Les histoires figurant des animaux ont toujours passionné les lecteurs de tout âge, des fables de la Fontaine à la satire politique d’Orwell en passant par les Métamorphoses d’Ovide. En effet, ils ont toujours nourri l’imaginaire collectif de par leur place dans la société et leur réputation, immortalisées même dans le langage : on dit « têtu comme une mule », « rusé comme le renard » et ainsi de suite. Mais ils servent aussi à refléter une réalité amère : c’est le cas de l’insecte dans le plus célèbre roman de l’écrivain tchèque de langue allemande, Franz Kafka.
Un jeune écrivain dans le vieux continent
Mais qui est Franz Kafka ? Né en 1883 à Prague dans une famille d’origine juive, il est connu pour ses œuvres où règne une ambiance sombre et déconnectée de toute logique ou sens dont Le Procès, l’histoire d’un homme arrêté pour une raison inconnue et Le Château, dépeignant la folie bureaucrate. Une telle ambiance, influencée notamment par son époque marquée par les horreurs de la Première Guerre Mondiale et de la chute des valeurs morales, est à l’origine de l’adjectif « kafkaïen ». Avant sa mort en 1924, il aurait demandé à son ami Max Brod de détruire tous ses manuscrits car il les considérait comme indignes d’être publiées. Pourtant, ce dernier ne respectera pas son souhait et les fera publier, les rendant célèbres mondialement. Mais l’œuvre la plus aboutie de Kafka n’est rien d’autre que La Métamorphose.
La Métamorphose : le cafard après la lecture ?
C’est l’histoire d’un simple employé de bureau du nom de Gregor Samsa qui se retrouve un jour transformé en insecte à son réveil et qui se voit rejeté par sa famille, dont son père violent, sa mère silencieuse et sa sœur Grete, la bonne à rien. Tout au long du roman, on assiste à la déshumanisation du Gregor insecte jusqu’à son décès, libérant sa famille qui le considère comme une lourde charge. D’abord, la métamorphose permet d’inverser les places : l’insecte, censé être sauvage et instinctif, est altruiste et conscient alors que l’humain, censé être civilisé, est inhumain.
De plus, elle met en perspective un monde sans pitié : un jour où on ne va pas au travail et on a les responsables à la porte « Absentez-vous quelques instants, et voilà la patrouille de l’économie rationnelle à vos pas ! Ce monde est impitoyable »[1], sans oublier la crainte d’être en retard.
Et on n’oublie pas que le vrai visage de chacun se dévoile, surtout dans les paroles de Grete : «Je ne veux pas, devant cette horrible bête, prononcer le nom de mon frère et je me contente de dire : il nous faut débarrasser de ça.»(La Métamorphose, page 108). De ce fait, la métamorphose de Gregor est celle de notre perception des choses et de l’inversion des valeurs, symptôme d’un monde qui s’auto-aliène dans le travail. De plus, la figure de l’insecte renvoie à la conception que les Européens avaient des Juifs à l’époque de Kafka, se sentant rejeté, comme le témoigne sa famille par les tchèques car ils sont germanophones et par les Allemands car ils sont juifs[2] .
Plus loin, la mort de Gregor Samsa libère la famille et contribue à l’épanouissement de Grete : un être qu’on croyait parasitaire ferait tout pour que sa famille soit heureuse. Bien qu’elle l’ait été à la fin de l’histoire, ce n’était pas en raison du sacrifice, mais du fait qu’il posait problème au bonheur de la famille, lui le cafard marginalisé.
Les Cafards : pas si mauvais ?
Pour conclure, La Métamorphose de Franz Kafka est une réflexion sur nos standards ainsi que notre tendance à voir les actions extérieures plutôt que les véritables intentions. Tel est la part d’animalité que possède l’homme : toujours à faire confiance à ses instincts au lieu de sa réflexion, à ses préjugés qu’à ses analyses personnelles. Parce qu’on est des êtres vivants, on fait toujours confiance à nos instincts par mécanisme d’autodéfense et de survie. Même si la civilisation et la raison avaient progressé ces derniers siècles, certains d’entre eux perdurent encore et se sont mélangés avec la conscience : ils sont appelés orgueil, intérêt et ruse. On pourrait résumer ce chef d’œuvre de Kafka en une citation de Nietzsche : « Si vous tuez un cafard, vous êtes un héros, et si vous tuez un papillon, vous êtes mauvais. La morale a des normes esthétiques ». Plutôt….kafkaïen !
Sergio
[1] https://comptoir.org/2016/09/23/la-metamorphose-de-kafka-laliene-nest-pas-celui-quon-croit/
[2]https://philo-lettres.fr/old/litterature_etrangere/litterature_allemande/kafka_1.htm