien choisir les noms et prénoms de mes personnages, même des plus secondaires. Or, mon projet était de dépeindre un homme ordinaire, empêtré dans son quotidien.

Je voulais écrire le roman de la médiocrité. Lors de mon travail préparatoire, j’ai donc cherché le nom qui pourrait convenir à mon professeur et, moi qui ne suis pas germaniste, j’ai fini par découvrir qu’en allemand, « moyen » se disait « mittel ». Ce n’était guère joli, mais comme à ce moment-là je lisais La Contrevie de Philip Roth, dont le personnage central s’appelle Nathan Zuckerman, j’ai ajouté le « mann » final. Ce nom m’a d’ailleurs conduit à faire de mon professeur un homme originaire de la Meuse, où se passent quelques scènes du livre.

Les pages grisées, moments d’échanges réalistes de cours de philosophie entre Mittelmann et les élèves, révèlent que malgré les déconvenues, il aime son métier d’enseignant. Qu’en est-il de vous ?

C’est le paradoxe de Mittelmann : il cultive un certain mépris pour l’Éducation nationale, se plaint sans cesse de ses élèves, mais se transcende lorsqu’il est en cours. Mittelmann est pétri de contradictions. Il a beau dire, il aime ses élèves, comme le montre, du moins je l’espère, le chapitre consacré au petit Johnny. Et sur ce point-là, Mittelmann et moi nous rejoignons : l’institution me désespère, mais j’aime enseigner. D’ailleurs je crois que si un professeur n’aimait pas son métier, il ne pourrait pas l’exercer correctement.

Quelle est votre rapport avec la vieillesse ? Diriez-vous que vieillir vous fait peur ?

Le vieillissement est l’un des thèmes principaux des Désarrois. Dans le premier chapitre,
Mittelmann, enfin à la retraite, se contemple dans un miroir, observe les ravages du temps sur son corps et se souvient des années passées, perdues pour la plupart. Ce sont ces souvenirs plus ou moins fidèles qui constituent le reste du livre. C’est d’ailleurs parce que le vieillissement obsède Mittelmann que l’un des trois cours auxquels assiste le lecteur concerne ce sujet. Je ne partage pas tout à fait son pessimisme.

Vieillir, bien sûr, c’est être affecté dans sa chair par le temps qui passe : on grossit, la vision s’altère, les douleurs et autres gênes se font de plus en plus fréquentes. Néanmoins, j’avais beau être plus en forme à 20 ans, pour rien au monde je ne retournerais en arrière. Je me sens mieux aujourd’hui qu’autrefois dans ce corps que j’ai appris à connaître. Et la maturité intellectuelle est un bien irremplaçable. Donc, non, je n’ai pas peur de vieillir. De toute façon, cela ne servirait pas à grand-chose : le temps n’obéit guère à notre volonté.

Quels sont vos auteurs inspirants ?

Tous les auteurs que j’aime, j’imagine. Probablement aussi ceux que je n’aime pas. Il serait toutefois quelque peu prétentieux de me dire influencé par tel ou tel écrivain de génie. Je préfère vous raconter une anecdote : cet été, je suis passé par la librairie La Droguerie de Saint-Malo. Les Désarrois faisait partie des coups de cœur de la rentrée littéraire. Mélanie, la libraire, m’a alors fait le plus beau compliment du monde en me disant que ce livre lui rappelait ceux d’Emmanuel Bove. Je lui en laisse toute la responsabilité !

Quelle est votre actualité pour cette rentrée ?

Il y a d’abord une soirée de lancement à la librairie Delamain, le 06 septembre, à 19h00, puis des signatures ici et là, notamment à la librairie de Brunoy. Et quand on sait la manière dont Mittelmann parle de cette ville, cela montre que le Brunoyen n’est pas rancunier ! Par ailleurs, vous n’aurez pas à attendre huit ans avant de me retrouver sur les étals des libraires: je me suis attelé à un nouveau roman que j’espère finir d’ici deux ans, un roman très différent dans lequel il sera question de boxe, de religion et d’élevage industriel de poulets.


https://www.arte.tv/fr/videos/116347-000-A/litterature-les-desarroisduprofesseurmittelmannd-eric-bonnargent/

https://www.editionsdusonneur.com/livre/les-desarrois-du-professeur-mittelmann/

Les désarrois du professeur Mittelmann, 240p, 18 euros

Mail : sophie.carmona@outlook.fr


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