Et si aux confins de la folie, c’était la raison ?
L’incandescence lie le récit et le journal d’un jeune homme de 26 ans qui après avoir été plongé dans le brasier de la folie trouve la lueur de la rémission.
Entre déraison et raison, Gérard Vincent explore les méandres de la psyché humaine aux prises avec des épisodes de délire et questionne ainsi la nature de sa propre folie. Après avoir lutté contre les hallucinations, les pensées délirantes, il traverse des moments d’épiphanie et de clarté avant de parvenir à contrôler la maladie mentale.
L’écriture poétique, immersive et introspective, rend palpable la tension entre son désir de comprendre et de maîtriser sa condition et les forces incontrôlables qui l’oppressent.
Car, oui l’épreuve du feu constitue une lutte acharnée et incessante, et, pour sortir de ce chaos mental, il y a la spiritualité, l’écriture et il y a Rimbaud.
« Le combat spirituel est aussi brutal que la bataille d’hommes », ces mots d’Arthur Rimbaud cités dans l’émouvante préface de Christian Bobin, signent la beauté de la résurrection.
Stéphane Bernard, fondateur des Éditions des instants s’est prêté au jeu de l’entretien.
Bonjour Stéphane Bernard, comment et pourquoi avez-vous eu l’idée de rééditer L’incandescence ?
Bonjour, et merci, pour commencer, pour votre proposition de discuter autour ce livre. J’avais déjà lu, et beaucoup apprécié, deux livres de Gérard Vincent : La mort d’un chartreux (Le Rocher, 2022) et Sous le soleil noir du temps – Trakl, Mandelstam, Celan (L’Âge d’homme, 1991), trois poètes qui me touchent particulièrement. Gérard Vincent, qui connaissait la maison depuis ses débuts, ou presque, m’a proposé L’incandescence que j’ai trouvé, d’une part, très bon de par son thème et de par sa façon de le traiter. Et, d’autre part, son livre correspondait parfaitement à la ligne éditoriale des Éditions des instants. Je n’ai pas beaucoup hésité.
La préface de Christian Bobin est émouvante, quelle est l’histoire de cette lettre ? Le choix de la couverture du livre a-t-il été influencé par la préface ?
L’incandescence a été édité une première fois en 1987, à L’Âge d’homme. Gérard Vincent l’avait envoyé à Christian Bobin qui lui avait répondu par cette très belle et, comme vous dites, émouvante lettre. C’est ainsi qu’une longue amitié a commencée entre eux, amitié qui ne s’est terminée qu’à la mort récente de Christian Bobin.
Pour la couverture, Gérard Vincent évoque dans son texte l’amandier en fleur et Christian Bobin en parle également en écrivant : « L’amandier est l’arbre de folie et de sagesse. Votre âme est cet amandier tantôt en fleurs, tantôt en feu. » (citation que j’ai placée sur la quatrième).
Le détail de L’amandier en fleur de Van Gogh, qui structure l’ensemble de la couverture, m’a donc paru tout à fait pertinent, surtout que je venais de changer ma charte graphique, décidant d’utiliser des détails de peintures pour les couvertures des livres à venir.
Pouvez-vous nous présenter la ligne éditoriale des Éditions des instants ?
Nous avons mis en avant cette phrase de Musil : « … il y a toujours quelques instants qui ne ressemblent à rien d’autre. » Nos livres sont des invitations à ces instants.
Nous proposons de réinterroger le présent à travers le prisme des instants ; instants qui peuvent ouvrir sur une perception plus riche du monde et des autres.
À travers différents genres littéraires (journaux, carnets, essais, aphorismes, romans, récits), sous forme de textes contemporains, d’écrits inédits ou de rééditions, nos livres sont aussi reliés par une exigence de pensée et d’écriture.
Nous avons développé quatre collections : « Instants en roman », « Instants en regard », « Instants en aparté », « Instants en fragments »
Éditeur, un métier de passion ?
Oui, on peut le dire. Je ne viens pas de l’univers de l’édition, qui est difficile car protéiforme et assez « encombré », si j’ose dire. J’ai tout découvert en pratiquant ce métier. Quoi qu’il en soit, c’est un énorme plaisir de pouvoir faire exister des livres et de transmettre une certaine vision de la littérature, celle qu’on aime.
Vous recevez certainement de nombreux manuscrits, comment faites-vous votre choix ?
Des anecdotes ?
Beaucoup oui, et dès les débuts de la maison, ce qui m’a surpris. Mes choix se font selon l’adéquation à la ligne éditoriale de la maison et selon une certaine exigence, je ne sais pas le dire autrement, concernant l’écriture. Je dois aussi sentir qu’un texte vient d’une nécessité, que l’auteur n’avait pas d’autres choix que de l’écrire, et qu’il y ait donc une grande implication « intérieure » de celui ou celle qui écrit.
Pour l’anecdote : On me dit que je suis exigeant, et c’est vrai que je demande toujours, mais parce qu’aucun texte ne m’est jusqu’ici arrivé sans que je trouve qu’il y ait des choses à revoir, je demande toujours si l’auteur est ouvert aux suggestions (enfin si je vois dans le texte de grands potentiels). J’ai édité un premier roman, A ceux qui ont tout perdu, d’Avril Bénard, en 2023 (qui est sorti en poche en 2024). J’avais envoyé un certain nombre de remarques à Avril Bénard et son retour m’indiquait qu’elle n’acceptait de discuter sur aucun point. Je lui ai alors dit qu’il était mieux d’arrêter là. Or il y avait eu un problème avec le fichier : je ne voyais pas les éléments où elle était ouverte à la discussion ! Ce livre a bien failli ne pas être édité par la maison, ce qui aurait été très dommage.
Quel est votre meilleur souvenir de publication ?
C’est difficile à dire, j’aime tous les textes que j’ai édités ! Mon meilleur souvenir en tant qu’éditeur est, en tout cas, lié au livre que j’évoquais juste avant, celui d’Avril Bénard. Nous avons eu l’occasion d’être invités dans une classe de première à Tours. L’enseignante avait été enthousiasmée par le livre et l’avait fait lire à tous ses élèves (leur fournissant un exemplaire à chacun via le centre de documentation du lycée). Pendant une heure et demie les élèves ont posé des questions, ont cité des passages du livre, ont dit tout ce qui les avait touchés avec une énergie, une sensibilité et une « gourmandise » qui m’ont beaucoup impressionné, et marqué. C’est très beau pour un éditeur de vivre ça.
Comment voyez-vous l’avenir du monde éditorial ?
Je ne sais pas, j’ai du mal à évaluer ce genre de chose. Et puis je ne suis éditeur que depuis trois ans… Je reste persuadé qu’il faut proposer des livres de qualité, des livres forts. Il y aura toujours des lecteurs pour ce genre de livre, car c’est une expérience humaine qui est transmise, une expérience enveloppée par la forme et donc par la beauté, une expérience qui permet de mieux vivre avec le monde et avec les autres, je pense, et de donner une « densité ». C’est important. C’est pour ça que je veux continuer.
Gérard Vincent, L’incandescence, Éditions des instants, 192 pages, 17 euros. Parution le 6 juin 2024.
Éditions des instants
26 rue Vauquelin, 75005 Paris
Tel : 06.86.83.51.23.
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