Sabine Peroni est une peintre et une illustratrice française qui nous propose, en décembre 2024, son premier recueil de poèmes paru aux Éditions de l’Entrevers. Le livre se présente sous une forme complexe d’écriture mêlant gestes et mots, tonalités brunes et récits. Tel un objet d’art et d’expérimentations, il fait dialoguer l’écriture littéraire et l’écriture picturale pour nous plonger dans un univers abstrait où le temps se fait brume.
À L’ENCRE DE CHINE
Huit dessins ou huit peintures accompagnent les textes poétiques. L’encre de Chine tache les pages encore vierges comme autant d’empreintes que les jeux de transparences révèlent. Les superpositions, si elles apportent de la profondeur au motif général, marquent les temporalités qui s’enchevêtrent et s’enlacent. Le noir et les bruns fusionnent à l’image des mots et des coulures. Les flux et le souple. Les formes circulaires des illustrations s’effacent et s’accouplent aux lignes, plus denses, mais tout aussi organiques ; la rencontre de la fumée et des fils. Les fumées évanescentes, aussi impalpables que le temps, viennent ainsi nous conter l’humanité et la nature. Certains dessins évoquent par ailleurs des motifs floraux que l’eau dilue. Une dilution par laquelle la matière prend vie, se transforme et se meut ; elle poursuit son chemin qu’elle trace, indépendante, sur la page, à présent, n’est plus blanche. Le motif s’évapore dans l’eau, telle la fumée dans l’air. De ces marques abstraites, l’auteure en tire les fils nécessaires à la liaison : les fils noirs de l’écriture.
LES FILS TENDUS DE L’ÉCRITURE
Les fils tissent la toile de portraits vaporeux que seule l’image mentale peut traduire, laissant ainsi chaque lecteur se faire une représentation toute personnelle de ce qu’il lit. Ils n’ont ni corps réels ni matières. Tantôt une tête, une oreille, un membre, tantôt Léandre ou Méandre. Labyrinthe de nos peurs. Ils sont ce que l’on cherche, ce que l’on connaît, ce que l’on désire. Ils sont à la fois les fleurs, les rires, les pensées, la montagne, l’air, l’eau, le sol qui se dérobe. Sabine Peroni excelle dans la description abstraite de ces portraits, touchant ainsi un peu plus encore à ce que l’on nomme l’universalité, tout en conservant un fil rouge, qui lierait cette fois-ci le lecteur à l’auteure. Un fil accompagnateur.
Elle tisse les fils qui font liens, ces fils qui unissent, créant une filiation sensible entre Nature et Culture. Entre l’humain et les éléments, l’humain et ses sensations. L’humain et l’identique.
« Une brume collée au front, elle restaure sa paix. Autour d’elle en silence, c’est encore un matin. Une brume collée aux mains, elle saisit tout le bol et sa fumée qui monte.
Ça lui échappe.
Au dehors sa montagne disparait sous le poids d’une brume, elle la connait si bien. Elle sait que sous le soleil son feu, tout réapparaîtra… la montagne, ses flancs, ses baisers pris pour cimes, il y a
pourtant
l’angoisse, dans le froid et la nuit, il est six heures un jour une horloge lui
dit que tout
va éclater. »[1]
LE TEMPS
Sabine Peroni raconte la temporalité mouvante. Ces instants décrits que l’on prend le temps de regarder. On s’arrête sur eux pour les contempler, appréciant chaque seconde que l’on aime à décupler. Ces instants furtifs qui glissent sur eux-mêmes, insaisissables et beaux par leur propre essence. Ces instants pourtant courts qui s’étendent sur le visage, comme les rivières de l’âge qui creusent leurs sillons. Puis, ces instants de vapeur suspendus et pendus aux branches de l’oubli, comme ces taches à semi-transparentes qui parsèment l’ouvrage que l’on tente de raviver par le geste de la peinture et de l’écriture ; ces deux formes jumelles. Les mots traversent la feuille, certains s’isolent, d’autres se regroupent. D’autres encore chutent et créent un écho entre images et textes.
Le temps de la réception à présent. Le temps de la lecture. Nous pouvons boire les mots posés par l’auteure d’une traite, de manière presque boulimique, désireux d’avancer sur le sentier dans lequel nous nous sommes enfoncés, dans un élan de curiosité. S’en suivrait alors une lecture de moineau durant laquelle on viendrait picorer les mots comme des graines, attendant ensuite qu’elles germent en nous. Une dernière lecture, peut-être, plus sensuelle où nous laisserions, cette fois-ci, les mots et leurs sonorités chantonner le secret que l’on souhaite nous transmettre. Des lectures nécessaires pour nouer les fils de ce recueil bien ficelé.
En somme, lire De fumée et de fils, c’est pénétrer dans un univers expressif fort où le geste prend la parole. L’écriture, souple, tranche parfois la toile dans une graphie symbolique tout en mouvement, tout en cadence où le lecteur peut laisser son œil se promener à la recherche des mots. Un effort, une promesse. Le recueil est organique et liquide et nous aimons nous y plonger pour prendre ce temps qui nous est loué.
Sabine Peroni, De fumée et de fils, éditions Entrevers, 06 décembre 2024, 66 pages, 16€
© DAVID VALENTIN
Corrigé par Alexandra Francheteau
[1] PERONI Sabine, De fumée et de fils. Éditions de l’Entrevers, 2024. Page 23.